Les portes de l’Agora se sont ouvertes à nouveau aux chefs d’États et de gouvernement de l’Alliance transatlantique en ce lundi 14 juin. La réunion a été marquée par la première participation de Joe Biden comme président des États-Unis, bien plus attaché au respect du multilatéralisme et de l’alliance que son prédécesseur. En Europe, on attendait beaucoup de ce changement d’administration outre-Atlantique. L’alliance entame-t-elle pour autant un nouveau chapitre décisif de son histoire ?
Relations transatlantiques : la cordialité revient, les divergences demeurent
Premier élément qui peut laisser penser un changement de paradigme : la volonté affirmée des Etats-Unis de renouer des relations plus cordiales avec ses partenaires européens. Le choix de l’Europe, comme premier déplacement officiel à l’étranger du président, est indéniablement un signal fort, il ne faut pas pour autant se méprendre. Pour Emmanuel Macron, si le changement d’administration aux États-Unis “permettra d’avoir un sommet qui sera celui d’une forme d’apaisement sur beaucoup de sujets, il n’en demeure pas moins que nous avons besoin de clarifier stratégiquement à plusieurs égards où va l’organisation transatlantique”.
Parmi les points de convergence, la perception de la menace russe. “La Russie reste quand même la priorité de l’OTAN, c’est évident”, note Alexandra de Hoop Scheffer, directrice du bureau parisien du think tank German Marshall Funds of the United States. “Je pense que l’organisation a besoin de construire un cadre apaisé avec la Russie, exigeant, intraitable quand y a des incursions, des cyberattaques, des intimidations mais qui permette aussi de prendre en compte ce qu’est la géographie de l’Europe”, estime le président français qui rappelle “avoir toujours prôné le dialogue avec la Russie”. Sur ce point, les Alliés se sont entendus sur la double approche défendue par le secrétaire général Jens Stoltenberg d’assurer à la fois “une dissuasion et une défense crédibles”, tout en œuvrant à “un dialogue constructif avec la Russie” dans leur communiqué final.
Néanmoins, des relations plus polies et cordiales ne veulent pas dire pour autant des priorités partagées. De nombreuses divergences d’appréciations stratégiques demeurent notamment à l’égard de la Chine qui devrait toutefois être à l’ordre du jour de la rencontre. “Il est vrai que pour les États-Unis, la plus grande menace géopolitique aujourd’hui c’est la Chine, et contrairement à Trump qui agissait de manière unilatérale, on a une administration Biden qui veut véritablement embarquer les Européens dans cette compétition là”, explique Alexandra de Hoop Scheffer. Reste à savoir comment les membres de l’OTAN, et en particulier les Européens, veulent se positionner à l’égard de l’affrontement Etats-Unis/Chine. S’ils partagent le diagnostic des États-Unis en la matière, ils ne lui accordent pas nécessairement la même priorité dans le cadre de l’OTAN. En amont des rencontres du G7 et de l’OTAN, le président français Emmanuel Macron n’avait pas hésité à s’affranchir des positions du président américain sur cette question. “Pour ma part la Chine ne fait pas partie de la géographie atlantique ou alors ma carte a un problème, mais je considère que ce n’est pas le coeur du sujet”. Il a néanmoins dû mettre de l’eau dans son vin sur ce point, le communiqué final qualifiant la Chine et sa politique de “défis systémiques pour l’ordre international”.
Entre alliés, un dialogue de vérité nécessaire
Après quatre années chahutées par les menaces de l’administration Trump de se retirer de l’Alliance, l’arrivée du président Biden présage de discussions plus apaisées. Un dialogue de vérité n’en demeurait pas moins nécessaire entre alliés. A cet égard, l’annonce le 14 avril dernier du retrait des troupes américaines et alliés en Afghanistan, devrait également alimenter les discussions. Pour Emmanuel Macron, celle-ci “a été une décision rapide qui a déstabilisé certains de nos alliés”. “Je respecte totalement que les États-Unis décident de plus être aussi engagés au Proche et Moyen-Orient qu’ils l’étaient pendant les décennies précédentes mais on a besoin de ce débat clair et de dire dans ce cas c’est l’Europe qui s’y engage, bien davantage, sur quelle ligne et comment”, a t-il justifié. Bien que la décision fut prise rapidement, elle ne saurait être une surprise complète. En avril 2020, celui qui était alors candidat démocrate, faisait déjà part dans Foreign Policy de son intention de mettre fin à l’engagement américain dans des “guerres sans fin et non gagnables”.
Autre exemple donné par Emmanuel Macron, qui témoignait selon lui de la nécessité d’un dialogue franc entre alliés, l’attitude de la Turquie qui s’est à plusieurs reprises frontalement attaquée à certains membres de l’Alliance. “Quand on est membre de la même organisation, on ne peut pas décider de prendre des équipements qui ne permettent pas l’interopérabilité, ou de mener des opérations unilatérales contraires aux intérêts des coalitions qu’on a bâties”, a-t-il rappelé. Il fait en cela référence à la décision des autorités turques de s’équiper avec des systèmes antimissiles russes, une situation inédite dans l’alliance, et aux différentes actions menées en Syrie, en Libye et en Méditerranée orientale depuis le dernier sommet de l’alliance en décembre 2019. Des rencontres bilatérales étaient prévues en marge du sommet entre Recep Tayyip Erdoğan et le président français mais aussi américain pour obtenir un dialogue franc. Un dialogue bienvenu, et qui a contribué à réchauffer à court-terme les relations entre la Turquie et ses partenaires européens. Cependant les nombreux points de divergence entre la Turquie et le camp transatlantique restent de taille.
Une alliance en pleine “réorganisation stratégique”
Enfin, la rencontre a surtout été l’occasion de lancer les travaux visant à remettre à jour le concept stratégique de l’alliance et de définir “la valeur ajoutée qui doit être [la sienne] dans le contexte sécuritaire actuel”, explique l’Amiral Patrick Chevallereau dans une note de l’IRIS. “Parmi les thèmes à traiter figureront les réponses à apporter aux menaces et aux risques qui se développent sur les flancs Sud et Est de l’Europe, mais aussi probablement la question de la Chine”, précise le chercheur, spécialisé sur les questions de sécurité et de défense. “Nous avons besoin de dire qui est notre ennemi et où”, a plus sobrement expliqué le président français. Les Alliés ont discuté pour cela des recommandations du secrétaire général Jens Stoltenberg visant à mettre à jour le logiciel de l’alliance. Baptisé “OTAN 2030”, le projet lancé en juin 2020 cherche à identifier les nouveaux défis et menaces qui pèsent sur l’alliance. Son avancée se fait en parallèle des travaux engagés en Europe sur une boussole stratégique dont l’aboutissement est prévu pour le premier semestre 2022 lors de la présidence française de l’UE. L’approfondissement de la coopération UE-OTAN en la matière est à cet égard une opportunité bienvenue.
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