Un mode de scrutin redoutable
En instaurant la Ve République, le général de Gaulle souhaitait mettre fin à l’instabilité ministérielle qui rongeait alors la France. Il s’en était d’ailleurs expliqué dans un discours en 1965 : « J’ai proposé au pays de faire la Constitution de 1958 […] dans l’intention de mettre un terme au régime des partis. C’est dans cet esprit que la Constitution a été faite. ». Cela s’est traduit par l’instauration du septennat, du parlementarisme « rationnalisé » pour ne pas dire contenu, par un exécutif renforcé et par une petite subtilité dont l’importance est sous-estimée par beaucoup : le scrutin uninominal majoritaire à deux tours.
L’objectif de ce mode de scrutin répond en tout point à l’objectif premier du général de Gaulle : mettre fin à l’instabilité ministérielle causée par le poids donné aux partis avec le système électoral à la proportionnelle. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La France est passée de la catégorie des pays ayant un Gouvernement à une durée de vie réduite autour de 4 mois sous la IVe République à celle des pays ayant le Gouvernement le plus stable. Le revers de la médaille est néanmoins important et explique en grande partie la crise politique que traverse le pays des droits de l’Homme : il s’agit de la disparition de la représentativité politique.
La spécificité française
Malgré les problèmes considérables posés par ce mode de scrutin, celui-ci n’a pas durablement été remis en cause par les deux grands courants politiques traditionnellement dominants : le parti socialiste (gauche) et les Républicains (droite). Certains objecteront que François Mitterrand avait instauré la proportionnelle pour les législatives de 1986. Mais, à l’époque, dans un paysage politique pourtant bien établi, l’extrême-droite avait réussi à envoyer 35 parlementaires à l’Assemblée Nationale provoquant un véritable séisme dans la vie politique française. La droite alors menée par Jacques Chirac n’avait obtenu la majorité requise pour gouverner que de peu. Pour éviter une nouvelle catastrophe, il fut rapidement décidé de revenir au mode de scrutin majoritaire qui malgré tous ses inconvénients évitait que l’extrême-droite ne fasse son entrée au Parlement. Et bon an, mal an, c’est ce qui s’est passé.
Aujourd’hui, malgré des scores qui crèvent les plafonds, le FN ne dispose que de 2 députés sur 577 et 2 sénateurs sur 348, une paille. Et à l’image de ce qu’il s’est récemment passé en Autriche, il y a fort à penser que cela ne changera pas avant un moment. Tout simplement parce qu’il y aura très souvent une majorité du corps électoral hostile à une arrivée au pouvoir de l’extrême-droite au pouvoir.
Une situation figée
Si le changement ne peut venir des extrêmes, peut-il émerger d’un courant « républicain » ? Pas tellement plus. A chaque élection présidentielle, les Français ou tout du moins, une partie d’entre eux se met à rêver de « renverser » la table en optant pour un candidat « nouveau » venant souvent du centre.
En 1965 déjà, ce fut Jean Lecanuet qui rentra bien vite dans le rang de son « camp » en s’alliant à la droite pour entrer au Gouvernement.
En 2002, surprise, le candidat d’extrême-droite se qualifia pour le second tour avant d’être sèchement battu par le président sortant, Jacques Chirac qui venait pourtant de réaliser l’un des pires scores au premier tour pour un Président sortant.
En 2007, ce fut le tour de François Bayrou qui avec presque 19% des voix, portait le centre à un niveau inédit dans une élection présidentielle. Malgré ce score, il fut écarté du second tour, perdit son groupe politique à l’Assemblée Nationale et fut marginalisé politiquement faute d’avoir conclu un accord électoral avec la droite pour convertir son électorat présidentiel en sièges parlementaires sonnants et trébuchants.
2012 : bis repetita. Malgré un score jamais vu dans une élection présidentielle, l’extrême-droite restait aux portes du pouvoir. Bien que célébré alors comme une victoire, cela restait néanmoins une défaite. Quant au troisième homme de 2012, François Bayrou, il divisait son score de 2007 par deux en dépassant avec difficultés les 9%.
En 2017, malgré l’échec successif des deux courants politiques traditionnels, rien ne semble changer. Avec une impopularité record, François Hollande - le Président sortant - a renoncé à se présenter. Malgré un fort rejet dans l’opinion et le succès de sa primaire, la droite ne parvient pas à décoller même si son candidat est crédité d’un score avoisinant les 27%. L’extrême-droite reste toujours à un niveau élevé proche des 25%. Arrive donc le « troisième homme » en la personne d’Emmanuel Macron. Celui-ci serait crédité d’un score tournant autour des 20%. Suffisant pour être entendu durant la campagne, insuffisant pour être élu.
Une histoire de soufflé
Pour nombre d’électeurs qui avaient voté utile en 2012 pour éjecter Nicolas Sarkozy du pouvoir, le candidat Macron représente l’espoir qu’un changement démocratique reste possible. Et d’ailleurs, son électorat potentiel ressemble beaucoup à celui de François Bayrou en 2012 : centriste, rassemblant des déçus du PS et des électeurs pour qui le conservatisme rigide de François Fillon n’est pas envisageable.
