L’entrée de la Lettonie dans la Zone euro : une « duperie balte » ?
C’est ce que laisse volontiers penser le titre (un brin) provocateur d’un article de Challenge en date du 3 janvier, « Zone euro : Vous avez aimé Chypre ? Vous allez adorer la Lettonie ! » qui a réussi l’exploit de concentrer un maximum de clichés et de contre-vérités en un minimum de lignes. Exemple :
[…] Vous pensiez sans doute, comme beaucoup de Français, que ce nouveau partenaire de la zone euro était un "pays du Nord", aux comptes incontestables ? Erreur : s’il fallait le replacer sur la carte de la transparence financière, il rejoindrait, sans conteste, les "pays du Club-Med" […] ces pays qui ont joué de leur appartenance à l’euro pour se lancer dans une frénésie de dépenses ou qui ont un peu arrangé leurs conditions d’entrée...[..]
Le brulot se poursuit, l’article dénonçant ensuite des conditions d’entrée « abracadarantesques », au motif que l’intégration à l’euro n’était souhaitée ni par la population lettone (qui aurait « massivement voté contre », à plus de « 61% »), ni par la Banque centrale européenne, qui, « en termes diplomatiques, a fait part de ses doutes ».
Pour ne rien arranger, et c’est là où la comparaison avec Chypre, évoquée avec fracas dans le titre, semble prendre tout son sens, « pour gonfler sa croissance, le pays s’est aussi injecté un shoot bancaire » (expression au demeurant évanescente à faire s’évanouir tout économiste digne de ce nom) :
[…]« Aujourd’hui, 70% de son économie repose sur ses services financiers. La potion a été efficace, mais elle est diablement dangereuse, car elle repose sur la technique chypriote : accueillir, sans y regarder de trop près, les avoirs étrangers »
A lire ces lignes, le constat ne fait pas place au doute : l’entrée de la Lettonie dans la Zone euro ne serait qu’une immense mystification, dont on se demande bien comment elle a pu se produire tant ses effets se révèleront néfastes dans un proche avenir. Oui mais voilà, la vérité n’est pas si simple.
Fact-checking vs clichés et contre-vérités
Reprenons par ordre. Notons tout d’abord que les Lettons n’ont jamais été appelé à se prononcer sur leur entrée dans la Zone euro par référendum. Le « vote massif » évoqué contre l’Euro relève donc de la pure extrapolation, sur la base de chiffres issus de sondages d’opinion parus en Lettonie au mois de décembre. A contrario, la population a, depuis 2008, toujours porté au gouvernement des coalitions résolument europhiles dont l’adhésion à l’Euro était l’une des plus importantes priorités. C’est même avec un tel programme et « en appétit d’euro » que Valdis Dombrovskis, a battu le record de longévité au poste de Premier Ministre (il est resté à ce poste entre mars 2009 et novembre 2013) !
Pour ce qui est des préoccupations, bien réelles, exprimées par la Banque Centrale Européenne, elles n’ont toutefois pas empêché son Président Mario Draghi d’exprimer par voie de communiqué de presseque, « au nom du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE), je me félicite de ce nouvel élargissement de la zone euro. La Lettonie a gagné sa place et fait à présent partie intégrante de l’Union économique et monétaire ». Une opposition frontale à cette entrée l’aurait sans doute poussé, quand bien même en termes diplomatiques, à nuancer ses propos. Quoiqu’il en soit, la décision finale ne revient pas à la BCE mais au Conseil de l’UE dans sa formation ECOFIN statuant à la majorité qualifiée (seuls les Etats de la Zone euro votent), après recommandation de la Commission.
La « technique chypriote » pointée du doigt (sous-entendue la volatilité du système bancaire) sied-elle aux pratiques lettones ? Il apparaît, dans une étude publiée par la Fondation Robert Schuman, que ce n’est pas le cas. Ainsi, les plus grosses banques du pays, scandinaves, à l’image de la Swedbank, limitent la part de dépôts des non-résidents à 5% et, dès lors que les dépôts des non-résidents dépassent une part de 20% de leurs actifs les banques lettones ont pour obligation de procéder à une augmentation de capital. On est donc bien loin d’une ouverture aux capitaux étrangers sans discernement.
