Le 15 mai 2011, c’est une réponse à une situation de crise politique, sociale et économique, qui frappe le pays depuis 2008. L’influence des révolutions arabes et l’apparition des différents mouvements sociaux comme « Jeunesse sans avenir » ou la « Plateforme des victimes des hypothèques » ont enflammé les réseaux sociaux qui ont permis des mobilisations massives. La cerise du gâteau ? Le manifeste de Stéphane Hessel « Indignez-vous ! » qui va encourager les Espagnols pour engager la bataille pour « la Vraie Démocratie ! » (¡Democracia Real YA !).
La Puerta del Sol et le cri muet au commencement de la « Spanish Revolution »
La mobilisation répondait à la néfaste gestion de la crise, mais aussi à une classe politique corrompue et une domination déguisée des institutions par les banques et les caisses d’épargne. A la veille des élections municipales et régionales du 22 mai 2011, plusieurs initiatives citoyennes appelaient à la manifestation pacifique massive qui a eu lieu le 15 mai dans plus de 100 villes et notamment à Madrid sous le cri « Toma la calle », qui faisait référence à la « prise de la Bastille », pour dénoncer l’inaction et la corruption des partis politiques et en faveur du vote blanc. C’était aussi la volonté d’une rénovation de la classe politique, conduisant à la fin du bipartisme instauré depuis la Transition démocratique et à la fin de la « dictature des marchés ». Les manifestations du 15 mai ont rassemblé des centaines de milliers de manifestants en Espagne, et à l’étranger la diaspora espagnole a suivi le mouvement.
La marche de Madrid a réuni près de 25 000 personnes, et quelques manifestants passent la nuit sur la Puerta del Sol, c’est le début de la « Spanish Revolution ». Après une semaine de confrontations avec la police et plusieurs arrestations, l’assemblée de la Puerta del Sol, déclarée comme non partisane et asyndicaliste, rassemblant des gens de tous les âges et de différentes classes sociales, est arrivée à la « journée de réflexion » qui précède traditionnellement un scrutin en Espagne. La loi électorale interdit de « faire campagne » et de « réaliser tout acte de propagande » à la veille d’une élection ainsi que de former « des groupes susceptibles de bloquer, de quelque manière que ce soit » le libre exercice du droit de vote le jour du scrutin. Et le gouvernement avait déclaré officiellement illégaux ces rassemblements.
Juste avant minuit, vendredi soir, la Puerta del Sol, à Madrid, s’est tue. Dans le silence presque complet, des milliers de mains ont fait bruisser l’air lorsque les douze coups ont retenti. C’est avec ce « cri muet » qu’elles ont accueilli la « journée de réflexion ».
Les marées sociales ou l’organisation des indignées
Ces manifestations spontanées lors des élections régionales en 2011 et les postérieures sit-in pacifiques sur les places publiques, notamment celle de la Puerta del Sol à Madrid, qui a duré presque un mois, ont donné lieu à la prolifération des assemblées dans le pays. L’organisation, le travail citoyen et la cohabitation pacifiques établis lors de ces campements à Madrid, où plus d’une centaine de commissions ont eu lieu, à Place de Catalunya à Barcelone et dans d’autres villes, ont contrasté avec la réaction violente des forces de l’ordre. La police a violemment évacué les différents sit-in, où les indignés répondaient « non à la violence ». Plusieurs manifestants furent frappés par la police, eurent des amendes de 1 500 euros et furent dispersés.
Le mouvement 15M (pour le 15 mai) devient la base de la Spanish Revolution. Alors que le mouvement est ignoré par les médias traditionnels (aucune télévision espagnole ne va suivre le mouvement depuis le début), les indignés adoptent un mode de fonctionnement assembléiste, dont les modalités permettent de débattre à plusieurs milliers. Ils se servent pour cela des réseaux sociaux (les avis de convocation des réunions par Facebook et Twitter), des groupes se créent sur internet pour chaque campement et Google Documents, Reddit et d’autres serveurs reçoivent de nombreuses demandes de téléchargement de documents pour organiser les manifestations.
Comme réponse à chaque violence policière démesurée, les assemblées se mobilisent. Ces descentes dans les rues, ces manifestations massives, ont été rapidement baptisées par la presse « mareas » (marées). Marées sociales qui vont continuer le travail des indignés organisés par quartiers, par régions mais surtout par secteurs. Cela a donné lieu à toute une structure de « marées sociales », des collectifs qui poursuivre la « Spanish Révolution » sous le mandat de Mariano Rajoy, marqué par l’aggravation de la crise financière et des dures politiques d’austérité. Par couleurs, les marées citoyennes classent leurs demandes et leurs actions. Ainsi, « la marée verte » (marea verde) qui réclame l’éducation publique pour tous et qui dénonce les réductions budgétaires du gouvernement du Parti Populaire, « la marée blanche » qui défend un service sanitaire publique et de qualité, contre la privatisation des hôpitaux et des centres sanitaires, et même l’émigration espagnole dénoncent les politiques abusives de restrictions des dépenses publiques et la classe politique corrompue qui les force à abandonner le pays (plus d’un million depuis 2008) avec une marée à l’étranger, la « marea grenat ».
