Christian Lindner et la Freie Demokratische Partei : les coulisses d’un procès

, par Théophile Rospars

Christian Lindner et la Freie Demokratische Partei : les coulisses d'un procès
La FDP est-elle victime d’un faux procès pour l’échec des négociations sur la formation d’une coalition gouvernementale ? CC - Dirk Vorderstraße

Les observateurs français des élections allemandes puis des pourparlers en vue de constituer une coalition jamaïcaine n’ont eu de cesse de dénoncer le parti libéral-démocrate allemand en le qualifiant de populiste, eurosceptique et en le pointant du doigt comme le coupable de la crise politique actuelle outre-Rhin. Mais qu’en est-il vraiment ?

Le 24 septembre dernier ont eu lieu des élections législatives en Allemagne. Ces dernières ont été marquées par la dégringolade des sociaux-démocrates de Martin Schulz et des chrétiens-sociaux bavarois ainsi que l’affaiblissement marqué des chrétiens-démocrates d’Angela Merkel. Cela a profité à l’AfD, parti xénophobe eurosceptique, qui entre au Bundestag. Les libéraux-démocrates quant à eux font leur retour dans le Bundestag après la déroute de 2013 (d’ailleurs, félicitations du jury pour l’humour de la campagne des jeunes libéraux qui distribuaient des préservatifs avec la mention « Wieder rein im Bundestag », « On rentre de nouveau dans le Bundestag »).

Depuis, en raison du refus catégorique de Martin Schulz de poursuivre la Grande coalition droite-gauche (GroKo), la seule option disponible pour former une majorité restait celle de la coalition jamaïcaine (CDU/CSU de la chancelière Merkel, Libéraux du FPD, et les Verts). La chancelière Angela Merkel elle-même avait fixé un ultimatum pour une fin des négociations au 16 novembre, [1] date butoir reportée au dimanche 19 novembre à 17h. [2] Dans la nuit, Christian Lindner, président des libéraux-démocrates, a acté la fin des négociations faute de résultat alors que le délai buttoir exigé par Angela Merkel était passé. Il restait alors plus de 200 sujets (!) pour lesquels il n’y avait pas de compromis entre les différents partis engagés dans les négociations.

Un procès médiatique assez extravagant

En actant la fin des négociations, les libéraux ont été désignés comme les responsables par l’élite politique traditionnelle du pays, ainsi que par la presse internationale - notamment française - qui en a profité pour se défouler sur un parti qu’elle n’a pas cessé de calomnier pendant la campagne des législatives. En effet, des médias si objectifs et professionnels comme Le Monde, Libération, L’Obs ou encore les médias d’Etat, n’ont eu de cesse de présenter la Freie Demokratische Partei comme un parti de droite souverainiste chassant sur les terres de l’AfD.

Quels étaient leurs arguments ? Il s’agissait principalement de dénoncer le refus de ce parti d’aller dans le sens du président Macron en acceptant l’autonomie de la zone euro vis-à-vis de l’Union européenne en lui allouant un budget spécifique. Ils critiquaient aussi la proposition du parti de faire sortir la Grèce de la zone euro tant qu’elle ne respectait pas ses propres engagements européens. Faut-il y voir une forme de solidarité entre mauvais élèves en matière budgétaire ? En tout cas, la seule chose que l’on puisse objectivement dire est que la vision économique de l’Europe entre la presse keynésienne française et le parti libéral allemand n’est pas la même. Mais dire de l’un ou de l’autre qu’il serait eurosceptique est tout simplement malhonnête…

Quelle est la véritable position des libéraux-démocrates ?

Pendant la campagne, la FDP a activement milité pour une armée européenne et insisté sur la finalité fédéraliste de la construction européenne. Je ne pense pas que l’extrême-droite de l’AfD partage ces opinions… Lorsque l’on parle à un Allemand, qu’il soit proche de la CDU ou de la SPD, et que l’on lui explique le traitement médiatique fait à la FDP en France, celui-ci est très surpris et dénonce un prisme totalement biaisé. En effet il s’agit d’un parti (néo-)libéral économiquement et socialement (en faveur de la légalisation du cannabis par exemple), pratiquement fédéraliste, et qui est ouvert à d’éventuelles coalitions avec la SPD, les Verts et la CDU dans les états fédérés allemands. Les coulisses des négociations

Depuis le début des négociations, la CSU et les Verts se sont distingués par l’outrance des attaques réciproques, mais aussi contre les libéraux. [3] Il est aisé d’admettre qu’il y a des attitudes plus adaptées pour mettre en place la confiance nécessaire entre partis membres d’une coalition… De plus, le contenu même des négociations s’orientait vers une forme de « GroKo light », avec un volet écologiste un petit peu plus développé. Il serait étrange pour un parti qui a dénoncé la grande coalition et sa politique d’y souscrire. Parallèlement les Verts reprochent aux libéraux de ne pas avoir accepté suffisamment de compromis tandis qu’eux auraient accepté d’avaler des couleuvres afin de sauver la coalition. Dans une démocratie fonctionnant correctement, faut-il privilégier un parti qui se bat pour défendre ce qu’il a promis à ses électeurs ou bien un parti qui revendique de ne pas tenir ses promesses de campagne afin de privilégier sa participation au gouvernement ? De plus la chancelière Merkel n’a pas hésité à revenir sur des positions communes avec les libéraux pour privilégier les Verts. [4]

Revenons enfin sur la soirée où tout a basculé : le journal social-démocrate allemand Die Süddeutsche Zeitung (comme quoi c’est bien le prisme chauvin qui déforme les réalités et non les divergences doctrinales) estime que dire que les libéraux se sont levés pour partir et abandonner unilatéralement les pourparlers relève du « conte pour enfant ». En effet, la chancelière Merkel et son allié le bavarois Hort Seehofer auraient également constaté l’échec des négociations. « La FDP a alors pensé qu’ils sortiraient ensemble annoncer la décision. Cependant, Hort Seehofer a alors transmis l’information que les autres restent encore un peu dans la salle [des négociations]. La FDP s’est retrouvée à attendre devant la porte. Après plusieurs minutes d’attente, se sentant un peu ridicule à attendre, elle a pris la décision d’annoncer seule la nouvelle ». [5] C’est donc un peu simple, voire simpliste, de désigner la FDP comme coupable de l’échec des négociations…

Et maintenant ?

Les sociaux-démocrates refusant toute forme de discussion en vue de former un gouvernement avec la CDU, la seconde coalition numériquement envisageable était exclue, malgré les demandes du président fédéral allemand demandant à l’ensemble des partis (SPD compris) de chercher un compromis. Nous retiendrons qu’il s’agit du seul parti républicain à avoir refusé des négociations.

Un gouvernement minoritaire serait possible, notamment avec une formation CDU/CSU-Verts, et rythmé par des coalitions ponctuelles selon les sujets, sur le modèle du Parlement européen. [6] Cependant, le scénario le plus probable est la convocation de nouvelles élections. Celles-ci devraient profiter selon les sondages principalement à la FDP et aux Verts et dans une moindre mesure à l’extrême gauche de Die Linke et à l’extrême droite de l’AfD. Les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates feraient eux des scores bien pires qu’à l’automne. [7]

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