Foot, argent et politique : bienvenue dans la « Superligue » européenne !

, par Jérôme Flury, Volkan Ozkanal

Foot, argent et politique : bienvenue dans la « Superligue » européenne !
Image : alessandra1barbieri / Pixabay

Ce sujet était un secret de polichinelle depuis quelques années dans le domaine du football et a éclaté en janvier 2021 avec d’autant plus de fracas que les grandes instances de ce sport s’y sont fermement opposées : la création d’une « Superligue » européenne fermée entre les plus grands clubs européens permettant de multiplier les retombées financières. Une situation à tel point sensible que même Margarítis Schinás, vice-président de la Commission européenne, est monté au créneau pour dénoncer ce projet.

Le football a peu à peu pris l’habitude de rimer avec capital, ou du moins avec de l’argent sonnant et trébuchant. Les sommes échangées entre clubs, notamment sur le Vieux Continent, sont parfois très conséquentes, et les enjeux économiques ont depuis longtemps dépassé le simple aspect sportif. Dans un monde toujours plus globalisé où les frontières économiques ont été abolies depuis belle lurette, les transferts de joueurs constituent la meilleure manière de perpétuer un modèle économique. Que ce soit les agents, toujours autant décriés, lors de la signature de leurs poulains ou les dirigeants de clubs qui, à l’instar du responsable marseillais, Jacques-Henri Eyraud se fait vilipender par ses propres supporteurs, le football est bien plus qu’un sport.

De ce fait, quelles informations sur le monde du football ont fait les grands titres ces dernières semaines ? La dette astronomique du club catalan du FC Barcelone https://www.eurosport.fr/football/liga/2020-2021/comment-le-fc-barcelone-a-pu-arriver-a-1173-milliard-d-euros-de-dette_sto8086673/story.shtml], qui bien que générateur de revenus conséquents chaque année, affiche un déficit supérieur à un milliard d’euros. Une somme astronomique et qui, selon certains, trouve sa source dans le contrat d’un demi-milliard d’euros offert à sa superstar, l’Argentin Lionel Messi. Les autres clubs sont également touchés par l’impact continu et interminable de la crise sanitaire qui a frappée la planète depuis maintenant bientôt un an.

Absences de supporters, de revenus, d’ambiances mais également gros risques de soucis financiers si d’aventure les instances ne trouvent pas une parade. Un des exemples récents, en France, a été le fiasco de « Mediapro », groupe sino-espagnol qui n’a finalement pas versé les sommes qu’il devait->https://www.leparisien.fr/sports/football/mediapro-et-maintenant-quel-avenir-pour-le-foot-francais-23-12-2020-8415724.php] au football français en échange de la diffusion du championnat national. Une situation ubuesque dans la mesure où certains commentateurs avaient émis de grandes réserves concernant la (non)-solvabilité supposée du média dirigée par l’homme d’affaires espagnol, Jaume Roures. Le plus rocambolesque de l’affaire réside dans les investissements massifs des clubs français dans ce média,dans l’espoir d’obtenir de grosses retombées financières. « Mediapro » reflète le fameux « foot-business » et la façon dont quelques-uns se servent de ce sport pour s’enrichir.

Au-delà de ces péripéties, la crise sanitaire a provoqué une prise de conscience de la part des dirigeants, notamment des clubs les plus fortunés. Face au « cataclysme » ->https://www.francebleu.fr/sports/football/coronavirus-un-cataclysme-pour-le-foot-francais-selon-le-directeur-sportif-des-girondins-de-bordeaux-1609838888] que constitue la pandémie de la Covid-19 sur le plan sanitaire, économique mais également social, les matchs à huis clos constituent une perte sèche pour tous les clubs et l’économie du ballon rond. Mais certains auraient trouvé une parade, une vieille idée, qui est revenue au goût du jour depuis quelques semaines. La création d’une « Super Ligue » ouverte aux plus “grands” clubs.

Le poids de l’argent

Avec ces enjeux financiers de plus en plus importants ces dernières années dans le monde du football, certains grands d’Europe se sont alors alors penchés sur la création de ladite « Superligue ». Vieille idée en réalité qui fut débattue il y a quelques années de cela afin de permettre la « réunification », dans une entité, des plus gros clubs européens. Le Real Madrid fut un des vecteurs de la création de ce « championnat pour puissants », l’idée étant la mise en place d’une compétition permettant de générer un maximum de revenus. Comme dans la vie, l’argent est toujours au cœur des débats mais à l’époque, l’objectif affiché était simplement de simuler la faisabilité d’un tel projet. Traditionnellement, et on le voit en France, les Droits TV sont répartis entre les clubs affichant la plus grande régularité lors des rencontres diffusés en « Prime-Time ». Ce qui permet à des clubs tels que le Paris-Saint-Germain, par exemple, d’accéder à la primeur du gros gâteau que représente la part télévisuelle du championnat.

Or, avec la crise sanitaire, les clubs européens n’ont même plus besoin de se cacher puisque, crise oblige, les finances commencent à s’assécher rapidement. Mais quid dans cette question des groupes de supporteurs ? La réponse ne s’est pas faite attendre et comme prévu, elle a été négative. Pour eux, cette ligue « détruirait le modèle européen du sport, qui repose sur des principes communément acceptés tels que le mérite sportif, la promotion et la relégation, la qualification aux compétitions européennes grâce aux succès nationaux et la solidarité financière », comme le dénoncent dans un communiqué 139 groupes de supporters de clubs ou d’associations nationales issus de 16 pays européens. Ce projet « saperait également les fondements économiques du football européen, en concentrant encore plus de richesses et de pouvoir entre les mains d’une douzaine de clubs d’élite », créant un environnement « plus inégalitaire, moins compétitif et, en fin de compte, non durable ». Dans un monde où ces inégalités sont légion, l’argument a l’avantage de mettre sur la place publique la volonté des supporteurs de ne pas perdre leur ultime lien avec leur club de cœur.

