Commission européenne : La coalition vole en éclat

, par Hervé Moritz

Commission européenne : La coalition vole en éclat
Miguel Arias Canete, sous le feu des attaques, tant des parlementaires, que des citoyens et des journalistes, devrait rentrer au pays - European Parliament

En ce dernier jour d’auditions, il semblerait que la coalition ait volé en éclat : Sociaux-démocrates, libéraux et représentants de PPE se rencontrent dans la journée pour trouver une solution à la crise, suscitée par les auditions des commissaires au Parlement européen. En effet, les auditions ont écorché certains candidats, actuellement sur la sellette. Une situation difficile, que Jean-Claude Juncker compte régler avant le vote d’investiture de la commission, prévu le 22 octobre.

Après une première semaine d’auditions, plusieurs commissaires n’ont pas su convaincre les commissions parlementaires relatives à leurs attributions.

Hill et Jourova : Une maîtrise insuffisante

Jonathan Hill, commissaire à la stabilité financière, aux services financiers et à l’union des marchés de capitaux, n’a pas su convaincre sur sa capacité d’objectivité dans ses futures fonctions. En effet, ne creusant pas suffisamment ses dossiers pour une partie des parlementaires, le commissaire britannique s’est vu contraint de préciser ses serments : sera-t-il le sbire de la Reine et de Cameron, le complice des loups de la City, ou travaillera-t-il à l’intérêt général européen ? « Je viens ici pour travailler pour l’intérêt général en tant que commissaire européen. Je ne suis pas venu ici pour protéger la City de Londres », a-t-il déclaré. Malgré ses déclarations, les députés ont demandé une seconde audition afin de clarifier ses positions sur certains dossiers clés et ses liens plus ou moins étroits avec la City.

Sa collègue libérale, Vera Jourova, la commissaire tchèque à la justice, aux consommateurs et à l’égalité des sexes, fut également l’une des victimes de la semaine passée. Peu convaincantes sr certains dossiers brûlants, un écrit de 34 questions lui a à nouveau été demandé. Données personnelles ou congés de maternité, des questions qui n’ont pas trouvé de réponse. Son portefeuille, un joyeux fourre-tout, a entraîné la méfiance des parlementaires, qui doute de sa capacité de gestion d’un portefeuille aussi complexe allant de la protection des consommateurs à l’égalité des sexes. Elle fut également une victime collatéral du rejet du commissaire à l’énergie et au climat Canete, candidat PPE, largement attaqué par les libéraux et les sociaux-démocrates, l’obligeant ainsi à préciser ses positions par écrit en ce début de semaine.

Les salves contre Canete et Navracsics

L’Espagnol Miguel Arias Canete, qui a suscité une large contestation citoyenne, notamment sur les réseaux sociaux, est sous le feu des attaques. Alors que les écologistes avaient déjà critiqué la réunion des portefeuilles de l’énergie et du climat, les potentiels conflits d’intérêts du commissaire désigné, liés à ses participations, ainsi qu’à celles de sa famille dans une compagnie pétrolière, ont provoqué une levée de boucliers. « Sa déclaration est au minimum incomplète et au pire mensongère » a soutenu Jean-Marie Cavada, vice-président de la commission des Affaires juridiques, auprès des journalistes d’EurActiv. « Il a menti par omission. Il aurait dû préciser qu’il avait cédé ses participations dans des entreprises pétrolières à sa holding familiale », s’indignait le parlementaire européen et président du Mouvement Européen - France. Alors qu’on attend les résultats de l’examen de sa déclaration d’intérêts financiers par la commission des Affaires juridiques, le commissaire est sur la sellette et risque de rentrer bredouille à Madrid si les parlementaires rejettent sa candidature dans les heures qui viennent.

