Élections portugaises 2025 : Le score historique du parti d’extrême droite Chega

, par Maxence Gallais

Élections portugaises 2025 : Le score historique du parti d'extrême droite Chega
Affiche de campagne d’André Ventura et Chega : “Mettons le portugal en ordre” credit photo : Shutterstock

Ce dimanche 18 mai se tenaient les élections législatives portugaises. La coalition de droite menée par le premier ministre sortant Luis Montenegro s’impose avec 32,72% des voix. Ce qui s’apparente à première vue à une victoire pour l’Europe est à mesurer puisque cette “victoire” s’accompagne d’un résultat historique du parti d’extrême droite Chega (Assez !) dans le pays.

Un contexte européen propice à la montée de Chega

Depuis la fin des années 2010, plusieurs partis nationalistes et conservateurs, comme le Fidesz de Viktor Orbán en Hongrie, le PIS en Pologne ou, un peu plus tard, Fratelli d’Italia en Italie avec Giorgia Meloni, se sont imposés comme des acteurs politiques majeurs. Ces formations, souvent critiques envers les institutions européennes et les élites politiques, ont su capter un mécontentement croissant lié à des crises économiques, migratoires et identitaires. C’est de cette onde qui se propage en Europe, nommée “internationale populiste” par le politologue et spécialiste du Portugal contemporain Yves Léonard, que Chega est issue.

Chega, fondé en 2019 par André Ventura, s’inscrit dans cette dynamique. Le parti a rapidement progressé sur la scène politique portugaise, passant de 7,38 % des voix lors des élections législatives de 2022 à 18,8 % lors de celle de 2024, avant d’atteindre un score record de 22,56 % en 2025. Cette progression fulgurante s’explique en partie par un discours populiste habilement calibré, jouant sur les inquiétudes identitaires et les frustrations économiques, tout en dénonçant une administration bruxelloise et des élites politiques jugées déconnectées des réalités du peuple portugais.

Dans ses discours, Ventura a su capitaliser sur un sentiment de perte de contrôle face à des changements rapides. Il n’a pas hésité à dénoncer une trahison des élites qui, selon lui, auraient sacrifié l’identité nationale sur l’autel du mondialisme. Ce positionnement clair et direct a résonné avec une partie importante de l’électorat, en quête de stabilité et de souveraineté nationale, renforçant ainsi la place de Chega comme acteur incontournable de la politique portugaise.

Un discours empruntant à la rhétorique populiste

Sans pour autant qualifier André Ventura de résolument populiste, il semble essentiel de souligner que son discours politique emprunte de nombreux éléments à la rhétorique populiste. Celle-ci repose principalement sur une opposition entre un « nous », le peuple portugais, travailleur et un « eux », les élites politiques, les institutions et certains groupes ethniques perçus comme extérieurs à la nation. Ventura utilise fréquemment cette dichotomie pour se présenter comme la voix du « vrai Portugal », en témoigne son discours de 2024 à Aliados, “Le Portugal, c’est nous ! Le Portugal est à nous

Cette rhétorique se décline sur plusieurs axes clés. Sur l’immigration, Ventura s’oppose farouchement à ce qu’il qualifie d’« immigration incontrôlée », qu’il considère comme une menace pour la sécurité et les valeurs portugaises. Il affirme notamment que l’immigration aurait augmenté de 95 % en deux ans, insistant sur l’idée que ce phénomène met en danger la cohésion sociale et le mode de vie traditionnel des portugais. Il revendique même vouloir instaurer un crime de “séjour illégal sur le sol portugais” affirmant ainsi une revendication forte de contrôle national et de primauté culturelle face aux populations tziganes et extra-européennes.

Sur le plan économique, Ventura dénonce une trahison des classes populaires par les élites politiques et économiques. Il accuse ces dernières de favoriser les grandes multinationales et les intérêts étrangers au détriment du peuple travailleur portugais, qu’il place au cœur de son discours. Selon lui, les gouvernements successifs ont sacrifié les travailleurs locaux, creusant les inégalités et alimentant un sentiment d’abandon au sein des classes populaires. Cette dénonciation s’inscrit dans une vision antagoniste entre un peuple vertueux et des élites déconnectées et corrompues, une figure classique du populisme.

Enfin, sur la question de la souveraineté nationale, Ventura se montre très critique à l’égard des ingérences extérieures, notamment européennes. S’il ne prône pas explicitement la sortie du Portugal de l’Union européenne, il réclame un rééquilibrage des pouvoirs en faveur des États membres, dénonçant une bureaucratie bruxelloise perçue comme éloignée des préoccupations nationales. Il appelle ainsi à un renforcement du contrôle portugais sur ses politiques internes, soulignant la nécessité de préserver l’indépendance et l’identité du pays face aux décisions imposées par des institutions supranationales, enième parallèle possible avec le discours de Giorgia meloni.

Un rééquilibrage des forces au sein du Parlement

Les résultats des élections de 2025 ont profondément modifié l’équilibre des pouvoirs au sein du parlement portugais. Depuis la révolution des œillets et la chute de la dictature de Salazar en 1974, le système politique portugais a été dominé par deux grands partis : le Parti socialiste (PS) et le Parti social-démocrate (PSD). Cette dynamique bipartisane semble aujourd’hui remise en question par la montée de Chega, qui a fragmenté un paysage politique statique depuis des décennies pour y imposer une triangulaire.

André Ventura ne cache pas son ambition de renverser ce modèle. Lors de son discours post-électoral, il a affirmé avoir mis fin au bipartisme, marquant ainsi une rupture claire avec l’ordre politique traditionnel. Cette déclaration reflète une réalité nouvelle : avec ses 22,56 % des voix et une position désormais presque égale à celle du Parti socialiste (23,38 %), Chega s’impose comme une force incontournable au Parlement.

Cette montée en puissance a des conséquences directes sur la stabilité politique du Portugal. La coalition de centre-droit menée par Luis Montenegro, bien que techniquement victorieuse avec 86 sièges, se retrouve dans une position de fébrilité. Bien que son nombre de sièges ait augmenté, la contre performance du PS et l’exploit de Chega viennent contrebalancer ce résultat ouvrant la voie à des blocages parlementaires potentiellement fréquents. Chega, avec son influence grandissante, pourra non seulement contester les initiatives législatives, mais aussi forcer des compromis difficiles, limitant ainsi la marge de manœuvre du nouveau gouvernement.

Cette nouvelle configuration pourrait également compliquer les relations du Portugal avec ses partenaires européens, certains craignant que l’influence croissante de l’extrême droite ne freine les réformes pro-européennes et n’encourage un repli nationaliste similaire à celui observé en Hongrie ou en Italie.

Une victoire à la Pyrrhus pour l’Europe ?

Malgré son succès apparent, la coalition pro-européenne de Luis Montenegro se retrouve donc fragilisée et esseulée face à la montée en puissance de Chega. Avec un Parlement plus fragmenté que jamais et une société profondément polarisée, le Portugal semble s’enfoncer encore et encore dans une ère de turbulences politiques où la stabilité et la cohésion sociale seront mises à rude épreuve. Les élections de 2025 marquent ainsi un tournant pour le pays, révélant une transformation du paysage politique national et posant des questions cruciales sur l’avenir de la démocratie portugaise.

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