Droite et extrême-droite en Europe : le dilemme des partis conservateurs

, par Nicolas Romascanu-Drincourt

Droite et extrême-droite en Europe : le dilemme des partis conservateurs
Les chrétiens conservateurs (ÖVP) et l’extrême droite (FPÖ) ont présenté le 16 décembre 2017, la composition du nouveau gouvernement autrichien. CC - EU2017EE Estonian Presidency

L’opinion publique se résout à accepter le lent virage à droite des partis conservateurs traditionnels en Europe. La nouvelle alliance entre le Parti populaire autrichien (ÖVP) et le parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) atteste ce constat. Le rapprochement entre droite et extrême-droite n’est pas un fait nouveau, mais la question se pose désormais : la droite européenne est-elle condamnée à s’allier avec l’extrême-droite pour continuer à gouverner ?

Quelle est l’étendue du phénomène ?

2016, référendum sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne puis élection de Donald Trump. 2017, constitution d’une coalition entre le Parti populaire autrichien et le Parti de la liberté d’Autriche. Loin d’être des cas isolés, ces trois évènements marquants semblent refléter la mutation des partis politiques conservateurs en Europe et aux Etats-Unis. Aux Pays-Bas, le Parti populaire libéral et démocrate (VVD) s’est appuyé sur les thèmes de l’immigration et de l’identité pour remporter les élections de 2017.

En Finlande, le Parti des Finlandais (anciennement Vrais Finlandais) a participé au gouvernement Sipilä à partir de 2015 avant que cette coalition ne soit dissoute en juin 2017, suite à l’élection de Jussi Halla-Aho à la présidence des Vrais Finlandais, en raison de ses propos très virulents à l’égard de l’immigration et du multiculturalisme. Le Parti du Progrès en Norvège a lui fait son entrée au gouvernement lors de la coalition avec les conservateurs en 2013. Ce dernier se montre non seulement très sceptique sur la question du réchauffement climatique, mais propose également de renvoyer tous les criminels étrangers hors de Norvège.

A l’Est, la situation est encore plus préoccupante

Le basculement de la droite vers l’extrême-droite est encore plus visible dans les pays d’Europe de l’Est. En Hongrie, le Fidesz (le parti de Viktor Orban) subit une pression du Jobbik, ce parti ayant atteint jusqu’à 20% en 2014 et accessoirement accusé de néo-nazisme. Quant à la Pologne, le parti Droit et Justice (PiS) bloque l’extrême-droite par un discours fortement nationaliste. Peu à peu, le gouvernement polonais fait voter des lois remettant en cause l’Etat de droit : réforme de la justice, atteinte à la liberté des médias et dernièrement loi mémorielle. Le Parti national slovaque a lui formé en 2016 une déconcertante coalition avec le « socialiste » Robert Fico. Enfin, en Bulgarie, les Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie du Premier ministre sortant Boko Borrissov se sont alliés en 2017 aux Patriotes unis (qui proposent que les ghettos roms servent d’attraction touristique payante pour touristes étrangers) afin de former un gouvernement. Le constat est également le même pour les pays baltes dont la droite conservatrice propose déjà une politique nationaliste et ne laisse à l’extrême-droite que la surenchère politique, comme la proposition du parti extrémiste letton de renvoyer tous les Russes ne possédant pas la nationalité lettone dans des wagons …

Les exceptions

Malgré la diversité des lignes politiques, on observe donc une tendance générale de la droite traditionnelle en Europe à assumer le « souverainisme intégral », selon l’expression de Nicolas Lebourg. Celle-ci tente de se protéger des difficultés apportées par les crises en se repliant sur ses frontières nationales. L’Allemagne, l’Espagne, le Portugal et l’Irlande sont les exceptions notables où l’extrême-droite est restée à un niveau marginal sans que la droite traditionnelle ne durcisse son discours. La bonne santé économique allemande, le souvenir des dictatures ou encore le poids du catholicisme espagnol sont les facteurs évoqués pour expliquer ce phénomène. Mais là encore, le doute commence à s’installer. Le Bundestag a vu pour la première fois depuis la fin de la guerre l’entrée de plus de 90 députés situés à l’extrême-droite et la position centriste d’Angela Merkel est de plus en plus contestée par la CSU et par l’aile radicale de son propre parti, la CDU.

A qui la faute ?