Les parlementaires ont été quasi unanimes sur un point : le Hongrois Tibor Navracsics n’a pas sa place à la Culture, la Jeunesse, l’Education et la Citoyenneté. Ancien ministre de la Justice et de l’Administration publique de Viktor Orban, il est à l’origine des réformes liberticides de 2010 à 2014. Les questions sur la liberté de la presse, revue en Hongrie sous son égide, ont déstabilisé le nouveau commissaire, proche de Viktor Orban, l’actuel dirigeant de la Hongrie, largement contesté pour ses dérives autoritaires. Pour les parlementaires européens, qui l’ont également questionné sur les droits fondamentaux, il n’a su se détacher de la politique de Viktor Orban en Hongrie et renier les réformes conduites par le Fidesz en pays magyar. Ses réponses écrites à de nouvelles questions, rendues hier, et qui témoignaient d’une prise distance avec la politique d’Orban, n’ont pas suffi à convaincre les parlementaires de la commission Culture : Tibor Navracsics, qui demeurera peut être dans la commission Juncker d’après le vote des parlementaires, devra changer d’attributions, selon un second vote en défaveur de sa nomination au portefeuille de la Citoyenneté, de la Jeunesse, de l’Education et de la Culture. Jean-Claude Juncker optait pour le retrait du volet « citoyenneté » de son ancien portefeuille, afin de faire passer la pilule. Cela n’a pas suffi. Tibor Navracsics est évincé de la future commission et de nouvelles tractations débutent avec le gouvernement hongrois.

La riposte du PPE : Pierre Moscovici retoqué

Pierre Moscovici, le commissaire français aux affaires économiques et financières, paie les pots cassés. Cible privilégiée du PPE en cas de rupture du « pacte » de la coalition, devant garantir à tous les nominés leur approbation par les parlementaires, respectant ainsi l’équilibre des trois partis coalisés à la Commission, Pierre Moscovici fut attaqué par les parlementaires PPE et les conservateurs sur son bilan aux ministères de l’Économie et des Finances en France. Ses échecs dans la réduction des déficits publics ont fait l’objet de multiples questions, et notamment celle de sa légitimité à faire appliquer les règles européennes à l’ensemble des Etats membres en difficulté avec fermeté. Sa mise sous « tutelle » a également inquiété certains parlementaires, qui s’interrogent sur la répartition des prérogatives entre Pierre Moscovici et ses deux vice-présidents référents, barons de l’austérité : Jyrki Katainen en charge de la croissance et de la compétitivité et Valdis Dombrovskis, en charge de la zone euro. Malgré le martèlement de sa nouvelle devise, « les règles, encore les règles, toujours les règles », et le soutien des socialistes, les parlementaires européens ont retoqué sa nomination en attendant des réponses écrites à leurs questions, sur lesquelles le commissaire a planché ce weekend. Il est tout de même peu probable que le commissaire français soit renvoyé, mais sa marge de manœuvre dans ses nouvelles fonctions pourrait se réduire considérablement.

Sauver la coalition : Chacun doit jouer franc jeu

La coalition du Parlement européen, composé des sociaux-démocrates, des parlementaires PPE et des libéraux, s’est rompue lors des auditions. Les sociaux-démocrates, qui ont ouvert les hostilités mercredi dernier face à Canete et à Navracsics, ont ainsi condamné Pierre Moscovici, mis à mal par le PPE, selon les menaces que ses membres avaient formulé. Alors que le PPE souhaitait la validation de l’ensemble des candidats de leur leader Juncker, les socialistes ont retoqué des commissaires PPE. Le PPE a riposté en retoquant Pierre Moscovici, le commissaire français. La réunion exceptionnelle du jour entre les présidents de commission parlementaire devrait trouver une solution par des ajustements de portefeuille ou d’attributions. Un verrou demeure : Canete, dont la déclaration d’intérêts, qui pourrait être partiellement fausse, est encore en cours d’examen. Le commissaire au climat et à l’énergie, après un tel scandale, devra sans doute faire ses cartons et reprendre la direction de la péninsule ibérique.

