Du nationalisme et du patriarcat à l’intersectionnalité et au fédéralisme

Subjectivités révolutionnaires contre la réaction

, par Diletta Alese, Giulio Saputo, Traduit de l’anglais par Suzie Holt

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Du nationalisme et du patriarcat à l'intersectionnalité et au fédéralisme
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Initié par un groupe de jeunes fédéralistes féministes, cet article marque le début d’une série de productions enquêtant sur la façon dont le nationalisme est profondément lié au patriarcat, tandis que l’intersectionnalité et le fédéralisme peuvent servir de boussole de l’espoir. Intitulée “Sa voix Fédéraliste (“Her Federalist Voice”), la série remet en question les structures de pouvoir traditionnelles et envisage un futur plus équitable, dans lequel les systèmes fédéraux et les idéaux féministes travaillent en tandem pour démanteler l’injustice et faire entendre des voix qui ont longtemps été marginalisées. Des débats académiques ou des changements de politique aux mouvements de base, chaque édition fournit un compte rendu des forces en jeu, en tissant des histoires de diverses communautés luttant pour l’autonomie, l’émancipation et la justice.

Ce tout premier article réflectif suit la mobilisation du 8 mars 2025, la journée internationale des droits des femmes, un moment de réflexion et d’activisme au niveau mondial, étudiant comment le nationalisme est profondément lié au patriarcat, tandis que l’intersectionnalité et le fédéralisme peuvent servir de boussole à l’espoir.

Révéler, amplifier et restituer la contribution des subjectivités féminines ne consiste pas seulement en la découverte des voies de représentation dans l’espace politique, structurellement trahies ou entravées, mais à une analyse des contradictions que la subjectivité des femmes et d’autres identités mises en marge révèle, encore aujourd’hui, dans notre société. Confronter les manifestations de l’injustice signifie remettre en question un système consolidé d’oppression et de souffrance, qui couvre l’humanité et son histoire, pour reconstruire, reconnecter et mettre en lumière les luttes, les voix et les visages longtemps oubliés.

Repenser le narratif : l’intersectionnalité comme outil de changement

Les luttes féministes et anti-racistes ont montré que l’oppression n’opère pas au travers d’un axe unique, mais plutôt au travers d’un système interconnecté de discriminations. Le concept d’intersectionnalité révèle les multiples couches d’injustice qui façonnent les expériences vécues par les personnes marginalisées. Il reconnaît que la race, le genre, la classe et autres catégories sociales n’opèrent pas indépendamment mais sont entremêlés, créant des systèmes complexes d’exclusion.

Tandis que le nationalisme a historiquement cherché à diviser les gens selon des lignes artificielles, l’intersectionnalité et le fédéralisme offrent un cadre alternatif, qui valorise la diversité et vise à rassembler les différentes luttes en une vision collective pour la justice et l’équité.

Nationalisme et genre : une construction de l’oppression

L’identité nationale s’est construite par l’exclusion de “l’autre”. La création de communautés imaginées - enracinées dans l’ethnicité, la culture, le rôle rigide des genres - a conduit au développement de structures sociales qui renforcent la discrimination. La formation de l’État-nation moderne était liée à des normes patriarcales, reléguant les femmes à des rôles secondaires et marginalisés au sein de la société.

Historiquement, les mouvements nationalistes ont renforcé le système binaire des genres. Les femmes étaient censées être les porteuses de l’identité culturelle et nationale, souvent représentées comme des symboles de pureté, de maternité et de gardiennes de la tradition. Leur relégation à la sphère domestique n’était pas accidentelle, mais bien un mécanisme fondamental pour maintenir l’ordre social et la domination masculine. Les discours nationalistes ont souvent décrit les femmes comme les “reproductrices” de la nation, à la fois biologiquement et culturellement, en leur faisant porter le fardeau de la défense des valeurs morales et de la continuité de l’identité ethnique et nationale.

De plus, le concept de citoyenneté a longtemps été façonné par les inégalités de genre et de race. Tandis que les hommes se voyaient accorder un rôle politique à part entière, les femmes et les minorités raciales étaient souvent considérées comme des étrangères au sein de leurs nations. La construction de l’identité requérait ainsi un processus simultané d’exclusion - excluant les femmes du pouvoir public et racialisant “l’autre” comme une menace étrangère.

