Derniers développements de l’Assemblée des États parties à la Cour pénale internationale

Article paru à l’origine dans le numéro 186 de « Fédéchoses ». Deuxième article du dossier principal « 75 ans de l’ONU, la nécessaire réforme ».

, par Fédéchoses, Yasmina Gourchane

Derniers développements de l'Assemblée des États parties à la Cour pénale internationale
Drapeau fédéraliste. Domaine public

Le 10 septembre 2018, le conseiller américain à la sécurité nationale, John Bolton, s’exprimant lors d’une réunion de la Federalist Society (USA, politiquement de droite) à Washington DC, a dénoncé publiquement la Cour pénale internationale (CPI). Il a dit qu’elle était une création de « partisans d’une prétendue gouvernance mondiale » et a annoncé que les États-Unis utiliseraient tous les moyens nécessaires pour protéger ses citoyens et ceux de leurs pays alliés contre « les poursuites injustes de ce tribunal illégitime ».

Deux semaines plus tard, dans son discours à l’Assemblée générale des Nations Unies, le président Donald Trump a confirmé avec force cette position, tout en adoptant également une posture sévère contre le multilatéralisme et les institutions mondiales en général. « Nous rejetons l’idéologie du mondialisme et nous adoptons la doctrine du patriotisme », a-t-il déclaré.

Vingt ans après la signature du Statut de Rome, document d’orientation de la CPI, la Cour fait face non seulement à des critiques sur ses performances et sa jurisprudence, mais aussi à des menaces réelles qui pourraient empêcher ses fonctionnaires d’exécuter leurs mandats.

La Cour n’est pas étrangère à la critique. Au début des années 2000, John Bolton faisait partie de l’administration du président George W. Bush, siégeant à l’époque au poste de haut fonctionnaire du Département d’État et, plus tard, en tant qu’ambassadeur auprès des Nations Unies. Au cours de son mandat, il a négocié des dizaines (apparemment plus d’une centaine) d’accords bilatéraux d’immunité avec des États, à la fois parties et non parties au Statut de Rome.

En vertu de ces accords, le signataire est obligé de remettre tout ressortissant américain recherché par la CPI au gouvernement américain, et non à la Cour. Bolton faisait également partie de l’administration américaine lorsqu’elle a en fait « non signé » le Statut de Rome, soulignant ainsi son intention de ne jamais devenir partie à la Cour. De retour au gouvernement en tant que conseiller à la sécurité nationale, Bolton est à présent dans une position plus forte pour engager de nouvelles actions contre la CPI et ceux qui coopèrent avec elle.

En novembre 2017, la procureure générale de la CPI, Fatou Bensouda, a demandé l’autorisation d’ouvrir une enquête sur les crimes présumés commis en Afghanistan, ainsi que sur les crimes connexes qui auraient été commis sur le territoire d’autres États parties à la CPI. La demande de la procureure affirme qu’il existe une base raisonnable pour croire que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ont été commis par les Talibans, en plus des crimes de guerre commis par des membres des Forces nationales de sécurité afghanes, des forces armées américaines et de la Central Intelligence Agency (CIA).

Avant que la Chambre préliminaire n’annonce sa décision de ne pas autoriser l’enquête, les États-Unis ont continué de réitérer leur refus de coopérer avec la CPI, le secrétaire d’État Mike Pompeo, dans un discours au German Marshall Fund début décembre 2018, évoquant une « Cour internationale renégate » qui constitue une menace imminente à la souveraineté américaine.

Le 15 mars 2019, le secrétaire Pompeo a renforcé les mesures contre la CPI, annonçant une nouvelle politique américaine de restrictions de visa pour les personnes directement responsables de toute enquête de la CPI sur le personnel américain ou allié. À peine deux semaines plus tard, ces menaces se sont concrétisées lorsque le visa d’entrée de la procureure Bensouda aux États-Unis a été révoqué. Celle-ci a, à présent, une autorisation très limitée de se rendre aux États- Unis dans le cadre des affaires officielles de l’ONU, une restriction auparavant réservée aux représentants d’Iran, de Libye et de Palestine qui pourraient potentiellement constituer une menace pour la sécurité nationale.