Vos commentaires
  • Le 7 octobre 2014 à 09:12, par Ferghane Azihari En réponse à : Commission européenne : La coalition vole en éclat

    Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais certaines nominations sont tellement saugrenues qu’on a l’impression que Juncker l’a fait exprès pour virer des indésirables...

  • Le 7 octobre 2014 à 09:41, par shaft En réponse à : Commission européenne : La coalition vole en éclat

    Triste spectacle moi qui ne suis pas europhile je ne peux m empecher de trouver ca pathétique. Le Titanic coule mais l orchestre juoe encore la même partition

  • Le 7 octobre 2014 à 11:23, par shaft En réponse à : Commission européenne : La coalition vole en éclat

    Ferghane

    Quel en serait l intérêt ? Ce serait agir de manière ideologique et paralyser les institutions. Dans un contexte tendu avec la Russie et Daesh c est très risqué

  • Le 7 octobre 2014 à 11:50, par Hervé Moritz En réponse à : Commission européenne : La coalition vole en éclat

    On peut s’interroger sur plusieurs nominations, sans doute volontairement fragiles pour évincer certaines personnalités ou faire pression sur les forces de la coalition.

  • Le 7 octobre 2014 à 11:57, par Alexandre Marin En réponse à : Commission européenne : La coalition vole en éclat

    @shaft

    Vous qui n’êtes pas europhile, vous ne pouvez guère vous empêcher d’admettre que le Parlement européen n’est pas qu’une chambre d’enregistrement, dénuée de pouvoir, et que l’Europe n’est pas gouvernée simplement par des technocrates non élus. Comme quoi, le vote des députés européens a de l’importance.

    Ce que je trouve pathétique (et que je vous invite de même à trouver pathétique), c’est que l’Agence européenne du médicament située à Londres a quitté le giron du département « santé » de la Commission, pour passer sous la dépendance du département « industrie ». Les associations de consommateurs protestent, et elles ont raison.

  • Le 7 octobre 2014 à 13:29, par Ferghane Azihari En réponse à : Commission européenne : La coalition vole en éclat

    @Shaft Loin d’être un spectacle affligeant, cet événement témoigne des pouvoirs grandissants du Parlement européen vis-à-vis de l’exécutif. On ne peut pas en dire autant de l’assemblée nationale française. Une occasion de rappeler à certains que l’Union européenne peut inspirer la France en matière de démocratie.

  • Le 7 octobre 2014 à 19:38, par Lame En réponse à : Commission européenne : La coalition vole en éclat

    @Alexandre Marin

    Effectivement, le Parlement européen paraît faire preuve d’une certaine indépendance. Quelle en est la raison ?

    1) Il est indissoluble à l’instar du Congrès américain.

    2) Il est fortement multipartisan à l’instar du Congrès américain dont le bipartisme apparent est trompeur.

    A méditer pour l’avenir, sachant que certains appellent à l’instauration de partis transnationaux forts, d’autre à l’introduction de la dissolution.

    Le fait est que le Parlement est pour le moment assez indépendant mais n’a toujours pas les pouvoirs d’un Parlement. Pas d’initiative législative. Pas de droit de veto sur tous les textes législatifs.

    Il est entendu que l’acquisition de tels pouvoirs, nécessaire à la démocratisation de l’Union, posera le problème de la coopération des pouvoirs. Il faut éviter que la démocratisation n’engendre les problèmes de la IVe République ou de l’Italie.

  • Le 7 octobre 2014 à 19:46, par Lame En réponse à : Commission européenne : La coalition vole en éclat

    @Alexandre Marin

    Pour ce qui est de la coopération des pouvoirs, la solution pourrait être le régime néoparlementaire :

    1) Une Députation européenne élue au suffrage direct qui représente les Etats en proportion de leur population.

    2) Un Sénat européen élu au suffrage direct où les Etats ont une représentation homogène.

    3) Des parlementaires élus à la proportionnelle selon la méthode Sainte-Laguë sans seuil de représentation.

