“L’Europe est dans un combat”
Vers 9 heures, les 720 députés européens font leur entrée dans l’hémicycle de Strasbourg, dans l’attente de l’arrivée de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen (ou VDL dans les réseaux européistes). Surprise, quasiment tous les députés des groupes de gauche, des sociaux-démocrates (S&D) jusqu’à The Left, sont habillés en rouge. La raison sera mise au grand jour plus tard dans le discours. La présidente von der Leyen est accueillie par la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, qui l’invite à prendre place au pupitre.
Les premiers mots de l’ancienne ministre de la Défense d’Angela Merkel entrent dans un écho tonitruant avec l’accoutrement des députés de gauche : “L’Europe est dans un combat”. Le ton est martial et colle avec la colorimétrie de la salle."L’Europe doit se battre dans cet ordre mondial perturbé", insiste-t-elle. Von der Leyen appelle ainsi à l’unité, mais pose de suite la question de la capacité de l’Union européenne à la faire : “L’UE a-t-elle les tripes, la volonté politique de faire des compromis, ou voulons-nous simplement nous battre entre nous ?”
Une interrogation rhétorique qui semble avoir obtenu une réponse durant le moment où la présidente de la Commission a évoqué la crise en Israël et à Gaza. Un moment sensiblement attendu par l’hémicycle tant le sujet, de l’aveu même de la présidente, a divisé l’Europe. Une fracture visible même dans l’hémicycle. Lorsque la présidente von der Leyen évoque la situation et affirme que l’UE ne pouvait laisser faire ça, des voix résonnantes commencent à se lever à l’extrême droite de l’hémicycle. Tandis qu’hommes et femmes en rouge se lèvent pour rendre hommage aux victimes. Ursula von der Leyen n’a pas porté attention aux cris, mais la présidente du Parlement n’a pas hésité à rappeler à l’ordre les provocateurs.
Pire a été le chahut lorsque la présidente de la Commission a annoncé un paquet de mesures de rétorsion à l’encontre des colons juifs violents et les ministres extrémistes du gouvernement israélien. Mieux, elle a également annoncé une suspension partielle de l’accord commercial avec Israël. L’Europe doit donc être unie. A l’évidence, Ursula von der Leyen n’a pas réussi à faire l’union de ce côté-là.
Un inventaire des réussites…
Où donc trouver la satisfaction la plus large ? Peut-être dans la solidarité avec la Pologne, qui a été obligée de déclencher sa défense aérienne et l’article 4 du traité de l’OTAN à la suite d’un survol de son territoire par plusieurs drones russes. “L’Europe est pleinement solidaire de la Pologne !” affirme-t-elle devant les députés. Peut-être aussi dans l’hommage solennel rendu au peuple ukrainien, dont deux représentants, une grand-mère et son petit-fils ayant fuient en Europe, avaient été invités dans l’hémicycle à cette occasion. Standing ovation générale et émouvante pour ces personnes témoins d’une lourde réalité : la guerre est de retour en Europe.
Peut-être tout autant enfin devant un acte exemplaire de solidarité qu’a été l’aide grecque apportée à l’Espagne qui devait, cet été, comme beaucoup de pays européens, faire face à des incendies ravageurs. Une équipe de 20 pompiers grecs se tenait aux côtés des soldats du feu espagnols, et a réussi à sauver un village des flammes dans la région des Asturies. Un officier de cette équipe de héros faisait lui aussi partie des invités spéciaux de ce discours. Un hommage comblé d’applaudissements leur a également été rendu.
"Le combat" a-t-elle annoncé. La présidente von der Leyen voudrait bien que les Européens combattent ensemble face aux menaces, comme celle de la Russie. Elle a appelé à poursuivre les efforts en matière de défense commune et d’approvisionnements de matériel militaire. Pour les Européens mais aussi, et en l’occurrence surtout, pour les Ukrainiens. À ce titre, la présidente s’est félicitée du bilan positif des mobilisations financières et politiques des Etats membres de l’UE. Mais elle a complété les dispositifs déjà en place par un paquet de mesures et une enveloppe de 6 milliards d’euros supplémentaires destinées à renforcer la défense européennes contre les drones, désormais massivement utilisés sur les théâtres de guerre.
Côtés réussites, la présidente ne pouvait pas passer à côté du thème de la compétitivité. Devant l’hilarité générale, à l’annonce de ce chapitre de son discours, la présidente à répondu par un sobre “Je sais. Mais lorsque l’on parle d’économie il faut parler de compétitivité”. Ursula von der Leyen a montré d’une part sa satisfaction de voir que 70% de l’électricité en Europe est produite à partir de technologies vertes.
...et des défis urgents à venir !
Et d’autre part, la présidente von der Leyen s’est lancée dans une liste gargantuesque de chantiers à engager sur tous les fronts : simplification administrative, industrie, santé, recherche et développement, emploi, politique sociale, logements etc.
Elle a ainsi annoncé vouloir générer 8 milliards d’euros d’économies par an pour les entreprises grâce à la simplification des procédures administratives, investir 1,8 milliard d’euros pour renforcer la production de batteries électriques, mettre en place divers instruments afin de sécuriser les approvisionnements en Europe et encourager les achats européens (le fameux Buy European Act), adopter des mesures pour garantir la dignité de l’emploi, déployer une stratégie de lutte contre la pauvreté axée en particulier sur les jeunes et les enfants, faciliter l’accès au logement et lancer une initiative globale dans le domaine de la santé. La liste est longue et largement détaillée dans le discours de la présidente, accessible sur Internet.
La démocratie et les médias ont aussi été des thématiques notables. Et à juste titre évoqués comme des défis pour l’Etat de droit. Ursula von der Leyen a par exemple déclaré vouloir tout faire pour aider les médias indépendants et propose d’en faire une ligne spécifique dans le prochain budget européen. En la matière, elle souhaite également strictement circonscrire l’octroi des fonds européens au respect de la démocratie et de l’Etat de droit.
Et en conclusion ?
La liste des chantiers que la Commission souhaite initier, poursuivre ou conclure, est dense. On imagine sans peine la réaction des députés face à l’ampleur des dossiers appelés à s’accumuler sur leur bureau. Mais dans cette litanie de mesures et autres cachets, Ursula von der Leyen se tient au croisement de difficultés inédites.
Contestée, critiquée, elle tente de se replacer en clé de voûte d’une majorité parlementaire [Renew Europe - S&D - PPE] dont on peut douter si elle tiendra face à la réalité des rapports de force au Parlement européen. Malgré ses appels à l’unité, les initiatives de la Commission annoncées par la bouche de sa présidente devront passer une multitude de filets avant d’espérer pouvoir être transformées en réglementations européennes.
Le débat qui a suivi le discours d’Ursula von der Leyen en a montré les contours. Entre la foire d’empoigne entre les sociaux-démocrates et les députés de la droite du Parti populaire européen (PPE), et la tentative de Valérie Hayer (présidente du groupe Renew) de maintenir l’équilibre, l’horizon est trouble. Que vont donner toutes ces initiatives ? Le bilan au prochain discours sur l’état de l’Union.

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