Carton rouge à Merkel et Rutte pour l’exclusion de Sassoli des discussions européennes sur le coronavirus

L’UE doit mettre ses citoyens malades en quarantaine, pas la démocratie parlementaire

, par Antoine Potor, Théo Boucart

Carton rouge à Merkel et Rutte pour l'exclusion de Sassoli des discussions européennes sur le coronavirus
Le Président du Parlement européen, David Maria Sassoli. © Olaf Kosinky (CC BY-SA 3.0-de)

Selon le journal espagnol El Pais, Angela Merkel et Mark Rutte auraient demandé que le Président du Parlement européen, David Maria Sassoli, ne soit pas convié aux discussions portant sur la riposte européenne face à la pandémie de coronavirus. Une décision sournoise pour ne pas discuter avec un partisan des « coronabonds » ? Peut-être. Une entorse à la démocratie parlementaire européenne ? Assurément.

La pandémie de Covid-19 est en train de mettre l’UE à genoux, aussi bien en termes de santé publique (la maladie provoquée par le coronavirus a déjà fait près de 45000 morts en Europe), qu’en termes économiques (les prévisions estiment que la croissance s’effondrera en 2020 à un rythme inégalé depuis la seconde guerre mondiale).

Cette crise sans précédent, encore plus grave selon certains que la crise de la zone euro, exige une réponse nationale et européenne forte et coordonnée. Lundi 6 avril, les présidents des principales institutions européennes se sont réunis en visio-conférence pour parler de la riposte européenne face au coronavirus. Tous ? Non, un Président brillait par son absence, David Maria Sassoli, à la tête du Parlement européen depuis l’année dernière.

Tandis qu’Ursula von der Leyen, Charles Michel, Christine Lagarde et Mario Centeno (respectivement président(e) de la Commission européenne, du Conseil européen, de la Banque centrale européenne et de l’Eurogroupe) étaient présents à cette réunion, David Sassoli ne l’était pas, et ce n’est apparemment pas la première fois que cela arrive. Le journal espagnol El Pais rapporte même que la chancelière allemande Angela Merkel et le premier ministre néerlandais Mark Rutte auraient demandé expressément à ne pas inclure le Président du Parlement.

Depuis lors, les Pays-Bas ont officiellement rejeté les allégations avancées par El Pais, assurant le Parlement jouait un « rôle clé » dans la résolution de la crise.

Dans la mesure où David Sassoli est quotidiennement en contact avec Ursula von der Leyen et Charles Michel pour gérer la crise au niveau européen, il est très étonnant, et même fort regrettable, que celui-ci soit exclu des discussions à la demande de certains chefs de gouvernement, aussi influents soient-ils.

Que peut faire le parlement européen dans la crise du coronavirus ?

Contrairement à une idée répandue, surtout en France, pays assez antiparlementaire dans sa politique européenne, le Parlement européen est une institution centrale dans le fonctionnement démocratique européen. C’est presque un poncif de rappeler qu’il s’agit de l’unique institution élue directement par l’ensemble des citoyens européens. Les élections de l’année dernière ont montré l’intérêt pour les questions européennes. Les traités successifs lui ont également donné un pouvoir croissant, jusqu’à devenir co-législateur avec le Conseil de l’UE dans la plupart des domaines.

Concernant spécifiquement la crise sanitaire actuelle, le parlement européen a un rôle à jouer, malgré la faible compétence de l’UE en la matière. Le Parlement est en effet co-législateur selon l’article 168 du TFUE, base légale pour la politique européenne de santé publique. De plus, il a voté le 26 mars (le même jour que le Conseil européen) un ensemble de mesures essentielles pour répondre à la crise sanitaire, comme l’extension du mécanisme européen de protection civile à la lutte contre la pandémie.

C’est donc un rôle loin d’être anecdotique que le Parlement européen est censé endosser actuellement. Toutefois, il est nécessaire que celui-ci, ainsi que son Président, fassent pleinement entendre leur voix lorsque d’autres institutions remettent en cause le principe des « cinq présidents », un équilibre institutionnel existant depuis les crises du milieu de la décennie précédente.

Toujours selon El Pais, David Sassoli a d’ailleurs réagi avec colère, puis résignation en apprenant son exclusion des discussions. A l’issue de la réunion de l’Eurogroupe, le 8 avril, il a néanmoins publié une vidéo où il exhortait de « faire beaucoup plus » pour résoudre cette crise. Il est toutefois nécessaire que le Président du Parlement imprime sa marque en ce début de législature. Cela pourrait avoir son importance en cas de changement d’équilibre institutionnel une fois la crise passée.