    3) Un Parlement européen composé de la Députation et du Sénat, indissoluble et investi du pouvoir législatif d’un vrai Parlement.

    4) Un Congrès, assemblée commune des députés et sénateurs, qui peut censurer les ministres selon le principe de la censure constructive collective à la majorité des trois cinquièmes et à bulletin secret : la motion de censure désigne les nouveaux membres du Gouvernement.

    5) Un Gouvernement, constitué de parlementaires d’un président européen et de son vice-président, investi par le Congrès et habilité à poser la question de confiance sur l’adoption d’un texte. Le texte est réputé adopté 72h après son dépôt si le Congrès n’a pas voté la censure.

    6) Un Président européen élu avec son Vice-Président au suffrage direct et non protocolaire qui forme le Gouvernement et propose son investiture au Congrès :
     Il négocie les traités et dirige la diplomatie.
     Il préside les réunions du Gouvernement et peut participer à ses délibérations avec deux voix ; son vote est prépondérant en cas d’égalité.
     Il peut entrer dans les chambres et y prendre la parole, proposer des lois, exercer un veto sélectif levable à la majorité des trois cinquièmes sur tous les textes.
     Il n’a aucun autre pouvoir et ses pouvoirs sont dispensés de contreseing.

    7) Le Vice-Président est le Premier ministre, ministre chargé de la coordination des administrations, et le suppléant du Président.

    8) Le Gouvernement exécute les lois européennes par décrets délibérés par ses membres. Un conseil exécutif désignés par Congrès et responsable devant lui peut émettre des décrets d’exécution provisoire qui sont inférieurs aux décrets gouvernementaux dans la hiérarchie des normes ; il n’a pas d’autres pouvoirs. Le Gouvernement ne peut donc s’abstenir d’exécuter les lois même s’il ne peut être privé de ce pouvoir.

    Dans la mesure où la motion de censure touche l’ensemble des membres du Gouvernement, elle doit désigner les nouveaux Président et Vice-Président, lesquels resteront en fonction pour le reste du mandat du Président censuré.

    Avec ce système, le Parlement resterait indissoluble, multipartisan et pourrait exercer librement son pouvoir de censure sans que ses membres subissent de sanction de leurs partis. Toutefois, la censure constructive combinée à la question de confiance législative garantirait au Gouvernement une capacité d’action en l’absence de chambre d’enregistrement.

  • Le 8 octobre 2014 à 09:20, par shaft En réponse à : Commission européenne : La coalition vole en éclat

    Dans un contexte idéal le parlement européen serait vraiment efficace et indépendant mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. Pourquoi la coalition est fragile ? J y vois la main de Berlin qyi veut imposer ses règles à toute l europe.De plus ce coup d etat de salon permet d affaiblir et de mettre au pas la France

  • Le 8 octobre 2014 à 16:42, par Alexandre Marin En réponse à : Commission européenne : La coalition vole en éclat

    On ne peut guère dire que c’est Berlin qui impose ses règles à toute l’Europe.

    Le refus d’attribuer le portefeuille de l’éducation, la culture, et citoyenneté, à Tibor Navaracsis, vient du Parlement. Idem pour les pressions exercées sur Jonathan Hill, ce n’est pas Berlin qui souhaiterait le voir loin de la gestion de l’Union bancaire, mais le Parlement.

    Il s’agit en réalité d’une stratégie habile du Parlement. Cette institution essaye de s’accorder des pouvoirs de libre disposition des futurs commissaires au sein des différents portefeuilles sans passer par les Etats-Membres.

    Ca se joue donc plus au désavantage de l’Allemagne qu’en sa faveur.

  • Le 8 octobre 2014 à 19:57, par shaft En réponse à : Commission européenne : La coalition vole en éclat

    Regardez a qui sont attribués les postes importants à des Allemands de la CDU ou à des alliés liberaux. Maintenant il vrai que la position de Merkel s affaiblit grâce à la BCE mais son intransigeance et en partie responsable de la situation qui est la notre

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