Elmar Brok : « Les listes transnationales sont un pêché contre le fédéralisme »

Entretien avec Elmar Brok, membre du Parlement européen (PPE) et président de l’Union des fédéralistes européens (UEF)

, par Gesine Weber, Traduit par Caroline Iberg

Toutes les versions de cet article : [Deutsch] [English] [français]

Elmar Brok : « Les listes transnationales sont un pêché contre le fédéralisme »
Elmar Brok au Congrès du PPE de mars 2017, à Malte. CC - European People’s Party

Début février, le Parlement européen a voté contre l’introduction de listes transnationales lors des élections européennes grâce aux votes du groupe PPE. Le débat n’est toutefois pas encore terminé. Dans une interview accordée à treffpunkteuropa.de, Elmar Brok, membre du groupe PPE au Parlement européen et président de l’Union des fédéralistes européens (UEF), commente ce vote.

treffpunkteuropa.de : Mercredi 7 février, vous avez voté contre l’introduction de listes transnationales lors des élections européennes de 2019 au Parlement européen. Compte tenu des critiques que vous avez reçues notamment de la part des associations pro-européennes, choisiriez-vous de maintenir votre décision si vous pouviez revoter ?

Elmar Brok : Oui. J’ai toujours été profondément contre les listes transnationales et je l’ai toujours dit. En effet, je n’ai connaissance d’aucune constitution nationale fédérale établissant des listes nationales. Et pour cause : les listes transnationales sont une hérésie politique contre le fédéralisme. La légitimité démocratique se manifeste avant tout par la proximité des citoyens. Je voudrais être élu chez moi à Ostwestfalen-Lippe, et non sur une liste entre Helsinki et Lisbonne, où aucun citoyen ne me considère comme son point de contact. Je crois que les citoyens devraient voter dans leurs circonscriptions, dans leurs régions, et que cela nous conduise au sein du Parlement européen, des groupes politiques, à exercer pour des intérêts européens communs. Je me suis toujours engagé pour l’Europe, même en conflit avec mon parti, pour ma conviction.

Avez-vous voté contre les listes parce que le système actuel présente des avantages évidents pour le PPE et que vous craigniez de perdre des votes pour les petits partis à travers des listes transnationales ?

Elmar Brok : Personne ne peut m’accuser de dépendance au parti. J’appartiens à un parti qui se bat pour l’Europe depuis 1946 sous Adenauer. J’appartiens à un parti qui a continué avec Kohl et Merkel. L’UEF doit rassembler tous les partis pro-européens, sinon elle n’est pas utile. Si cette proposition peu claire avait été adoptée au Parlement, elle aurait favorisé injustement les grands États membres, puisque leurs partis l’emporteraient lors de l’établissement des listes. Sur les listes, les quatre à huit premières places seraient assurées aux politiciens des grands pays. Cela aurait signifié au moins trois autres sièges pour l’Allemagne. La CDU gagnerait certainement un siège de plus. Je ne peux pas soutenir cela en tant que fédéraliste !

Le Parti populaire européen a toujours fait campagne pour un processus de candidature de haut niveau. Cependant, de nombreux chefs de gouvernement s’y sont opposés, car cela accroît le pouvoir du Parlement européen et donc des citoyens. En revanche, les listes transnationales ne changent pas le pouvoir du Conseil. De plus, les 27 mandats attribués aux différents partis n’ont aucune influence sur les majorités au Parlement européen. Cela voudrait donc dire selon le modèle rejeté que les 705 députés élus directement par les citoyens ne comptent pas ?

Avant les élections législatives régionales en Sarre en 2017, la CDU de la Sarre avait déclaré, suite à une question de treffpunkteuropa.de, avoir une opinion neutre concernant le fait que les listes transnationales devraient être introduites dans l’Euromat avant les élections fédérales. Pourquoi les députés de la CDU ont-ils alors voté contre ?

Elmar Brok : Les députés CDU ne suivent pas les instructions de Berlin ou de Sarrebruck, et, comme le Parti populaire européen, se forment leur propre opinion dans un débat totalement démocratique. Seuls nos amis espagnols ont voté pour des listes transnationales. Ceci avec l’impression que le président Mariano Rajoy voulait remercier le président français Emmanuel Macron pour son attitude envers la Catalogne.

