Entre Bruxelles et Chișinău, Moscou n’est jamais loin

, par Nicolas Kricfalusi

Entre Bruxelles et Chișinău, Moscou n'est jamais loin
Maia Sandu, Première ministre de la République de Moldavie, au Parlement européen, le 11 novembre 2022 crédit : Parlement européen

En juin 2022, face à l’invasion russe en Ukraine, le gouvernement moldave dépose la candidature du pays à l’adhésion à l’Union européenne (UE) et, le même mois, le Conseil européen accorde à la Moldavie le statut de « pays candidat à l’UE ». Une fois ce premier cap passé, une phase de préadhésion assez longue s’annonce puisque le pays candidat doit intégrer dans son droit un grand nombre d’actes législatifs européens, la Première ministre moldave pro-européenne Maia Sandu évoquant dans un tweet les nombreuses réformes que le pays doit entamer. Cependant, ces critères de préadhésion ne sont pas tout ; la Moldavie doit faire face à une forte présence russe au sein-même de son territoire qui pose problème à l’adhésion finale du pays à l’UE.

Enclavée entre la Roumanie et l’Ukraine, la Moldavie est indépendante depuis 1991. Accédant en 2004 à la Politique européenne de voisinage (PEV), la Moldavie a bénéficié de la part de l’UE d’une procédure d’accompagnement visant à intégrer graduellement le pays au sein du marché intérieur et à accompagner les réformes structurelles, ce qui devrait grandement augmenter ses chances de rejoindre l’Union européenne dans le moyen terme. Sur le papier, tout est en ordre pour une adhésion sans heurts. C’est sans compter sur la Russie qui est présente dans le pays. En effet, deux régions moldaves sont sous forte influence russe : la Transnistrie et la Gagaouzie. Internationalement reconnues comme faisant parties intégrantes de la Moldavie, ces deux régions aux accents russophiles mettent à mal les projets européens de Chisinau.

La Transnistrie et la présence militaire russe

Située sur la rive gauche du Dniestr, la Transnistrie est un État indépendant de facto faisant auparavant partie de la Moldavie et comptant près de 350 000 habitants. Majoritairement russophone, le pays sécessionniste a gagné son indépendance à l’issue d’une guerre opposant les troupes transnistriennes, soutenues par Moscou, aux troupes moldaves. De nos jours, la Transnistrie n’est reconnue par aucun État membre de l’Organisation des Nations-Unies (ONU), bien qu’elle soit massivement soutenue financièrement et militairement par la Russie.

Du temps de l’URSS, la 14ème Garde de l’Armée rouge soviétique était présente dans la région depuis 1965. En 1995, les forces militaires russes – toujours présentes – se renomment « Groupe opérationnel des forces russes en Transnistrie » ; cette force opérationnelle est composée de plus ou moins 1500 soldats russes et est censée « veiller à un maintien de la paix » dans la région mais, dans les faits, existe afin de maintenir une présence militaire russe dans la région. Avec le soutien de l’Assemblée générale des Nations-Unies, le gouvernement moldave a plusieurs fois demandé le retrait immédiat des troupes russes, sans succès. Ce retrait semble peu probable tant la présence militaire russe est profitable à l’État sécessionniste. Non seulement son indépendance est garantie, mais le stationnement de troupes russes permet également à la Transnistrie de pratiquer des entraînements militaires communs avec l’armée russe ainsi que d’importer illégalement du nouveau matériel militaire. Ces circonstances économiques extrêmement favorables, bien que bafouant le droit international, participent au développement d’un sentiment russophile au sein d’une population transnistrienne majoritairement russophone.

De plus, avec son emplacement géographique stratégique et le soutien russe, la Transnistrie possède des moyens de pression sur l’UE. En effet, alors que plus de 60% de son PIB est le fait de l’économie illégale et de la contrebande, la Transnistrie exporte plus de 70% de ses produits vers le marché intérieur européen. Avec la présence de matériel militaire russe sur son territoire, le pays sécessionniste menace d’exporter illégalement des armes si l’UE venait à nuire à l’économie transnistrienne ou si la force opérationnelle russe venait à quitter la région. Le problème militaire transnistrien expose une des faiblesses principales de l’UE, qui, à elle seule, n’a pas de grands moyens face à une politique étrangère russe militaire et agressive.

La Gagaouzie, une bombe à retardement ?

De la taille d’une agglomération urbaine et composée de 155 000 habitants, la Gagaouzie est un « district autonome » de Moldavie dont une des langues principales, avec le roumain et le russe, est le gagaouze, une langue turque. Historiquement, la région est russophile et depuis la dislocation de l’URSS au début des années 1990, la Gagaouzie a exprimé des velléités d’indépendance mais n’en a jamais eu les moyens ; la région en a toutefois tiré un statut de région autonome qui lui confère une marge de manœuvre assez grande – ce qui peut compliquer grandement les relations entre la Moldavie et l’Union européenne.

La constitution moldave donne à la Gagaouzie le droit à l’autodétermination. C’est dans ce cadre que les autorités gagaouzes ont organisé en février 2014 un référendum sur la direction géopolitique que la région devrait prendre. Trois questions étaient soumises aux électeurs ; la première demandait si la Gagaouzie devait adhérer à l’Union douanière eurasiatique, la deuxième demandait si un rapprochement avec l’UE devait être entamé et la troisième posait la question d’une hypothétique indépendance gagaouze en cas de « perte de souveraineté de la Moldavie ». De nombreux observateurs ont contesté la légitimité du scrutin et l’impartialité des autorités gagaouzes, accusées d’être pro-russes et d’avoir favorisé le vote pro-russe. En effet, les votants se sont exprimés à plus de 90% en faveur de l’Union douanière eurasiatique, contre le rapprochement avec l’UE et pour l’indépendance gagaouze si la Moldavie venait à rejoindre l’UE – les autorités gagaouzes considérant qu’un accès du pays à l’UE équivaut à la perte de souveraineté totale du pays.

Bien que le référendum ait été considéré comme illégal par les autorités moldaves, notamment à cause des modalités du scrutin, ce dernier a illustré l’orientation pro-russe de la région. Cela montre également que toute tentative de rapprochement entre Bruxelles et Chisinau doit être faite en prenant en compte la Gagaouzie, ce qui risque de grandement réduire le champ d’action possible du gouvernement moldave.

La guerre en Ukraine changera-t-elle la donne ?

Les principales difficultés de la Moldavie à rejoindre l’Union européenne sont le fait des tensions géopolitiques présentent dans la région. Que ce soit militairement et économiquement en Transnistrie ou par le biais de son soft power en Gagaouzie, la Russie est bien présente en Moldavie. À cela, il faut ajouter qu’une partie importante de la classe politique et de l’électorat moldaves voit favorablement la Russie et ne voit pas le rapprochement avec l’UE d’un bon œil. L’élection de Maia Sandu à la présidence et le succès de son parti pro-européen aux législatives semblaient déjà avoir changé la donne, reste à voir les répercussions (géo-)politiques que la guerre en Ukraine aura en Moldavie sur le long terme.

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