Coronabonds : l’occasion de redynamiser l’Europe

, par Lucas Nitzsche

Coronabonds : l'occasion de redynamiser l'Europe
Image : Alexas_Fotos de Pixabay

Alors que l’Europe commence tout juste à se déconfiner dans l’espoir de relancer l’économie, la question des “coronabonds”, des dettes mutualisées à l’échelle de la zone euro, n’est toujours pas résolue. Les pays dont l’économie se porte le mieux refusent cette idée. Pourtant, même eux auraient tout à y gagner.

Les coronabonds, c’est quoi ?

Le terme de “coronabonds” se réfère à l’idée des “eurobonds” ou “euro-obligations”, une idée conçue lors de la crise de la dette publique en 2010. L’objectif de ce mécanisme est de permettre la contraction de dettes non seulement au niveau national comme cela est le cas aujourd’hui, mais de pouvoir emprunter au nom de l’Union européenne, plus précisément au nom de la zone euro. Les coronabonds seraient des eurobonds spécifiques qui subsisteraient uniquement le temps de la crise pour aider la relance de l’économie européenne.

Aujourd’hui, les taux d’intérêts varient énormément d’un pays à l’autre. Le 17 mars, le taux italien (à 10 ans) a atteint 2,4%. Il est condamné à augmenter dans les prochains mois. Au contraire, l’Allemagne peut emprunter à taux négatifs. Mutualiser la dette à l’échelle européenne reviendrait à mutualiser les taux d’intérêts : les pays “économes” comme l’Allemagne verraient ainsi leurs taux augmenter (et dépasser la barre des 0%), tandis que ceux comme l’Italie - plus durement touchés par la crise sanitaire - pourraient emprunter plus facilement et à moindre coût.

Emprunter maintenant pour éviter l’écroulement

La crise économique consécutive à la crise sanitaire est inédite du fait qu’elle affecte à la fois l’offre et la demande, les deux composantes de l’économie de marché. Aujourd’hui, nombreux sont les économistes qui prédisent un choc économique de loin supérieur à celui de la crise de 2008. Le plan de près de 550 milliards d’euros décidé par les ministres des Finances de l’UE devrait permettre de financer à court terme les mesures de chômage partiel et de maintenir en respiration artificielle les entreprises. Toutefois, il faudra d’autres mesures pour contrer la crise économique et sociale sans précédent qui va toucher l’Europe.

Pour éviter une nouvelle crise des dettes souveraines, nous devons emprunter maintenant et combattre la crise avant qu’elle ne prenne trop d’ampleur. Ceux qui refusent de créer de nouvelles dettes aujourd’hui seront obligés d’emprunter bien plus dans un an : soyons proactifs et n’attendons pas qu’il soit trop tard.

Il est vrai que l’usage de la dette doit être limité, mais tout dépend de l’usage que nous en faisons. Si nous empruntons pour améliorer la situation sociale et sauver des emplois, en investissant pour permettre une production et une consommation plus durable, alors la dette est une bonne solution car elle devient un investissement à long terme.

Ceux qui considèrent qu’instaurer les coronabonds reviendrait à encourager les pays bénéficiaires à dépenser toujours plus n’ont pas saisi l’enjeu. En punissant sans cesse les pays considérés comme les “mauvais élèves” (car trop dépensiers), à l’instar de la Grèce en 2012, nous les précipitons dans une cercle vicieux au lieu de les aider à se relever. Or, maintenir en bonne santé la zone euro est dans l’intérêt de tous.

La solidarité européenne, dans l’intérêt de tous

Le débat soulevé par les coronabonds rappelle celui des eurobonds en 2011 et fait ressurgir de vieilles fractures au sein de l’Union européenne. Ainsi, on retrouve l’opposition géographique entre le “Nord” (les pays économes tels que l’Allemagne, l’Autriche, la Finlande et les Pays-Bas) et le “Sud” (l’Espagne, l’Italie ou la France). Angela Merkel a réitéré son souhait de se montrer solidaire, mais sans passer par les coronabonds, qui ne sont “pas la conception de tous les États membres”.

Pourtant, la solidarité entre les États est plus que jamais devenue une nécessité. La Commission européenne n’ayant qu’une compétence d’appui en terme de santé, le réflexe lors de cette crise sanitaire a été de jouer la carte de l’individualisme. Malgré les transferts de patients entre Etats membres, la réponse européenne demeure insuffisante. Refuser d’aider les pays du Sud à emprunter plus facilement pour combattre les conséquences de l’épidémie de Covid-19 - un facteur exogène à l’économie de ces pays - n’a pas de sens : le refus des eurobonds en 2010 pouvait se comprendre, mais le refus des coronabonds va à l’encontre des valeurs européennes. Le gouverneur de la Banque du Portugal, Carlos Costa, a même déclaré : "Un échec de la coopération dans cette crise laissera des cicatrices permanentes sur le projet européen".

Ce manque de solidarité flagrant est d’ailleurs contraire aux intérêts des pays du “Nord”. En effet, leurs économies dépendent beaucoup des exportations et autres relations commerciales avec leurs voisins : la France et l’Italie sont respectivement les 2ème et 7ème importateurs de produits allemands. Soutenir l’économie de la zone euro permettrait aux États exportateurs de s’assurer indirectement du bon fonctionnement du marché commun, et donc de défendre leurs intérêts économiques.

Un pas de plus dans la construction européenne

Les coronabonds, qui pourraient par la suite se poursuivre en eurobonds, sont par ailleurs l’occasion de poursuivre le projet européen en permettant de mettre en place une union budgétaire. Aujourd’hui, la zone euro est en effet la seule union monétaire au monde qui ne s’est pas ensuivie par une union budgétaire. La mise en place de dettes mutualisées permettrait d’éviter une trop forte implication de la Banque centrale européenne (BCE), qui n’a pas de légitimité démocratique et dans laquelle la majorité des États semblent pourtant placer leurs espoirs d’une relance économique. Pourtant, même sa directrice Christine Lagarde a encouragé les dirigeants européens à réfléchir à l’idée des coronabonds. Angela Merkel ainsi qu’un certain nombre de personnalités politiques privilégient un recours au Mécanisme européen de solidarité (MES), qui aurait l’avantage d’être plus rapide à mettre en place. Néanmoins, il présente le défaut d’être bien moins démocratique que les coronabonds, qui devraient être approuvés par les parlements nationaux et seraient ainsi contrôlés par les électeurs. À nouveau, le MES est une réponse adaptée à court terme, mais insuffisante sur la durée. Évidemment, la mise en place de telles dettes nécessitera des installations pour les accompagner : il faudra que les États de la zone euro aient un certain contrôle sur les dettes émises et les dépenses effectuées. Mais ces changements institutionnels permettraient également de rendre l’UE, ou du moins la zone euro, plus fédérale. Frédéric Ducrozet, économiste chez Pictet, a parfaitement résumé la situation dans l’Opinion : “Une étape aussi importante de la construction européenne ne peut être ratée. Il faut le faire maintenant”.

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