Euro Rétro 1976 : L’épopée du football tchécoslovaque

, par Samuel Touron

Euro Rétro 1976 : L'épopée du football tchécoslovaque
Image d’illustration : Matthew Henry from Burst

Alors que l’édition 2020 du championnat d’Europe des nations, voulue comme une édition anniversaire afin de célébrer les soixante ans de la création de la compétition se déroule finalement en juin 2021 dans onze pays différents, le Taurillon propose de revenir sur l’histoire du tournoi. Contexte politique, résultats sportifs, replongez en arrière et revivez ces chapitres du roman du football continental. Organisé en Yougoslavie du 16 au 20 juin, l’Euro 1976 est la cinquième édition du championnat d’Europe de football. Il voit la Tchécoslovaquie être sacrée championne d’Europe, récompensant un football tchécoslovaque au sommet alors que l’équipe nationale qui avait échoué à se qualifier au Mondial 1974 était encore en pleine reconstruction. Un geste célèbre, en finale, face à l’Allemagne de l’Ouest, a marqué à jamais le football mondial et a rendu cet Euro mythique.

En 1976, le format de l’Euro différait beaucoup de celui que nous connaissons actuellement. Les éliminatoires voyaient s’affronter, durant une saison complète, les différentes équipes dans huit groupes différents. Les premiers de chaque groupe s’affrontaient lors des quarts-de-finale et la phase finale débutait avec les demi-finales, l’un des pays qualifiés en quart faisant office de pays hôte de la phase finale.

La France éliminée d’emblée, la Yougoslavie et les Pays-Bas en embuscade

À la fin des phases de groupe huit nations sont qualifiées en quart : la Tchécoslovaquie, victorieuse notamment de l’Angleterre 2-1 ; le Pays de Galles qui surprend en devançant l’Autriche et surtout la Hongrie ; la Yougoslavie ; les Pays-Bas ; l’URSS ; la Belgique qui termine devant l’Allemagne de l’Est et la France et, dernière qualifiée, l’Allemagne de l’Ouest.

L’Italie termine troisième de son groupe derrière la Pologne et les Pays-Bas tandis que la France, malgré une victoire 3-0 face à l’Islande, poursuit sa longue traversée du désert commencée avec l’obtention de la dernière place de son groupe lors du Mondial 1966. C’est une énorme erreur défensive de Bernard Lacombe qui coûte la qualification aux Bleus qui s’inclinent d’emblée face aux Diables Rouges. Le nul obtenu face à l’Allemagne de l’Est (2-2) anéantira toute chance de qualification. Pourtant, pouvant compter sur sa fameuse « garde noire » en défense, composée de Marius Trésor et de Jean-Pierre Adams qui s’était révélé au Nîmes Olympique, l’équipe de France pensait enfin pouvoir relever la tête en compétition internationale. Il n’en fut rien.

Les quarts-de-finale sont prolifiques, les buts pleuvent et dégager un favori s’avère difficile. Les Pays-Bas impressionnent en s’imposant 5-0 à l’aller puis 2-1 au retour face à la Belgique. La Tchécoslovaquie s’impose 4-2 sur l’ensemble des deux matchs (2-0 à l’aller et 2-2 au retour) face à l’Union Soviétique. L’Espagne qui vit alors, sans encore le savoir, les derniers mois du franquisme - le 17 novembre 1976, la loi de réforme politique entraîne l’auto-dissolution des Cortes franquistes qui laisse la place à deux chambres élues démocratiquement, et les partis politiques et les syndicats sont légalisés - est éliminée par l’Allemagne de l’Ouest (3-1 sur les deux matchs). Enfin, la Yougoslavie, dont l’Etat et l’équipe de football sont en plein « âge d’or » (le taux de croissance yougoslave dépasse les 7% dans les années 1970 avec une grande liberté culturelle), élimine sans forcer la surprenante équipe du Pays-de-Galles.

Étonnante Tchécoslovaquie !

À première vue, les demi-finales font assez peu débat en termes de favoris : les Pays-Bas, vice-champions du monde, emmenés par la génération dorée de Johann Cruyff et Johnny Rep, finalistes malheureux la même année, avec l’AS Saint-Etienne, de la coupe d’Europe des clubs, ne doivent faire qu’une bouchée des Tchécoslovaques.

Dans l’autre demi-finale, l’Allemagne de l’Ouest de Franz Beckenbauer, championne du monde en titre, doit faire face à une solide équipe yougoslave qui joue devant ses 70.000 supporters depuis l’ancien stade de l’Étoile Rouge, surnommé le « Marakana » des Balkans. La qualité du football allemand doit cependant, selon les spécialistes de l’époque, permettre de placer la Mannschaft en position de favori.

