Chers citoyens européens, vivons ensemble !

, par Mathis Porchez

Chers citoyens européens, vivons ensemble !
CC Flickr / Europa point

Ces dernières années, les pays de l’Union Européenne ont dû faire face à une intense vague migratoire et à une série d’attentats. Au-delà du fait qu’il ne faille pas tomber dans la simplicité en plaçant l’emphase sur un lien de causalité entre les deux, ces phénomènes remettent profondément en cause le modèle de l’intégration à l’échelle du vieux continent.

L’ancienne question est remise à l’ordre du jour : comment vivre ensemble ? Le philosophe allemand, Jurgen Habermas, dans son livre L’intégration républicaine (1988), esquisse une réponse qui pourrait bien être l’une des clefs permettant un renouveau européen.

La fin des Etats-nations ?

Habermas base sa réflexion sur un constat qui dérange : l’État-nation est mis à mal. À première vue contestable, ce constat n’est en réalité compréhensible qu’à l’aune d’une analyse méticuleuse. Ce modèle trouve ses origines au 18ème siècle avec les épisodes révolutionnaires états-unien et français. Dès lors, l’autorité n’appartient plus à un monarque de droit divin mais à un peuple ayant une identité commune. Après avoir séduit l’Europe, l’État-nation s’exporte à travers le monde pour s’affirmer rapidement comme l’organisation étatique prédominante. Cependant, l’avènement de la mondialisation marque un temps d’arrêt à ce processus. La multiplication des échanges et l’intensification du phénomène migratoire, toutes deux permises par le progrès technique, favorisent le brassage culturel. De cette manière, la culture qui fondait la base de la nation devient de plus en plus hétérogène et, selon les points de vue, s’enrichit ou s’appauvrit.

Les apports du multiculturalisme

Au sein de son analyse, le philosophe de l’école de Francfort prend le problème à bras le corps. Si l’État-nation est en perdition et la mondialisation une dynamique intarissable, il faut alors penser un nouveau modèle plus compatible avec le contexte contemporain. Au lieu de s’obstiner à préserver un ciment qui n’assemble plus rien, Habermas propose de faire dialoguer les peuples entre eux pour former un tout paisible. Dans le même ordre d’idée, les Pays-Bas forment une société « pilarisée » soutenue par des piliers, autrement dit, par des communautés autonomes qui sont toutes plus ou moins solidaires entre elles. La condition sine qua non à ce projet ambitieux est bien sûr la possibilité d’échanger librement et démocratiquement car, dans le cas contraire, une minorité de personnes pourrait facilement imposer son point de vue à la majorité, ce qui rendrait la situation instable.

Le « patriotisme constitutionnel » comme nouveau ciment

Les sceptiques reprennent alors l’habituel crédo nationaliste : la peur du communautarisme. Alain Finkielkraut, Marine Le Pen, Geert Wilders et tant d’autres pensent le multiculturalisme comme un danger favorisant le repli sur soi au détriment de la nation. Et, ils n’ont pas tort dans la mesure où si la communication ne s’engage pas correctement, les individus ne peuvent dialoguer entre eux et vont au contraire se disperser. Pour faire face à cette éventualité, Habermas propose un nouveau genre de solidarité qu’il nomme « patriotisme constitutionnel ». Dans sa logique, les citoyens d’un même État doivent non plus vénérer une histoire et un patrimoine commun mais plutôt la constitution, le corpus juridique, les élections et les institutions qui régulent la vie en société. Ainsi, à l’aide de ce lien plus neutre, le multiculturalisme ne rime plus avec communautarisme.

L’Europe

Contrairement à ce qu’indique Régis Debray dans son livre, Le feu sacré, cette théorie n’est pas forcément destinée à errer de colloque en colloque sans jamais être appliquée. Elle pourrait plutôt être une réponse aux crises de la solidarité et de la citoyenneté européenne. Mais les critiques rétorquent que le « patriotisme constitutionnel » s’avère inefficace au regard du peu d’intérêt que l’on porte à l’élection des eurodéputés - à l’échelle du continent, la moyenne du taux de participation n’a pas dépassé la barre des 45 % en 2014. Les personnes ne se sentent pas concernées et, pour cause, elles se définissent d’abord par leur appartenance locale et nationale puis, seulement dans certains cas, par leur attachement à l’Europe. À l’image d’une Union orpheline de toute identité culturelle, il semble impossible de véritablement rassembler autour d’un seul corpus de lois. Caractérisé par sa fadeur et sa technicité, il ne peut susciter de l’espérance et de l’engouement.

Toutefois, cette analyse ne discrédite pas la thèse du philosophe allemand car il ne renie pas l’importance du culturel comme dénominateur commun. Il n’entend pas le combattre, bien au contraire. Son objectif est de créer un nouvel ensemble tolérant et adapté à la population grâce à la communication et des normes juridiques acceptées par tous. C’est dans cette perspective que l’UE peut s’inspirer de la thèse défendue par Habermas au sein de L’intégration républicaine. Pour ce faire, elle doit promouvoir les échanges entre citoyens grâce à des programmes tels qu’ « Erasmus + » et combler l’important déficit démocratique qui ternit son bilan et sa popularité. C’est seulement dans ces conditions que pourront émerger une « vie ensemble », un socle culturel commun, une véritable identité, voire un renouveau européen.

Vos commentaires
  • Le 22 juin 2017 à 17:55, par porchez En réponse à : Chers citoyens européens, vivons ensemble !

    texte clair,rendant bien la pensée d’habermas, mais qui reste dans les généralités ; j’aurai souhaité plus d’approfondissement de ces conceptions ; Je l’ai lu avec plaisir et fierté ta 3eme grand mère,mina

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