L’UE entre dans le jeu

Lorsqu’à la mi-janvier 2021 les choses se sont précisées concernant la « Superligue », l’économiste du sport Pierre Rondeau est d’abord revenu sur la surprise que causait cette semi-annonce. Jusqu’ici, la « Superligue » n’était qu’un outil politique, qu’un moyen de pression ». Il a ensuite affirmé que « l’UEFA a trop besoin des clubs pour exister et ces derniers ne peuvent pas prendre le risque d’un affrontement » avec l’instance européenne. Un vent d’inquiétude a soudain soufflé sur le football européen et Margarítis Schinás, vice-président de la Commission européenne, chargée des questions migratoires et Commissaire chargée de la promotion du mode de vie européen, a pris la parole pour s’opposer à cette tentative de création d’une nouvelle compétition. « Il n’y a pas de place pour que certains déforment la nature universelle et diverse du football européen. Le mode de vie européen n’est pas compatible avec cette idée que le football européen serait réservé aux riches et puissants ».

Au sein du Parlement européen également, ce projet de « Superligue » a également causé quelques remous. Le député européen Tomasz Frankowski s’est montré clair : « Le sport est un droit pour tous, pas seulement pour une élite. Je trouve la spéculation autour d’une super ligue fermée entre certains clubs d’élite du football européen très inquiétante. Je salue et je soutiens la position ferme de l’UEFA contre cela ». Rien d’étonnant ici puisque ce projet hors du commun aurait pour conséquence d’exclure les équipes d’Europe centrale, pas assez puissantes financièrement et traditionnellement réduites à la portion congrue.

En effet, le 21 janvier 2021, la FIFA et l’UEFA ont modifié le règlement international de ce sport. Dorénavant, l’organe international du football interdit aux joueurs de participer à « une compétition indépendante non officielle » au risque de se faire suspendre de toute participation à un Mondial ou à une Coupe Continentale du type Euro ou Copa America. En ce sens, « il fallait frapper fort et jouer sur les sentiments », détaille Pierre Rondeau. Le Président de l’Union européenne de Football Association (UEFA), le slovène Aleksander Čeferin semble préparer toutefois un autre plan : une autre compétition, nommée « Super Champions » pourrait ainsi émerger dès 2024 pour contrer toute velléité future. L’histoire aimant les facéties, ce n’est pas la première fois que l’Europe se déchire à cause de compétitions sportives.

Le précédent du basket américain et… européen

En effet, si les États-Unis ont l’habitude des ligues fermées avec notamment la plus grande compétition de basket au monde, la fameuse NBA, l’Europe a également eu de telles velléités au début des années 2000. Dans une scission entre ses instances dirigeantes, les suiveurs du basket européen avaient eu la surprise de voir émerger deux compétitions majeures : la « SuproLeague » d’une part et « l’Euroligue » de l’autre. La raison d’une telle scission : des divergences majeures entre la détentrice de la compétition la « FIBA » (Fédération internationale de basket) qui n’avait jamais jugé bon de déposer sa marque « Euroligue », ce qui créa un vide juridique et institutionnel, et un groupe de frondeurs voulant former une nouvelle compétition avec cette appellation.

Ne voulant pas être dépossédée de sa compétition phare, la FIBA a donc été obligée de trouver une parade en catastrophe et s’est dotée du nom « Suproligue » réunissant notamment les Russes du CSKA Moscou, les Grecs du Panathinaïkos, les Turcs d’Efes Pilsen (aujourd’hui Anadolu Efes), les clubs français de l’ASVEL et de Pau-Orthez ou encore les Italiens de Sienne ou les Allemands de l’Alba Berlin. En face, « l’Euroligue » ayant récupéré les Italiens de Bologne, Trévise, les Grecs du PAOK et de l’Olympiakos, les mastodontes espagnols du Real et du Barca ou le totem lituanien, le Žalgiris Kaunas. Deux ligues, deux champions avec les Israéliens du Maccabi Tel-Aviv vainqueurs pour la première compétition et les Grecs du Panathinaïkos pour la seconde. Mais surtout, un embrouillamini monumental sur la valeur de ces compétitions avec les deux clubs grecs les puissants qui n’avaient pas pu s’affronter cette saison. Cependant, si à l’époque, l’idée n’était pas véritablement de créer une ligue fermée à l’instar de la NBA, les clubs européens ont réussi leur coup de force puisque « l’Euroleague » est la plus grande compétition continentale après celle de NBA dans le monde du basket actuellement. Une seule ligue donc mais dans laquelle il faut montrer patte blanche et avoir les reins solides. L’ASVEL, club de Tony Parker, ancien meneur des « Bleus », n’ayant été accueilli de manière pérenne qu’il y a quelques semaines.

Quoiqu’il en soit, dans un monde bouleversé et complètement hors de contrôle, l’idée de réunir les meilleures équipes risque paradoxalement de signer la fin de l’intérêt du foot. En effet, le football comme tous les autres sports, trouve sa raison d’être dans la belle incertitude du sport. Dans laquelle le Werder Brême peut battre le Bayern Münich par trois buts à zéro. Dans laquelle le Real peut être battu par Eibar, et ainsi de suite. Quelle sera la saveur de rencontres où Manchester rencontrera le PSG continuellement ? Les dirigeants risquent, par conséquent, de scier leurs propres branches, puisque les Droits TV sont liés à l’attrait qu’a le public pour les compétitions proposées. 2021 semble être l’année charnière pour le football européen à plus d’un… titre.

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