Après les 45 premières minutes du match opposant la Yougoslavie à la RFA, rien ne se passe comme prévu. Menée 2-0 à la suite de réalisations de Danilo Popivoda (19e) et surtout de Dragan Džajić (30e), véritable légende du football yougoslave et du SC Bastia (il permet au club corse de terminer troisième du championnat français en 1977), la RFA est en grande difficulté. Finalement, un but de Heinz Flohe (64e) et de Dieter Müller (82e) permettent à l’Allemagne de l’Ouest d’arracher des prolongations inespérées. Deux autres buts de Dieter Müller (115e, 119e) permettent aux ouest-allemands de l’emporter dans un « Marakana » éteint. Les champions du monde sont en finale.

Dans l’autre demi-finale, à la surprise générale, une étonnante et solide équipe de Tchécoslovaquie domine une équipe néerlandaise très terne. Anton Ondruš, joueur du Slovan Bratislava, ouvre la marque à la 19ème minute avant de marquer contre son camp à la 77ème minute, ce qui ne l’empêche pas d’être encore à ce jour une « légende vivante » en Slovaquie. En prolongations, Zdeněk Nehoda, joueur le plus capé de la sélection tchécoslovaque inscrit un premier but à la 115ème minute avant d’être imité par František Veselý à la 119ème minute envoyant, logiquement, au regard du match, la Tchécoslovaquie en finale.

Antonín Panenka écrit l’Histoire et sa légende

C’est à Belgrade dans un stade de l’Étoile Rouge désormais à moitié vide, que se joue la finale, l’élimination de la Yougoslavie ayant aussi éliminé la ferveur. Tchécoslovaquie - Allemagne de l’Ouest, l’affiche est au moins en partie inattendue. Ce sont les joueurs tchécoslovaques qui frappent les premiers. Ján Švehlík ouvre la marque d’entrée, dès la huitième minute, Karol Dobiaš, seize minutes plus tard, d’une belle volée, double la mise.

L’Allemagne de l’Ouest, piquée au vif, se réveille alors. Dieter Müller, meilleur buteur de la compétition, réduit l’écart dans la foulée, mais butant sur une solide défense, la Mannschaft n’y arrive pas. C’est alors que Bernd Hölzenbein à la 89ème minute, sur corner, malgré son 1m72 s’envole et de la tête égalise. Les prolongations ne donnent rien. Ce sera la séance de tirs aux buts qui décidera du vainqueur, une première dans l’histoire de la compétition.

La tension est à son comble. Deux équipes, deux styles, deux mentalités de jeu s’affrontent : la méritante Tchécoslovaquie face à l’arrogante et brillante Allemagne de l’Ouest. Deux mondes s’affrontent : l’idéologie et les valeurs du communisme face à celles du capitalisme. Le maillot rouge marqué du lion face au maillot blanc flanqué de l’aigle. Les quatre premiers tireurs tchécoslovaques réussissent l’exercice, Ulrich Hoeness, le quatrième tireur ouest-allemand s’élance et c’est au-dessus ! Le public exulte, la Tchécoslovaquie est à un but du premier titre de son histoire.

Antonín Panenka s’avance, sur ses épaules, le poids de deux nations qui n’en forment alors qu’une seule, le poids d’un modèle politique également. L’Histoire est face à lui, il la regarde droit dans les yeux. Il s’élance. D’un mouvement souple du pied, il effleure la balle qu’il lève, au ralenti, elle s’élève, en cloche, le gardien allemand plonge mais la trajectoire de la balle est droite, limpide. Impuissant, Sepp Maier regarde le ballon rentrer dans ses cages. La Tchécoslovaquie est championne d’Europe. Antonín Panenka est une légende.

Le geste d’Antonín Panenka devient un véritable mythe. Son audace, son sang-froid et son talent ont fait de lui, ce soir du 20 juin 1976, une figure légendaire du football. La « panenka » fut popularisée dans les années 1990 par le football italien qui redécouvre alors ce geste. L’allemand Rudi Völler et l’italien Francesco Totti s’en feront les chantres tandis que Zinédine Zidane, un célèbre soir de juillet 2006, face à l’Italie lors d’une autre finale, ravivera à jamais la légende d’Antonín Panenka. Un footballeur dont le nom est devenu synonyme d’une manière de frapper le ballon, l’accomplissement suprême pour tout joueur, est le symbole d’une époque où la Tchécoslovaquie régnait sur le football européen.

La fiche : Euro 1976 - Finale : Tchécoslovaquie 2-2 République fédérale d’Allemagne Buts : Svehlik (8’) et Dobias (25’) pour la Tchécoslovaquie, D.Müller (28’) et Hölzenbein (89’) pour la République fédérale d’Allemagne.

Tchécoslovaquie : Ivo Viktor - Karol Dobias, Jozef Čapkovič, Anton Ondruš, Ján Pivarník - Antonín Panenka, Jozef Móder, Marian Masny, Zdenek Nehoda - Koloman Gögh, Ján Švehlík Sélectionneur : Václav Ježek

République fédérale d’Allemagne : Sepp Maier - Berti Vogts, Bernard Dietz, Hans-Georg Schwarzenbeck, Franz Beckenbauer - Herbert Wimmer, Rainer Bonhof, Uli Hoeness, Erich Beer - Dieter Müller, Bernd Hölzenbein Sélectionneur : Helmut Schön

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