Effet domino post-élections européennes : la France en pleine turbulence politique

Quels rôles européens pour les députés et le gouvernement ?

, par Kylian Rochetin

Effet domino post-élections européennes : la France en pleine turbulence politique

Le paysage politique français est en pleine ébullition suite aux résultats des dernières élections européennes. Le revers électoral du parti présidentiel et le score historique du parti d’extrême droite, le Rassemblement national, ont déclenché une série d’événements inattendus dans la vie politique française.

Cette série commence par le discours du Président de la République qui annonce quelques minutes après les résultats des élections européennes, le dimanche 9 juin, la dissolution de l’Assemblée nationale, faisant peser le risque de l’arrivée de l’extrême droite aux postes de gouvernement. En réaction, les partis de gauche se sont unis autour d’un programme commun, en écho au mythe du Front populaire de 1936. A l’autre bord de l’échiquier, la confusion règne au sein des partis de droite qui hésitent entre se rallier au Rassemblement national ou faire front au sein de « l’arc républicain ». Et au centre de cet étrange tableau, le parti présidentiel apparaît plus isolé que jamais. Il est difficile de prévoir désormais quel sera l’avenir parlementaire et gouvernemental à la suite des élections des 30 juin et 7 juillet.

Une chose est certaine, ces élections auront des répercussions significatives au-delà de la vie politique nationale et en premier lieu sur les institutions européennes. Pour saisir l’ampleur de cet impact, il est essentiel de comprendre le rôle crucial que jouent le gouvernement et les députés français au sein de l’Union européenne. Une analyse des institutions européennes s’impose, car les acteurs de la politique française disposent d’une influence directe dans les bureaux de Bruxelles. Les prochains suffrages, bien que nationaux, pourraient redéfinir l’équilibre des pouvoirs au niveau européen.

Les chefs d’Etat et de gouvernement : les meneurs de la politique européenne

Le Président de la République joue un rôle central au sein du Conseil européen, en siégeant aux côtés des autres dirigeants des États membres. Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2008, le Conseil européen est officiellement reconnu comme une institution à part entière. Les chefs d’État et de gouvernement se réunissent ainsi au moins une fois tous les six mois pour définir les grandes orientations politiques de l’Union européenne. Bien que le Conseil européen ne soit ni une institution réglementaire ni législative, ses réunions n’en demeurent pas moins cruciales pour l’avenir de l’Union. En effet, les objectifs et lignes directrices qui en émanent influencent directement l’action européenne. Aucun texte contraignant n’est adopté lors de ces sommets. Cependant, leurs décisions guident la fiche de route de la Commission européenne qui dispose de l’initiative des textes législatifs.

Traditionnellement, le Président de la République française siège à cette institution en tant que chef d’Etat, mais le détenteur de cette place varie en fonction de la culture politique du pays. Aucun traité ou texte national n’indique que la place revient nécessairement au Président de la République. En conséquence, le système bicéphale du pouvoir exécutif français interroge sur la légitimité de la personne siégeant au sein de cette institution : en cas de cohabitation, le Président de la République reste-t-il légitime à participer seul aux débats du Conseil européen ?

Les ministres français : au cœur du processus législatif européen

Les ministres français, membres du gouvernement, jouent un rôle crucial dans le processus législatif européen grâce à leur participation au Conseil de l’Union européenne. Cette institution regroupe les ministres de tous les États membres selon leur domaine de compétence. Par exemple, lors de discussions sur une réglementation environnementale, ce sont les ministres de l’Environnement qui se concertent. Le Conseil de l’UE se divise en 10 formations, traitant divers sujets tels que l’Agriculture et la Pêche, les Affaires générales, et l’Environnement. Ainsi, le gouvernement français défend la position nationale au sein de cette instance européenne.

Les ministres ne se contentent pas de dialoguer avec leurs homologues ; ils jouent également un rôle essentiel dans le processus législatif en votant sur les propositions de la Commission européenne. Ce vote se fait généralement à la majorité qualifiée : un texte est adopté s’il obtient l’approbation de 55 % des États membres représentant 65 % de la population européenne. Le vote de la France est particulièrement influent en raison de son statut de deuxième puissance démographique après l’Allemagne.

La présidence tournante du Conseil de l’Union européenne confère à chaque État membre une influence accrue. Depuis le 1er janvier 2024, la Belgique préside le Conseil, mettant en avant des priorités telles que la défense de l’état de droit, la compétitivité européenne, la transition écologique, le renforcement du programme social et sanitaire, la protection des individus et des frontières, et la promotion d’une Europe mondiale. De son côté, la France avait occupé cette fonction à partir du 1er janvier 2022. Lors d’une conférence le 9 décembre 2021, le Président Emmanuel Macron avait présenté les axes majeurs de ce mandat : une Europe plus souveraine, verte, numérique, sociale et humaine.