Les médias en général présentent ces mouvements comme n’ayant pas de programme, ou ne portant pas de revendications claires. Manque d’organisation, absence de leaders ou son caractère non partisan sont les principales critiques des journalistes et de certains groupes politiques, qui ont tenté de récupérer politiquement ce mouvement.
Les indignés font de la politique
Un des centres les plus actifs de ces protestations est le monde académique, notamment avec la « marée verte ». Les universités deviennent un véritable laboratoire d’idées. Le mécontentement citoyen et les réductions budgétaires frappant durement la classe moyenne, ainsi que l’apparition en continu des scandales de corruption politique encouragent les manifestants à entrer dans le jeu politique. Depuis 2012, la presse publie quotidiennement des nouvelles de scandales et de corruption, qui touchent la famille royale, le gouvernement central ou les administrations locales. Des sociétés écrans, du détournement d’argent, des comptes en Suisse ou des salaires millionnaires de conseillers municipaux face aux 510 expulsions par jour, font scandale et alimentent la marée d’indignation.
Un secteur important du mouvement prend en main une alternative réelle. Le slogan « Sí se puede » (Oui, on peut) qu’avait crié les manifestants le 15 mai se traduit alors en Podemos (nous pouvons). Le but ? Les élections européennes de mai 2014 et la transformation de la politique de l’intérieur. Un appel à soutien a été lancé au mois de janvier 2014, et 24h après, plus de 50 000 signatures étaient récoltées. En mars, Podemos est enregistré en tant que parti et son « leader », un jeune enseignant en Sciences politiques à la Complutense à Madrid commence à passer à la télé en parlant de reprise de la démocratie par le peuple. Le discours de Pablo Iglesias critique le conformisme des partis traditionnels de gauche et l’abus du pouvoir des élus. Pour Podemos, le système gauche-droite n’a plus de sens dans la situation actuelle, il s’agit d’une lutte du peuple contre « la caste », la classe politique.
Du jour au lendemain, Podemos convoque des « élections primaires » pour élaborer une liste aux européennes. Des indignés de toutes les régions répondent à cet appel, à la manière du 15M avec une organisation horizontale, où la localisation géographique n’a plus d’importance et grâce aux nouvelles technologies. Le 24 mai, la veille du scrutin, le parti avec une liste en système « fermoir », c’est-à-dire respectant la parité en en alternant hommes et femmes candidats, une innovation en Espagne, se présente avec des sondages favorables qui lui laissent espérer un ou deux eurodéputés. Avec Pablo Iglesias en tête et un renommé juge à la retraite, le reste des candidats sont des inconnus absolus et sans expérience politique. Face à l’indifférence de la plupart des médias et sans moyen pour la campagne, émergent les « Círculos », cercles des sympathisants de Podemos qui prolifèrent sur le territoire espagnol et au-delà des frontières, car Podemos dénonce aussi l’émigration forcée des Espagnols depuis la crise de 2008. Ces cercles, tous égaux dans le débat, constituent le principal « bras » du parti. Âgé de 3 mois, il obtient cinq députés au Parlement européen et s’impose comme la 4e force du pays. Ce soir-là, c’est aussi la démonstration du « Si, se puede », car les partis traditionnels, PP et PSOE, ont encaissé un échec sans précédent depuis le début de la démocratie, ils ont perdu respectivement 30% et 50% des votes. Podemos rentre dans les institutions et avec eux, les indignés.
Ce succès aux européennes encourage les initiatives citoyennes comme Guanyem, Compromís ou Equo à présenter leur candidature lors des élections municipales et régionales de mai 2015. Ces groupements populaires bouleversent la carte politique en défendant les principales revendications des manifestants du 15M : politique anti-austérité, lutte contre la corruption, défense des services publics, audit public de la dette, transparence des élus. Avec ces alliances, dont la plupart ont été soutenues par Podemos, qui avait refusé de se présenter de manière officielle aux municipales, les mairies de Madrid, Barcelone, La Corogne ou Zaragoza ont été remportées par cette nouvelle vague politique. L’entrée des indignés dans les partis politiques est vue avec méfiance par le mouvement 15M. Le mouvement continue, demeure non partisan et s’attache donc à prendre ses distances avec Pablo Iglesias, le leader de Podemos.
Après les élections régionales, et avec un paysage politique qui a beaucoup changé en seulement un an, Podemos se prépare pour « la bataille finale » les législatives de fin 2015. L’expérience européenne et les mairies gagnées au mois de mai ont néanmoins modifié son programme. Podemos a revu sa stratégie et a perdu son amateurisme. Malgré les critiques qui classent Podemos parmi les autres partis, ce mouvement a ouvert la voie d’un renouvellement profond de la classe politique, sonnant le glas du bipartisme instauré en 1978, qui résonnait déjà il y a 4 ans aux cris de « Oui, on peut ».
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