Cette droitisation semble provenir de ce besoin de protection à l’évolution de nos sociétés dans un monde globalisé où l’Occident a perdu sa prédominance. La crise géopolitique de 2001, les crises monétaires et financières depuis 2007, l’accroissement des inégalités et la crise migratoire de 2015 ont fait le creuset du populisme et du « néo-populisme ». Ce dernier terme est défini par le rejet des élites comme des étrangers et réunit les valeurs sociales de gauche à l’autoritarisme de droite. L’extrême-droite a su tirer profit des crises pour non seulement progresser dans les urnes, mais aussi propager ses idées. Un sondage de l’Ifop pour Atlantico en octobre 2015 révèle que 40% des français sont « totalement d’accord » pour que « la direction du pays soit confiée à un pouvoir politique autoritaire, quitte à alléger les mécanismes de contrôle démocratiques s’exerçant sur le gouvernement ». En Europe de l’Est, on constate l’apparition de « démocratures » (Hongrie et Pologne), soit la légitimation d’une politique autoritaire et ultra-conservatrice par les urnes. Il faut notamment flatter le petit peuple pour rejeter l’État, son administration et sa fiscalité jugée confiscatoire. La tentation de sortir des organisations et traités internationaux se fait de plus en plus grande. Enfin, dénoncer l’Union européenne, responsable de tous les maux, voire accusée de décadence est même devenu un thème récurrent.

Souveraineté nationale

En réponse, nombre de conservateurs érigent le souverainisme intégral comme une solution aux difficultés. Mais la réalité du pouvoir est plus subtile. Le plus souvent, une politique libérale sans grande préoccupation sociale, mais anti-immigratoire est instaurée. Jean-Yves Camus la définit comme un « libéralisme ethnicisé ». Il n’existe en effet pas de protectionnisme possible à l’échelle d’un pays européen. Les conséquences de cette politique sont donc directes sur les catégories sociales les plus pauvres. En Autriche, Sebastian Kurz promet de réduire impôts et régulations ainsi que de développer la flexibilité du temps de travail. Le Brexit commence lui à montrer le bout de son nez sur les résultats économiques du Royaume-Uni. C’est donc cette même couche défavorisée de la population, à qui s’adresse les populistes, qui se retrouve en définitive flouée.

Rejet des responsabilités face aux difficultés globales

En France, la défiance envers les institutions ainsi que l’opinion défavorable envers l’immigration augmentent. Cependant, celle de l’Union européenne reste élevée. Ces données sont une tendance globale en Europe. La droite est alors tentée de faire le grand écart. Tout en mettant en avant sa position pro-européenne, Sebastian Kurz souhaite par exemple restreindre l’immigration en n’acceptant "que les plus pauvres et les plus faibles fuyant (surtout femmes, enfants et personnes âgéess) en raison de leurs appartenances ethniques ou religieuses au travers d’un Resettlment-Programme". Il est malgré tout peu probable que les 200 millions de réfugiés climatiques d’ici 2050 attendent patiemment la permission de venir en Europe grâce à un « Resettlment-Programme » depuis l’un des « Rescue Center » imaginé par Kurz. La réussite de cette ligne politique sur le long terme est donc très incertaine. Face à un nouvel échec, pour qui voteront les électeurs demain ?

Vers un fédéralisme européen

Les partis conservateurs semblent donc détenir la clé de l’avenir de l’Europe. Si l’isolement et le repli sur soi s’avèrent être des solutions vouées à l’échec, il serait peut-être temps de changer de ligne politique. Une politique étrangère efficace et décisive ne sera ni bilatérale ni nationale. « Aucun pays européen ne peut défendre seul et sans soutien ses intérêts dans un monde globalisé » affirme même la CDU. Le mot reste encore tabou, mais une fédération européenne semble être l’unique moyen permettant de surmonter les défis du monde contemporain. Les partis conservateurs ont encore le choix de fonder le monde de demain où de disparaître avec celui d’hier. Tout comme la gauche sociale-démocrate a perdu son électorat en assumant son virage libéral. La droite conservatrice verra également son électorat s’amenuiser si elle renonce à ses valeurs. La souveraineté nationale semble n’être donc plus qu’une illusion. Les défis globaux de ce monde multipolaire ne laisseront aucune chance à ce « vieux continent » encore divisé.

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