Non, la Lettonie n’est pas un « Chypre bis » !
Racoleuse et sensationnaliste, cette comparaison ne tient en effet pas la route, comme le montre la même étude de la Fondation Robert Schuman, chiffres à l’appui.
On y apprend ainsi que le secteur bancaire letton est loin d’être, en proportion, aussi « boursouflé » que celui de Chypre : les actifs bancaires représentent 128% du PIB (ce qui est en dessous de la moyenne européenne) alors qu’il représente 7.5 fois la richesse nationale de Chypre ! De même, la contribution, en baisse, du secteur bancaire au PIB letton s’élève à 4.5%, la moyenne européenne étant de l’ordre de 6%. Alors qu’à Chypre, l’opacité du système bancaire et ses taux rémunérateurs permettent d’expliquer la forte présence de capitaux russes selon l’étude, ce sont d’autres raisons qui, notamment, justifient cet état de fait en Lettonie : la proximité géographique d’un pays dont la monnaie nationale était arrimée à l’euro depuis 2005 en est une, et pas des moindres. La présence d’une très forte minorité russophone en Lettonie (50% de la population de la capitale Riga, jusqu’à 75% en zones frontalières), explique aussi la très forte présence de capitaux étrangers et notamment de Russie et de la CEI (90% des dépôts des non-résidents selon le FMI) dans le pays. Le niveau de l’impôt sur les sociétés (25%) relativise l’accusation de « paradis fiscal en devenir » porté à l’encontre de l’Etat balte !
Cet article, délibérément « à décharge », n’entend pas pour autant occulter les défis que la Lettonie doit relever pour trouver toute sa place dans l’Eurozone : la lutte contre le blanchiment d’argent, limiter la part des dépôts des non-résidents, en particulier après la fuite des capitaux russes de Chypre, sont les plus saillants. Néanmoins, un tel niveau de suspicion à l’égard de la Lettonie met d’abord et avant tout les institutions européennes face à leurs responsabilités : dotées désormais d’instruments renforcées (six-pack, two pack…) pour superviser les économies de la Zone euro, elles devront donc également se considérer redevables d’un éventuel dérapage du système bancaire et financier letton dans un proche avenir…
1. Le 10 janvier 2014 à 19:22, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Eurozone : halte au « Lettonie-bashing » !
: c’est inexact. Ils ont votés le 20 septembre 2003 leur adhésion à l’Union européenne par référendum avec une majorité de 67,5 % en faveur de ce choix. L’euro est la monnaie de l’Union européenne et, leur pays n’ayant pas négocié de statut particulier relativement à la monnaie unique comme l’ont fait Royaume Uni et Danemark cette adhésion vaut également pour l’euro. La monnaie unique n’est pas une option quand on adhère à l’Union européenne. Personne ne leur a donc forcé la main à cet égard.
2. Le 11 janvier 2014 à 09:26, par Jaseur Boreal En réponse à : Eurozone : halte au « Lettonie-bashing » !
Labdien,
Enfin un article et un point de vue qui rétablit quelques vérités concernant la Lettonie. Le déferlement médiatiques négatifs de titres identiques aux virgules près, quant à l’entrée des lettons dans la zone €uro irrite, par la méconnaissance de la Lettonie et de ses habitants. Les lettons sont déjà passés à autre chose. Nomment une femme en charge de constituer le gouvernement. Ils continuent à oeuvrer. A la différence de Chypre, la Grèce ou l’Espagne qui dépensent trés peu d’énergie pour se chauffer, les Lettons, avec quelques retards de météo hivernale, se préparent maintenant à surmonter et vivre sous des températures moyennes hivernales de -10° à -20°. Leur climat hivernal forge les façons d’agir ensemble autant que leur pratique du chant en chorales géantes, qu’ils organisent et maintiennent depuis 1873, à travers les dictatures nazies et soviétiques.