Le cadre nationaliste assigne des rôles spécifiques aux femmes et aux hommes, renforçant les hiérarchies qui servent les intérêts des groupes dominants. Le corps des femmes a été instrumentalisé dans les conflits nationalistes, avec la violence sexuelle souvent utilisée comme une arme de guerre afin d’exercer un contrôle à la fois sur les femmes et la nation ennemie. De la même manière, les mouvements nationalistes ont historiquement cherché à imposer des codes moraux strictes sur la sexualité des femmes, présentant leur « hono » comme synonyme de la dignité de la nation elle-même.

De plus, les idéologies nationalistes ont joué un rôle crucial dans la construction des divisions du travail, selon des lignes genrées. La participation des femmes à la force de travail a souvent été définie en fonction des besoins de la nation, que ce soit en temps de guerre, durant lesquels elles étaient encouragées à assumer le travail traditionnellement masculin, ou lors des périodes de stabilité économique, durant lesquels elles étaient restreintes à la sphère domestique, dans le but de renforcer les structures familiales conservatrices.

Alors que le nationalisme s’est adapté aux changements contemporains, son impact sur les rôles genrés demeure évident. Les mouvements nationalistes modernes, souvent alignés avec une politique réactionnaire et autoritaire, cherchent à revenir sur les acquis féministes, en attaquant les droits reproducteurs, les communautés LGBTQIA+, et les politiques publiques encourageant l’égalité de genres, sous couvert de protéger l’identité nationale et les valeurs traditionnelles. Dans ce contexte, le féminisme intersectionnel fournit un contre-argument crucial, exposant comment le nationalisme, le patriarcat, et l’oppression systémique sont des forces enchevêtrées qui doivent être collectivement démantelées.

La menace fémonationaliste

Une forme plus insidieuse de nationalisme a émergé ces dernières années, mélangeant la rhétorique féministe avec des politiques xénophobes. Ce phénomène, appelé “fémonationalisme” par la sociologue Sara Farris, exploite les discours d’égalité des genres pour justifier des agendas politiques racistes et anti-immigration. Les partis européens nationalistes, par exemple, ont transformé les droits des femmes en armes, pour définir les communautés musulmane et immigrée comme intrinsèquement oppressantes, renforçant la fausse idée que l’égalité entre les hommes et les femmes est une valeur exclusivement occidentale.

Le fémonationalisme détourne l’attention des inégalités systémiques au sein des sociétés occidentales en externalisant l’oppression genrée, la décrivant comme un problème qui n’existe qu’au-delà des frontières européennes. Ce schéma idéologique absout les nations occidentales de leurs propres structures patriarcales, tout en marginalisant davantage les femmes immigrées, les réduisant à des objets d’intervention étatique plutôt qu’à des actrices de leur libération.

Pendant ce temps, la réalité de la violence genrée en Europe reste un problème systémique. Malgré les avancées féministes, la violence genrée continue de prendre la vie de femmes à travers le continent. Les rapports montrent que les violences domestiques, les féminicides et les violences sexuelles restent répandues, et que les gouvernements nationaux échouent à mettre en place des mesures adéquates de prévention et de soutien. La rhétorique nationaliste, alors qu’elle assure protéger les femmes de “menaces extérieures”, ignore souvent la violence structurelle et systémique perpétuée dans les sociétés européennes, particulièrement par des hommes de la même famille ou proches des femmes victimes de telles violences. Cette contradiction révèle l’hypocrisie des discours fémonationalistes, qui utilisent les droits des femmes comme un outil politique, tout en échouant à traiter la violence profondément ancrée dans leurs propres systèmes culturels et légaux.

Les femmes comme sujets révolutionnaires

À travers l’histoire, les femmes ont joué des rôles clé dans les mouvements révolutionnaires, malgré leur exclusion systématique de l’espace politique. L’intersection entre le genre et les autres formes d’oppression a placé les femmes en première ligne des luttes pour la justice, des mouvements anti-coloniaux aux combats contemporains pour les droits reproductifs et la protection du travail.

