Mercredi 14 novembre 2018 à 21h, le gouvernement britannique et la Commission européenne ont annoncé avoir trouvé un accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE). Les négociateurs sont tombés d’accord sur la question de la frontière irlandaise, qui empoisonnait les négociations depuis le début et était proche de conduire à leur échec. L’accord de retrait est accompagné d’une déclaration politique sur la relation future qui doit encore être modifiée et sera adoptée à l’occasion du sommet exceptionnel qui réunira les chefs d’Etat et de gouvernement le 25 novembre à Bruxelles.
La nouvelle d’un accord entre les deux parties avait fuité dès la veille. Cependant, Theresa May, Première ministre britannique, devait encore faire accepter cet accord aux ministres de son gouvernement. C’est désormais chose faite après une réunion marathon de plus de 5h mercredi après-midi. Malgré le mécontentement d’une dizaine de ministres, Theresa May a annoncé que le gouvernement britannique avait pris la décision « collective » d’accepter l’accord conclu avec l’UE.
Démissions en chaîne au gouvernement britannique
Subtilité du langage politicien, « collectif » est le mot que l’on utilise lorsqu’on ne peut dire « unanime ». De fait jeudi 15 novembre au matin, les démissions se sont enchainées. Dominic Raab, Ministre du Brexit a provoqué un effet domino en démissionnant peu avant 10h du matin, invoquant la trahison d’un accord qu’il a pourtant participé à négocier. Dans son sillon, d’autres membres du gouvernement ont annoncé leur démission : la ministre du Travail, Esther McVey ; le ministre délégué pour l’Irlande Nord, Shailesh Vara ; et la ministre adjointe auprès du ministre du Brexit, Suella Braverman. Plusieurs personnalités occupant des postes de moindre importance auprès du gouvernement ont également annoncé leur départ, dénonçant le Protocole sur l’Irlande annexé à l’accord.
Pourquoi un tel accueil ?
Le protocole sur l’Irlande au cœur des tensions
Pour respecter l’engagement de ne pas ériger de frontière physique entre Irlande du Nord et République d’Irlande, un système à plusieurs étages a été élaboré. Si, à la fin de la période de transition (fin 2020), l’accord ou l’absence d’accord sur la relation future entre UE et Royaume-Uni ne permet pas d’éviter une frontière physique sur l’île d’Irlande, soit la période de transition sera prolongée, soit une solution dite de « backstop » sera mise en place. Cette solution est détaillée dans le « Protocol on Ireland/Northern Ireland » annexé à l’accord.
Concession aux Britanniques qui ne coûte pas grand-chose, il est précisé que les dispositions de ce protocole ne s’appliqueront que temporairement et ont vocation à être remplacées par un autre accord. Aucune durée d’expiration n’est cependant précisée et ce remplacement devra donc faire l’objet d’un consensus entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Le protocole pourra être remplacé pour partie ou dans son intégralité et d’un même coup ou progressivement.
Extension de la période de transition
Avant le 1er juillet 2020, les Britanniques peuvent à tout moment demander l’extension de la période de transition (et donc de statu quo). Cela peut être décidé par la commission conjointe (Joint Committee) créée par l’accord de retrait.
Union douanière
Le « Protocole » ou « backstop » prévoit le maintien de l’ensemble du Royaume-Uni dans l’union douanière, ce qui signifie l’absence de droit de douane ou quota entre UE et Royaume-Uni et qu’avec les Etats tiers, le Royaume-Uni devra appliquer les mêmes conditions et tarifs douaniers que l’UE pour les biens.
Le Royaume-Uni n’aura cependant pas l’obligation de suivre les règles de l’UE pour les biens produits à destination de son propre marché.
De plus, l’Irlande du Nord restera alignée sur les législations et normes de l’UE pour les biens, les contrôles vétérinaires et sanitaires et devra respecter le code douanier de l’Union. Cela implique des contrôles réglementaires entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni, ce qui est inacceptable pour les unionistes nord-irlandais et pour de nombreux parlementaires britanniques, qu’ils soient Brexiters ou non.
L’UE et le Royaume-Uni se fixent comme objectif de conclure un accord remplaçant le Protocole/backstop avant le 1er juillet 2020.