Venez voir de vous-même en Lettonie, Riga est capitale culturelle Européenne en 2014 ! C’est une destination touristique et le pays vert le plus écologique et respectueux de l’environnement dans la Communauté Européenne
La Fontaine écrivait « on a toujours besoin d’un plus petit que soi » ... Les grands pays Européens ont besoin de petits pays courageux comme la Lettonie pour s’améliorer.
3. Le 11 janvier 2014 à 09:34, par Vincent En réponse à : Eurozone : halte au « Lettonie-bashing » !
C’est exact Monsieur Lentz. Toutefois la Suède a organisé un référendum en 2003 sur l’adoption de l’euro (référendum que les partisans du oui avait très peu de chance de remporter en vu des sondages) alors qu’il avait voté « oui » à l’adhésion à l’UE en 1994.
4. Le 11 janvier 2014 à 11:22, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Eurozone : halte au « Lettonie-bashing » !
Le référendum suédois n’était pas requis. Il s’agit d’une faute de la part du gouvernement de ce pays qui a ainsi rompu avec l’engagement auquel il avait souscrit en 1994.
5. Le 12 janvier 2014 à 10:01, par Vincent En réponse à : Eurozone : halte au « Lettonie-bashing » !
D’un point de vue strictement juridique, et à la différence du Royaume-Uni et du Danemark, la Suède s’est « définitivement » engagée, en 1995, à adopter la monnaie unique, tôt ou tard et quoi qu’il arrive.
Cependant, sachant pertinemment que de très nombreux Suédois, probablement majoritaires, étaient viscéralement hostiles à l’abandon de leur monnaie nationale, la couronne suédoise, le gouvernement de Stockholm fut contraint de faire un geste envers son opinion publique. Afin de calmer les tensions, il décida de ne pas faire partie des premiers états à adopter l’euro en 1999. Après avoir obtenu l’accord des autres états membres de l’Union européenne sur ce qu’il leur présenta seulement comme une astuce de procédure, le gouvernement suédois annonça qu’il consulterait les électeurs pour cela par référendum plus tard, lorsque la monnaie unique européenne circulerait concrètement sous forme fiduciaire dans les pays l’ayant adoptée.
La formule bancale ainsi retenue était porteuse en germe d’un redoutable problème institutionnel : qu’arriverait-il si les Suédois refusaient ensuite par référendum cet euro que les élites du pays s’étaient imprudemment engagées à adopter, quoi qu’il arrive, au moment de la ratification du traité de Maastricht ?
La classe politique suédoise pro-européenne préféra ne pas regarder ce problème en face. Sous l’effet de la méthode Coué, elle s’était en effet persuadée que l’arrivée de pièces et de billets en euros chez les principaux partenaires de la Suède susciterait un enthousiasme tel dans toute l’Europe que les Suédois souhaiteraient rejoindre sans tarder « l’aventure » de la monnaie unique. Et que cet enthousiasme permettrait alors de remporter le référendum haut la main.
Or ce plan fut déjoué par les électeurs. En dépit d’une campagne d’intimidation psychologique intense, les Suédois refusèrent d’adopter la monnaie unique européenne lors du référendum du 14 septembre 2003 (par 57,3 % de Non et 81,2 % de participation).
Depuis lors, la Suède se trouve dans une situation contradictoire : d’une part elle est juridiquement tenue d’adopter la monnaie unique du fait de sa ratification du traité de Maastricht sans réserve ; mais d’autre part, le peuple souverain s’est exprimé et a rejeté cette adoption avec un score ne prêtant pas à discussion.
L’idée des responsables europhiles, d’ailleurs explicitement annoncée en Suède et ailleurs, est de faire revoter les Suédois ultérieurement. Cependant, les résultats catastrophiques de la zone euro et l’amoncellement des problèmes posés par l’euro à partir de la crise grecque du printemps 2010 ont repoussé pour l’instant sine die une seconde consultation référendaire des Suédois. Dans les circonstances actuelles, le rejet de la monnaie unique serait plus cinglant encore qu’en 2003.
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