La théorie féministe, particulièrement dans sa forme intersectionnelle, fournit un cadre pour analyser non seulement l’oppression fondée sur le genre mais aussi les strcutures plus larges qui entretiennent cette oppression. Comme Antonio Gramsci le suggérait avec son concept d’hégémonie culturelle, le pouvoir est maintenu non seulement par la coercition mais aussi par la normalisation de certaines croyances et structures sociales. Le féminisme remet en cause ces structures hégémoniques, exposant la façon dont les lois, les institutions et les normes sociales perpétuent les inégalités de genre.

Vers un futur fédéraliste

La réponse au nationalisme croissant et aux inégalités grandissantes repose sur une vision politique qui valorise la diversité, encourage une communauté partagée basée sur des valeurs communes, et met en place un système institutionnel fondé sur la subsidiarité. Le fédéralisme, comme alternative au nationalisme, promeut une organisation politique centrée sur la coopération et la résolution pacifique des conflits en réponse aux défis mondiaux. Contrairement aux idéologies nationalistes, qui se nourrissent de la division, le fédéralisme encourage l’unité au travers de la reconnaissance mutuelle et de la gouvernance partagée, envisageant un monde où l’humanité et la planète sont des sujets politiques centraux.

Le fédéralisme est plus qu’un simple système de gouvernement ; c’est un cadre qui assure la juste distribution des pouvoirs à différentes échelles. Il fournit une structure dans laquelle l’autorité est partagée entre différentes entités de gouvernance, empêchant la centralisation du pouvoir, qui amène souvent à l’exclusion et l’oppression. Une approche fédéraliste respecte les différences culturelles et régionales, tout en assurant que les droits fondamentaux et les libertés soient respectés.

Au cœur du fédéralisme, se trouvent des valeurs essentielles : la paix au centre, interdépendante de la démocratie, la solidarité, la justice sociale, l’égalité et la durabilité. La paix n’est pas simplement l’absence de la guerre, mais le fondement sur lequel reposent tous les autres droits et libertés. Sans la paix, la démocratie ne peut pas s’épanouir, et la justice demeure élusive. Le caractère interconnecté de ces valeurs signifie que le fédéralisme ne peut pas strictement proposer un modèle de gouvernance, mais une vision pour un monde dans lequel la coopération remplace le conflit.

Les institutions fédérales jouent un rôle central dans la défense de la subsidiarité - le principe selon lequel les décisions doivent être prises au niveau le plus local possible, tout en veillant à ce que les niveaux supérieurs de gouvernement interviennent si nécessaire pour protéger les droits et garantir l’équité. Elles renforcent également la capacité d’investir dans des biens communs susceptibles de remédier aux oppressions et aux inégalités.

Au-delà de ses implications structurelles, le fédéralisme représente une transformation socio-culturelle plus large. Il promeut une société qui est à la fois interculturelle et intersectionnelle, embrassant la diversité comme source de force plutôt que de division, là où la diversité est valorisée et l’oppression reconnue et traitée. Une société fédéraliste est celle dans laquelle l’unité est trouvée dans la diversité, basée sur des valeurs communes. C’est une société qui se reconnaît dans l’empathie des différentes parties du monde, où les gens participent ensemble à construire un avenir commun et pacifique.

Un appel à l’action collective

Les luttes contre le nationalisme, le patriarcat et l’oppression systémique ne peuvent être menées de manière isolée. Elles requièrent une ré-imagination des structures politiques, qui priorise la justice par rapport à l’exclusion et la coopération par rapport à la division. La perspective féministe intersectionnelle offre un outil puissant pour comprendre et remettre en cause l’oppression sous toutes ses formes, tandis que le fédéralisme fournit une alternative viable aux politiques d’exclusion du nationalisme.

La voie à suivre ne consiste pas à se replier sur des idéaux réactionnaires mais à forger de nouvelles alliances et à construire un avenir basé sur l’inclusivité, la justice et la libération collective. Si le nationalisme est la politique de la division, alors l’intersectionnalité et le fédéralisme peuvent devenir les politiques de l’espoir et de l’unité. Le combat n’est pas mené contre une seule forme d’oppression mais contre les structures qui permettent cette oppression - tout en veillant à ce que le pouvoir de tous, en particulier de ceux historiquement marginalisés, soit reconnu et maintenu dans la construction des sociétés de demain.

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