Les soutiens d’Emmanuel Macron risquent pourtant de faire face à la même désillusion. Pourquoi ? Parce que le scrutin majoritaire va doucher leurs espoirs et broyer la dynamique Macron. Sans parti réellement installé, sans base militante solide et surtout sans un maillage d’élus existant, l’effet Macron ne passera probablement pas le printemps. Fin juin aura lieu le vrai révélateur : les élections législatives.
Le scrutin majoritaire impose de bien connaître chaque circonscription. Chose impossible pour un parti rassemblant en majorité des nouveaux venus et des déçus de la politique. Chacun des deux grands partis traditionnels tient solidement ses mairies et ses collectivités. La droite qui a raflé la mise lors des élections intermédiaires part l’esprit tranquille. Le PS même laissé pour mort, compte toujours de nombreux élus. L’extrême-droite qui a tenté de s’implanter a vu le tiers de ses conseillers municipaux fraichement élus démissionner en moins de 2 ans et quitter la politique, dégoûtés par les pratiques autoritaires qu’ils ont pu observer [1].
On peut toujours dire qu’à défaut d’avoir gagné une élection, Emmanuel Macron a su rallier à son panache blanc des élus d’autres partis (MoDem, Udi, PS). Mais un ralliement n’est pas sans risques. François Bayrou l’a appris à ses dépens en 2012. Et prenant les devants, Hervé Morin a immédiatement apporté son soutien à François Fillon lors du second tour de la primaire de la droite alors que la fédération de partis à laquelle il appartient soutenait son adversaire Alain Juppé.
L’enthousiasme de la présidentielle retombant et la probable défaite aux législatives aidant, la marche d’Emmanuel Macron risque bien vite de s’essouffler. L’histoire n’est pas nouvelle. Au XVIIe siècle déjà, un certain Jean de la Fontaine avait écrit une fable sur le sujet : la Grenouille et le Bœuf. Son protecteur d’alors était un certain Nicolas Fouquet [2]
1. Le 12 janvier 2017 à 11:41, par Marc Nikolov
En réponse à : Emmanuel Macron : le troisième homme
« Sans parti réellement installé, sans base militante solide et surtout sans un maillage d’élus existant, l’effet Macron ne passera probablement pas le printemps. Fin juin aura lieu le vrai révélateur : les élections législatives. »
Ceci dit, le mouvement En Marche a 3166 comités locaux en France et ailleurs, cela compte peut etre comme un maillage territorial, pas d’élus, mais de citoyens ?
Sur les législatives, la question lui a été récemment posée. Il répond que les élus partisans sont libres de se présenter aux législatives pour le mouvement En Marche, sans pour autant renoncer à leurs attaches partisanes. Plus que libres, leur goût du pouvoir les poussera à le faire s’il est élu en mai. Qu’en penses tu ?
2. Le 13 janvier 2017 à 21:47, par Patrick Borrot
En réponse à : Emmanuel Macron : le troisième homme
Bonjour,
à trop vouloir prouver, on se trompe !
L’assertion suivante est erronée : " En 1965 déjà, ce fut Jean Lecanuet qui rentra bien vite dans le rang de son « camp » en s’alliant à la droite pour entrer au Gouvernement. " Jean Lecanuet ne fut ministre que sous Giscard, c’est-à-dire à partir de 1974, soit neuf ans plus tard.
C’est d’ailleurs oublier l’histoire du Centre en France dans les années 1960. Lorsque le MRP a constaté son désaccord avec de Gaulle sur la construction européenne, ses cinq ministres ont tous démissionnés. Le MRP s’est alors installé dans l’opposition. Jean Lecanuet, le 3ème homme de l’élection présidentielle de 1965, ne donna pas de consigne de vote pour le 2ème tour. Lorsqu’il s’est transformé en "Centre Démocrate" en 1966, il a continué à être dans l’opposition. En 1969, lorsque de Gaulle a démissionné de la Présidence de la République, des dissidents du Centre Démocrate ont appuyé la candidature de Pompidou et ont fondé le Centre Démocratie et Progrès. Parmi eux, de futurs ministres tels que Jacques Duhamel, René Pleven. Le CDP soutient la candidature de Jacques Chaban-Delmas en 1974, sans succès. Le Centre Démocrate est resté dans l’opposition à Pompidou et a même créé en 1972 le Mouvement Réformateur avec le Parti Radical de JJSS. Le Centre Démocrate soutient la candidature de VGE qui devient président en 1974. Lecanuet devient Garde des Sceaux puis Ministre du Plan et de l’Aménagement du territoire de 1976 à 1978. 1976 voit la fusion du CD et du CDP en CDS (Centre des Démocrates Sociaux), composante majeure de la future UDF créée en 1978.
3. Le 26 janvier 2017 à 19:13, par giraud jean guy
En réponse à : Emmanuel Macron : le troisième homme
Une erreur et un oubli de taille :
– l’élection présidentielle précède les élections législatives : un candidat « hors sol » peut très bien l’emporter à la première. À son mouvement de préparer les secondes, « au cas où ». Ce qui, en effet, provoquerait un certain remue-ménage et méninges à droite comme à gauche !
– le candidat Macron a un programme européen quasi-fédéraliste. Pourquoi faire la fine bouche ?
JGGiraud
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