Récapitulons
Du 29 mars 2019 au 31 décembre 2020 (ou plus si la période est étendue), s’appliquera une période de transition équivalente à un statu quo pour le Royaume-Uni, à l’exception du fait qu’il perd tous ses sièges et pouvoirs de décision dans les institutions européennes.
Selon l’accord, à compter du 1er janvier 2021, deux grands scénarios sont possibles ainsi qu’une infinité de scénarios intermédiaires entre ces deux modèles.
Scénario 1 : Un accord sur la relation future est trouvé et celui-ci est suffisant pour éviter une frontière entre les deux Irlandes. Le Protocole sur l’Irlande prévu dans l’accord de retrait n’est pas appliqué, seul le nouvel accord l’est.
Scénario 2 : Il n’y a pas d’accord sur la relation future ou celui-ci ne permet pas de garantir l’absence de frontière irlandaise. Le Protocole s’applique. D’autres accords ultérieurs pourront remplacer tout ou partie des dispositions du Protocole.
Scénario intermédiaire : L’accord conclu sur la relation future ne garantit pas entièrement l’absence de frontière en Irlande. Une partie seulement des dispositions du Protocole s’applique, c’est-à-dire celles qui sont nécessaires à éviter une frontière physique entre les deux Irlandes.
L’écueil du Parlement britannique
Theresa May doit maintenant faire valider l’accord de retrait par le Parlement britannique. Elle y a été fortement chahutée lors de sa présentation, jeudi 15 novembre. La victoire est loin d’être acquise pour la Première ministre. Des rumeurs persistantes font état du possible déclenchement d’un vote de confiance par les Brexiters de son parti. C’est en tout cas la volonté du leader des députés Tories (conservateurs) soutenant un Brexit dur, Jacob Rees-Mogg. Cependant, celui-ci peine pour l’instant à rassembler les 48 lettres de parlementaires conservateurs nécessaires à déclencher un vote de confiance contre le leadership de Mme May. Plutôt qu’un soutien pour la Première ministre, l’échec de cette rébellion prouve la division du parti conservateur. Tant qu’aucune majorité n’émerge sur une figure alternative, les opposants à Theresa May ne souhaitent pour la plupart pas passer à l’action. Les statuts du parti conservateur prévoient en effet que si la contestation du leadership ne réunit pas assez de voix, le leader du parti est confirmé et il ne peut être contesté à nouveau pendant un an. Theresa May en sortirait donc renforcée.
Néanmoins, même si la Première ministre survit à la tête de son propre parti, rallier une majorité de parlementaires est un défi de taille. Les conservateurs ne disposent que de 316 parlementaires sur les 650 que compte la Chambre des Communes. Pour gouverner, ils s’appuient sur les 10 députés unionistes nord-irlandais du DUP. Sans le DUP, et avec des pertes de voix au sein des conservateurs, Theresa May ne pourrait compter que sur le Labour (parti travailliste). Seulement, à la tête du Labour, Jeremy Corbyn présente jusque-là une ligne dure pour faire tomber le gouvernement. Tony Blair, l’ancien Premier ministre travailliste, a lui aussi appelé les représentants de son courant à ne pas aider la Première ministre.
La seule chance de Theresa May est de limiter l’hémorragie dans son parti et d’espérer la rébellion d’un certain nombre de travaillistes qui, face à l’enjeu, iraient à l’encontre des consignes de leur leadership. Pour y parvenir, la Première ministre joue sur la peur. Ses premiers mots après l’annonce du deal : « Le choix se présentant à nous est clair : cet accord (…), sortir sans accord (no deal), ou pas de Brexit du tout ». Avec la première alternative, elle effraie les Remainers (partisans du maintien dans l’UE) de tous bords, avec la seconde elle met en garde les Brexiters qui craignent qu’un la convocation d’un second référendum aboutissant à une victoire du « Remain ».
Le feuilleton n’est donc pas fini. Pendant ce temps, à Bruxelles, les négociateurs de l’UE sont assurés d’obtenir le vote de l’accord par le Conseil et le Parlement. Pour commencer la négociation sur la relation future, ils attendent patiemment que les Britanniques trouvent un accord…entre eux.
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