Le 12 avril 2019, la Chambre préliminaire a déterminé que l’enquête sur l’Afghanistan ne servirait pas les intérêts de la justice, se prononçant contre l’autorisation d’une enquête sur la situation, même si la procureure peut toujours faire appel de la décision. Les ONG membres de la Coalition pour la CPI déclarent croire que les juges ont cédé à la pression et aux menaces de l’administration Trump.

Les menaces contre la CPI s’étendent au-delà de l’actuelle administration américaine. Le Président burundais, craignant des enquêtes, a soumis une lettre de retrait de son gouvernement en tant qu’État partie au Statut de Rome fin 2016. De même, en réponse à l’ouverture d’une enquête préliminaire sur les crimes qui auraient été commis dans le cadre de la « guerre contre la drogue » du gouvernement, les Philippines ont annoncé leur intention de se retirer de la CPI, ce qui a été effectif en mars 2019.

Cette vague de sentiments anti-CPI se fait également sentir aux Nations Unies, avec des États qui s’efforcent de supprimer les références à la Cour et, de manière plus générale, à la justice internationale dans les résolutions du Conseil de sécurité, de l’Assemblée générale ou d’autres comités. Par exemple, lors d’une session plénière de l’Assemblée générale de novembre 2018 sur sa coopération avec les institutions régionales, le Soudan a appelé à un vote pour supprimer les références à la CPI et au Statut de Rome dans une résolution sur le Conseil de l’Europe.

Malgré la persistance de ces menaces, le bilan de la Cour en tant qu’instance judiciaire internationale impartiale continue de lui assurer un soutien global. Par exemple, des États se sont mobilisés pour bloquer la proposition du Soudan et ont voté pour maintenir les références à la CPI dans la résolution mentionnée précédemment. Autre élément important, la Chambre préliminaire III de la CPI a statué que la Cour peut maintenir sa compétence à l’égard des crimes qui auraient été commis à l’époque où un État était partie au Statut, quel que soit son statut actuel en tant qu’État partie, ce qui signifie que les enquêtes sur les situations au Burundi et aux Philippines peuvent toujours être poursuivies par la procureure.

Certains États et des organisations de la société civile contribuent à contrecarrer les attaques contre la CPI. Lors de la 73ème session du débat de l’Assemblée générale de l’ONU, quelques jours à peine après les remarques initiales de Bolton contre la CPI, une vingtaine d’États se sont en effet référés explicitement à la Cour dans leurs déclarations, et les ministres des Affaires étrangères de trente-cinq États parties à la CPI ont publié une déclaration conjointe, soulignant tous la nécessité absolue de la Cour dans un ordre mondial fondé sur des règles. Quelques semaines plus tard, lors d’une session de l’Assemblée générale sur la CPI, des États ont de nouveau rappelé l’importance du système du Statut de Rome dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, ainsi que son rôle indispensable pour rendre justice aux victimes en cas d’échec des systèmes nationaux. Lors d’un débat du Conseil de sécurité en avril 2019 sur les violences sexuelles dans les conflits, une bonne dizaine d’États se sont prononcés explicitement en faveur de la CPI en tant qu’outil essentiel dans la lutte contre l’impunité.

Au cours de cette même période, six États, à savoir l’Argentine, le Canada, la Colombie, le Chili, le Paraguay et le Pérou, ont conjointement renvoyé la situation au Venezuela devant la CPI. Alors que la procureure menait déjà un examen préliminaire sur cette même situation, la saisine par ce groupe d’États parties peut être considérée comme un vote de confiance à l’égard du travail de la procureure. Même à un moment où deux gouvernements se sont retirés du traité établissant le premier organe judiciaire international permanent à juger des individus pour génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crime d’agression, la saisine par ce groupe d’États signale que le Statut de Rome et la Cour continuent de progresser dans la bonne direction pour mettre fin à l’impunité concernant les crimes graves.