Pour que le gouvernement français parle d’une seule voix, une coordination étroite est nécessaire. Le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) joue un rôle clé en assurant la liaison entre les travaux européens et les institutions françaises, alignant notamment le calendrier parlementaire sur les projets européens. Placé sous l’autorité du Premier ministre, le SGAE travaille en lien avec la Représentation permanente auprès de l’Union européenne, située à Bruxelles. Cette institution diplomatique garantit la liaison entre les institutions européennes et françaises.

En plus de leur rôle législatif et diplomatique, les membres du gouvernement français participent aux nominations au sein des institutions européennes. Par exemple, les commissaires européens sont nommés par le Président de la Commission européenne sur proposition des gouvernements nationaux. Les ministres français votent également pour désigner les juges de la Cour de justice de l’Union européenne.

Ainsi, le gouvernement français participe activement et directement aux travaux des institutions européennes, en étroite collaboration avec ses partenaires européens. Grâce à sa puissance démographique et son influence, la France occupe une position prépondérante dans les décisions prises au sein de l’Union européenne.

Le Parlement : le garant des intérêts nationaux par le contrôle de la politique européenne gouvernementale

Le Parlement français joue un rôle crucial dans l’intégration des directives et règlements adoptés au niveau européen. En effet, pour que ces textes soient applicables en France, les élus nationaux doivent les transposer dans la législation nationale. Par ailleurs, les instances européennes étant issues de traités internationaux, toute révision de ces traités ou signature de nouveaux accords nécessitent l’approbation des parlementaires français. Cette approbation est également requise pour l’adhésion de nouveaux États à l’Union européenne.

Outre la transposition des textes européens, l’Assemblée nationale et le Sénat supervisent la politique européenne défendue par la France en exerçant un contrôle sur le gouvernement. Chaque chambre dispose d’une Commission des affaires européennes, instituée de manière constitutionnelle depuis la réforme du 23 juillet 2008. Cette commission informe les chambres sur la politique européenne du gouvernement et peut adopter des résolutions pour indiquer la position à soutenir au sein des instances européennes. Les parlementaires peuvent également exiger des débats sur les questions européennes et auditionner le gouvernement, notamment le secrétaire d’État aux affaires européennes.

Depuis l’application du traité de Lisbonne en 2009, les parlements nationaux ont la responsabilité de réaliser le "contrôle de subsidiarité". Ce principe suppose que l’Union européenne ne peut intervenir dans la législation des États membres que si cette intervention apporte une valeur ajoutée par rapport aux dispositions nationales, régionales ou locales. Les institutions européennes doivent respecter le champ de compétence qui leur est conféré par les traités et n’intervenir que lorsque cela est nécessaire, préservant ainsi la souveraineté des États membres. Le Parlement français dispose d’un délai de huit semaines à compter de la réception d’un texte européen pour émettre un avis motivé en cas d’excès de compétence des institutions européennes. Cet avis est ensuite transmis au Président du Parlement européen, au Conseil de l’Union européenne et à la Commission. Si d’autres parlements nationaux émettent également des avis similaires, le processus législatif peut être suspendu ("carton jaune") ou, en cas de consensus des instances nationales comme européennes contre le texte, annulé ("carton orange"). En cas de désaccord persistant entre les institutions européennes et les parlements nationaux, la Cour de justice de l’Union européenne peut être saisie pour trancher.

Enfin, le Parlement français peut coopérer avec les autres parlements des États membres par le biais de la coopération interparlementaire, influençant ainsi les décisions au sein du Parlement européen. La conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), qui se réunit chaque semestre et est organisée par le parlement du pays exerçant la présidence du Conseil de l’Union, est un exemple emblématique de cette coopération.

Le Parlement français, à travers ces diverses responsabilités et mécanismes de contrôle, assure une intégration harmonieuse des politiques européennes tout en défendant les intérêts nationaux. En ce sens, en marge des élections européennes, le résultat du prochain scrutin aura des conséquences majeures sur la position que défendra la France au sein des institutions européennes.

Financé par l’Union européenne. Les points de vue et avis exprimés n’engagent toutefois que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Union européenne ou de l’Agence exécutive européenne pour l’éducation et la culture (EACEA). Ni l’Union européenne ni l’EACEA ne sauraient en être tenues pour responsables.

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