Un point qui cristallise les discussions : les « coronabonds »

Le tort de David Sassoli ? Le Président du Parlement européen est en faveur de l’utilisation d’euro-obligations comme réponse à la crise économique qui s’annonce, les fameux coronabonds. Permettons-nous un petit aparté sur ces coronabonds. Selon Vitor Constâncio, ancien Vice-Président portugais de la BCE, ceux-ci seraient le meilleur moyen de ne stigmatiser aucun pays européen en particulier, alors que la suspicion entre partenaires européens semble à son paroxysme.

Ce n’est pas le cas des Néerlandais et des Allemands, qui préfèrent le levier du MES, même si leurs positions semblent diverger sur la façon de l’activer. Olaf Scholz, vice-chancelier allemand propose, dans une lettre publiée dans plusieurs journaux européens, de mettre de côté les exigences accompagnant l’aide du MES, alors que les Pays-Bas veulent l’assortir de conditions (la Grèce en a fait la funeste expérience avec la Troïka). Dans ce cas de figure, l’organisation dite de « stabilité » sert d’intermédiaire entre les marchés d’emprunts et l’État membre, même si en réalité, il change simplement de créancier : il est débiteur des autres États membres, aucune sorte de solidarité ici.

L’émission de ces coronabonds [1] permettrait en quelque sorte de mutualiser les notations qui déterminent en grande partie le taux d’emprunt des États membres. Or ceux-ci ne sont pas égaux, et certains pays, comme l’Allemagne, empruntent même à des taux négatifs, c’est pourquoi ils refusent de payer pour ceux qui emprunteraient à un prix plus élevé.

Pourtant, nous ne sommes pas à l’heure des comptes, mais bien à celle d’une crise humaine et européenne qu’il faut savoir transformer en opportunité pour sortir de l’eurosclérose ambiante. Ce n’est malheureusement pas le souhait de certains, qui se complaisent dans le fonctionnement actuel de l’UE en rejetant toute forme de solidarité : pourquoi alors s’encombrer du seul représentant de la démocratie représentative au sein de l’Union qui, en plus, est en faveur de plus de solidarité ? L’hypocrisie va même plus loin, puisqu’il s’agit en réalité plus d’une défiance vis à vis de David Sassoli et de ce qu’il représente. En effet, Mario Centeno, le Président portugais de l’Eurogroupe, également favorable aux coronabonds, était présent aux discussions institutionnelles.

La démocratie parlementaire, grande perdante de la pandémie ?

En effet, au-delà de la question de l’utilisation des coronabonds et du choix de la voie de la solidarité entre États membres, l’exclusion de David Sassoli des discussions sur « l’après » dit quelque chose de bien plus grave sur la situation dans laquelle se trouve l’Union européenne : un déni de démocratie.

Le Parlement européen est l’institution la plus démocratique de l’UE. On pourrait rétorquer que les Présidents et Chefs de gouvernement sont démocratiquement élus, mais ils le sont dans un cadre purement national. Quid aussi des ministres des finances qui décident dans le secret de l’Eurogroupe des solutions économiques concernant l’ensemble de la zone euro et ses 350 millions de citoyens ?

Ces solutions impacteront directement chacune et chacun des citoyens européens, la présence du Président du Parlement est donc primordiale dans les discussions qui s’enchaînent depuis le début de la crise. Elle est d’autant plus essentielle que le respect des principes démocratiques est déjà mis à mal dans certains États membres, où les dirigeants transforment la crise du covid-19 en une opportunité d’accroître leur mainmise sur les institutions.

C’est le cas notamment en Hongrie, où Viktor Orbán s’est arrogé ce qui s’apparente aux pleins pouvoirs, en écartant de facto le Parlement hongrois de toute décision (qui était de toute façon composé en grande majorité de sa coalition Fidesz-KDNP). En France, l’état d’urgence sanitaire pourrait poser des questions - même si le parallèle avec la situation hongroise n’est pas possible - dans la suite qui lui sera donné, notamment vis à vis des libertés individuelles.

Nous sommes donc face à un double déni de démocratie : au sein des institutions européennes et des États membres. Le moment est pourtant au renforcement de celle-ci, il ne s’agira pas de compter la démocratie parlementaire parmi les victimes du coronavirus, elle est au contraire un remède efficace à ce qui ronge l’Union européenne depuis des années : l’intergouvernementalisme.

Il est en outre aberrant que les grands médias français et francophones (à de très rares exceptions près) n’aient absolument pas réagi à cette entorse démocratique. Une couverture médiatique complète, ne concernant pas uniquement les vicissitudes de l’Eurogroupe, est pourtant essentielle à la bonne compréhension des arcanes européennes.

[1] : Les coronabonds seraient en réalité des eurobonds, mais avec un champ d’action limité à la lutte contre les effets de la pandémie, après quoi ils ne seraient plus utilisés

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