Cette proposition est plus ou moins controversée dans tous les groupes politiques et pays. Il est vrai que presque tous les membres du PPE ont voté contre la proposition. Mais vous trouvez aussi (parfois en grand nombre) des collègues des groupes S&D, ADLE, GUE / NGL et des Verts qui ne pouvait pas voter en faveur. C’est un problème du Parlement européen dont les électeurs ont rarement connaissance et accès à notre travail. Cela affaiblit notre légitimité. Par conséquent, je ne suis pas le seul à défendre un système électoral qui régionalise les élections encore plus loin qu’auparavant.

Un argument important des conservateurs au Parlement européen contre les listes transnationales est que ces listes seraient de pures listes de fonctionnaires et seraient donc éloignées des citoyens. Cette déclaration ne s’applique-t-elle pas davantage au système électoral actuel ?

Elmar Brok : Le PPE est le parti démocrate-chrétien de Gaspari, Adenauer, Schuman et Kohl. Le PPE est un parti du centre et non un parti conservateur. Je suis, sur le plan politique, le représentant parlementaire des électeurs de ma circonscription et, à travers mon élection, des représentants de l’ensemble de l’électorat européen. Pour chaque déclaration, chaque support et chaque vote en séance plénière du Parlement européen, je dois être en règle par rapport à l’Ostwestfalen-Lippe et l’électorat européen. Les listes transnationales contribuent à l’éloignement parce que ces 27 députés possibles volent entre Helsinki et Lisbonne et ne sont pas avec les citoyens sur le terrain, pas dans la vie quotidienne des citoyennes et citoyens. Et c’est ce que je veux. Ce n’est que lorsque les députés sont directement tangibles pour les électeurs lors des courses au supermarché, dans les transports publics ou au restaurant que cela crée de la proximité. Helsinki et Lisbonne sont certes de très belles villes, mais on ne m’y rencontrera pas. Je me demande comment vous transformez la question des listes transnationales en politique partisane. Je le répète : regardez le comportement de vote de nombreux députés des autres groupes. Analysez pour vos lecteurs le comportement de vote de l’ensemble du Parlement.

Que proposez-vous comme alternative pour obtenir un taux de participation plus élevé aux élections européennes ? Pensez-vous que le vote obligatoire serait une bonne solution ?

Elmar Brok : Le droit général, libre et égal à voter est une réalisation qui date du siècle dernier. Les générations précédentes ont combattu pour elle. La capacité de participer à des élections est un privilège que nous devrions tous utiliser consciemment. Cependant, je ne suis pas pour une obligation européenne d’aller voter - voter ne peut pas être une obligation. Et le vote obligatoire ne peut pas être la réponse à la participation parfois faible aux élections européennes. De plus, nous ne pouvons pas sérieusement envisager de forcer la prise de décision collective dans un système libre. Il est important que chacun puisse voter de manière efficace.

Par ailleurs, pensez-vous sérieusement que des listes transnationales éloignées du citoyen peuvent augmenter le taux de participation aux élections ? En revanche, le processus du "Spitzenkandidat" [1], que le PPE a introduit dans le traité de Lisbonne, a lui ouvert un discours européen important. Le citoyen a besoin de savoir que sa voix a de l’influence sur le prochain "gouvernement" européen. Dans toutes les démocraties parlementaires, et bien sûr aussi en Allemagne, c’est cela qui est crucial pour le taux de participation. Nous avons modifié les statuts du PPE de sorte qu’en novembre 2018 un "Spitzenkandidat" doit être élu lors d’un congrès européen du parti. Nous irons ensuite le présenter au niveau européen. Pour ce faire, nous fournirons au candidat ou à la candidate un programme à l’échelle européenne. Savez-vous par exemple exactement ce que le président Macron souhaite ? Le Conseil européen et ses membres ne doivent pas s’interposer dans le processus du "Spitzenkandidat" qui est inscrit dans la "Constitution".

Comment le PPE au Parlement européen peut-il faire de la politique pro-européenne si les membres du parti national-conservateur hongrois Fidesz appartiennent au groupe ?

Elmar Brok : Les groupes politiques au Parlement européen sont une assemblée d’eurodéputés directement élus qui partagent un ensemble commun de valeurs et de visions pour l’Europe. Le Parti populaire européen prouve quotidiennement, oui quotidiennement, qu’il mène des politiques pro-européennes. Comme le montrent le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, et le président du Conseil, Donald Tusk.