Face aux menaces ouvertes, la Cour et ses fonctionnaires poursuivent leur travail sans se décourager, de manière impartiale et indépendante, en prenant des mesures pour s’acquitter de leur mandat. En janvier, un accusé dans l’affaire République centrafricaine, Patrice-Edouard Ngaissona, a comparu pour la première fois devant la Chambre préliminaire. En avril, les juges ont rejeté une contestation du libyen Saif Kadhafi, confirmant la recevabilité de son affaire devant la Cour. En mai, la Chambre d’appel de la CPI a confirmé que la Jordanie ne s’était pas correctement acquittée de ses obligations vis-à-vis du Statut de Rome en ne procédant pas à l’arrestation d’Omar el-Béchir, ancien président du Soudan.

Malgré ces exemples, la Cour n’est pas dénuée de défauts, et fait face aux critiques non seulement de ses détracteurs, mais aussi de ses partisans, États et société civile comprise. En réaction aux longues procédures, aux critiques des enquêtes, aux jugements retardés et aux décisions judiciaires contestables, la société civile a commencé à demander un examen indépendant de la Cour, proposition qui prend de l’ampleur parmi les parties prenantes du système du Statut de Rome.

S’appuyant sur des évaluations similaires menées par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) et des tribunaux ad hoc, un examen indépendant de la CPI pourrait identifier, en consultation avec des acteurs clés, les défis cruciaux qui entravent le bon fonctionnement de la Cour. Cet examen pourrait se conclure par des recommandations concrètes à la Cour et à son Assemblée des États parties, qui se chargeraient ensuite de les exécuter. Alors que le système du Statut de Rome désigne sa prochaine génération de dirigeants en 2020-2021, le moment est venu d’évaluer la voie à suivre. Un processus d’examen exploiterait les leçons tirées de ses premières années d’existence et fournirait une feuille de route pour la construction d’une institution plus efficace et plus légitime.

Ce tribunal du « Plus jamais ça » n’est pas là pour empiéter sur la souveraineté des nations, mais pour rendre justice aux victimes des crimes les plus graves. Lorsque la Cour est inefficace et improductive, ce sont finalement les victimes qui en souffrent le plus. La CPI est unique en ce qu’elle permet aux victimes de participer aux procédures et de demander réparation à tous les stades du processus, servant de rappel constant que la Cour a été créée pour rendre justice à ceux qui ont souffert d’atrocités inimaginables. En fin de compte, les menaces pesant sur le système du Statut de Rome nous rappellent que la Cour mérite d’être défendue.

Les chefs de gouvernement ont autrefois pu agir en toute impunité, sans craindre de répercussions lorsqu’ils commettaient de graves crimes internationaux. Mais l’existence même de cette institution constituée de cent vingt- deux États parties (près des deux tiers des membres de l’ONU) met à mal cette impunité.

La Cour a été conçue à une époque qui était plus idéaliste et doit aujourd’hui faire face à de grands défis. Pourtant, plus que jamais, le monde a besoin d’institutions comme la CPI pour défendre les victimes des crimes les plus odieux et assurer un avenir qui inclut un système solide de justice internationale.

Article paru initialement dans le numéro 186 de « Fédéchoses », la revue de débat et de culture fédéraliste fondée en 1973, en collaboration avec The Federalist Debate, revue anglophone trimestrielle basée à Turin (Italie) destinée à stimuler et nourrir le débat fédéraliste parmi les différentes organisations fédéralistes dans le monde. Avec tous les remerciements de la rédaction. Article initialement rédigé en anglais, traduit par Didier Colmont.

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