Néanmoins, il est important de dénoncer les déclarations anti-européennes au sein de sa propre famille politique. Récemment, j’ai subi davantage de critiques et d’insultes personnelles parce que j’ai critiqué les événements politiques en Pologne et en Hongrie. Il serait bon que les socialistes se rapprochent intérieurement et extérieurement de leurs amis bulgares et roumains, comme nous le faisons en Hongrie.

Pour le Président français Emmanuel Macron, l’introduction de listes transnationales aurait été l’accomplissement d’une promesse électorale importante et donc d’un succès national. Maintenant, en tant que conservateur, vous l’avez stoppé sur sa route vers la réussite politique européenne. Avez-vous peur de l’unilatéralisme pro-européen de la France ?

Elmar Brok : Encore une fois : je ne suis pas un conservateur. En dehors de cela, le PPE n’est pas là pour se conformer aux promesses électorales françaises. La politique pro-européenne dans les États membres reçoit mon plus grand soutien. L’Europe n’existe pas à cause des traités. Elle existe en raison de l’idée européenne dans le cœur des citoyens et de leurs gouvernements nationaux. Si le succès d’Emmanuel Macron dépendait des listes transnationales, alors il serait bien mince. Mais vous ne pouvez vraiment pas dire cela à propos du succès d’Emmanuel Macron. Dans une Europe unifiée, je pense que ce n’est jamais bon de faire son chemin de manière solitaire, y compris en Allemagne.

Dans quelle mesure l’accord de coalition - à condition qu’il n’échoue pas à cause du vote des membres du SPD - est-il réellement un " nouveau départ pour l’Europe " et un oui à l’ambitieuse politique européenne d’Emmanuel Macron ?

L’accord de coalition établit le cadre du futur gouvernement fédéral. Le programme du gouvernement fédéral sera vivement pro-européen. Une France renforcée est la bienvenue en Allemagne, car le leadership et le fardeau seront redistribués. La politique allemande fait des propositions ambitieuses sur les questions de sécurité interne et externe et sur les conséquences sociales et économiques de la mondialisation. Elle préconise donc un budget européen accru pour la prochaine période financière et un futur budget d’investissement. Un point important est également un Fonds monétaire européen contrôlé par le Parlement en vertu du droit de l’UE. Les mesures contre l’évasion fiscale sont également très importantes. En tout état de cause, la politique allemande ne soutiendra pas la division de la zone euro et des autres États membres, y compris institutionnelle. Toutes ces propositions et positions sont dans une large mesure compatibles avec le rapport Bresso/Brok du Parlement européen, les propositions de la Commission européenne du 6 décembre et de nombreuses propositions du président Macron.

Notes

[1N.D.L.R. : Ce principe de « candidats en tête de liste » a été mis en œuvre pour la première fois à l’occasion des élections européennes de 2014 et consiste pour les partis européens à désigner leur candidat à la présidence de la Commission européenne. Le parti qui obtient le plus de vote aux élections voit en théorie son candidat accéder à ce poste.

Vos commentaires
  • Le 17 février 2018 à 16:11, par François MENNERAT En réponse à : Elmar Brok : « Les listes transnationales sont un frein au fédéralisme »

    À ma connaissance, en Allemagne, les élections européennes se font sur la bases de listes « nationales », ce que Macron veut ré-introduire en France. Quelle proximité cela apporte-t-il avec les électeurs ?

    Par conséquent plusieurs arguments de Brok tombent. En outre, il n’a jamais été question de ne proposer que des listes transnationales !

    Et faut-il rappeler qu’une fois élu dans une circonscription, de toutes façons, un député n’est plus le représentant de sa circonscription mais celui de tous les habitants de l’entité territoriale objet de l’élection. Ainsi, Mr Brok n’est pas le représentant de Paderborn, ni même celui de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, mais celui de tous les citoyens de l’UE. S’il était membre du Bundestag, il serait celui de toute l’Allemagne.

    Il n’a jamais été question de diviser l’UE entre zone euro et autres États membres. Tout au plus de consolider la zone euro et de rendre la gouvernance de la monnaie unique de l’Union (oui !) plus démocratique et plus efficace, en se souvenant que tous les États membres ont vocation à l’utiliser un jour comme ils s’y sont engagés (sauf le Danemark).

    Son excellente traduction me donne par ailleurs l’occasion de saluer Caroline Iberg qui, à ma connaissance (encore), n’est plus co-secrétaire générale du Nomes. :-)

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom

À lire aussi