Borrell en Russie : le nain européen sur la scène internationale

, par Jules Bigot

Borrell en Russie : le nain européen sur la scène internationale
Illustration par Téo Manisier

Le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères Josep Borrell est revenu bredouille de sa visite au pays des Tsars. Incapable de réagir face à la démonstration de force de l’ours russe, Josep Borrell a dû faire le dos rond et encaisser les coups. Dire que cette visite est un échec diplomatique serait un euphémisme. L’Union européenne sort humiliée de cet épisode.

Les trois jours de visite de Josep Borrell en Russie se sont rapidement transformés en fiasco. Le déplacement du haut représentant de l’Union s’inscrit dans un contexte de crispation des relations diplomatiques entre la Russie et l’Union européenne (UE) à la suite de l’affaire Navalny, (du nom d’Alexeï Navalny, opposant à Vladimir Poutine ayant subi une tentative d’assassinat par empoisonnement en août 2020). Après une période de convalescence de quelques mois en Allemagne, l’opposant politique est rentré en Russie le 17 janvier dernier où il a été arrêté dès son arrivée à l’aéroport et condamné quelques jours plus tard à près de 2 ans et demi de prison ferme. À la suite de cette arrestation, une série de manifestations massives de soutien à Navalny ont été organisées à travers la Russie, conduisant à un nombre record d’arrestations (11 000).

En tant que défenseur de valeurs telles que l’État de droit, la liberté d’expression et la protection des droits fondamentaux, l’Union européenne se devait de réagir. C’est ce qu’elle a fait en envoyant le haut représentant en visite diplomatique à Moscou. Josep Borrell était chargé, entre autres, de demander à Moscou la libération immédiate de Navalny, d’ exiger la tenue d’une enquête impartiale sur l’empoisonnement de l’opposant politique et de faire le point, à la lumière des événements en cours, sur la relation entre l’Union européenne et la Russie. Sans surprise, aucune de ces demandes, quelque peu naïves, n’ont obtenu satisfaction. Le diplomate espagnol est donc revenu bredouille à Bruxelles, estimant que la Russie et l’Union étaient en train de s’éloigner l’une de l’autre.

Le fiasco diplomatique de la visite de Borrell à Moscou ne s’est cependant pas limité à cet échec. Lors d’une conférence de presse, son homologue russe Sergei Lavrov a qualifié l’UE de “partenaire pas fiable“, avant d’affirmer vouloir continuer à dialoguer et à travailler avec l’Union européenne. Josep Borell n’a pas réagi outre mesure. . À la sortie de cette conférence de presse, le haut représentant a appris que 3 diplomates européens avaient été expulsés de Russie, sous prétexte qu’ils avaient assisté à des manifestations de soutien à Navalny. Désarmé, le diplomate espagnol s’est contenté de demander à Lavrov de révoquer cette décision, une demande bien évidemment refusée.

Cette séquence illustre à la fois l’ambivalence russe dans sa relation avec l’Union européenne, l’absence de marge de manœuvre du chef de la diplomatie européenne dans ses déclarations ainsi que le manque d’autorité de l’UE face à des puissances mondiales comme la Russie.

Le rôle de haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a été créé en 2009, à la suite du traité de Lisbonne, dans l’objectif d’unifier et de clarifier la voix diplomatique de l’Union européenne. L’Europe était auparavant représentée par 3 personnalités sur la scène internationale : le secrétaire général du Conseil, le commissaire européen aux relations extérieures et la haut représentant pour la politique étrangère et de la sécurité commune. Cette multiplicité d’acteurs européens conduisait à une dissonance européenne en termes de politique étrangère. Le poste de haut représentant combine les 3 trois rôles et la responsabilité institutionnelle qui va de pair avec ceux-ci. Le haut représentant de l’Union est ainsi vice-président de la Commission européenne, et doit par conséquent rendre compte de ses agissements devant la présidente de la Commission et s’assurer du soutien de la majorité des commissaires . Le haut représentant est également le président du Conseil des affaires étrangères, garantissant ainsi un lien direct avec les chefs de diplomatie des États membres.

Malgré cette unification de la parole diplomatique européenne, force est de constater que l’Europe reste, selon les mots du député européen Guy Verhofstadt, un “nain” sur la scène internationale. Car depuis cette réforme de 2009 les choses ne se sont pas améliorées pour l’Union européenne en matière de diplomatie. En 2019 par exemple, le public assiste à une sublime cacophonie européenne autour de la question de la reconnaissance de Nicolas Maduro, président autoproclamé du Venezuela, reconnu par le parlement européen mais qui tardait à l’être par le Conseil. Même son de cloche lors de la crise ukrainienne, durant laquelle la diplomatie européenne s’est contentée de suivre, avec un petit temps de retard, les décisions prises par les Etats-Unis. C’est d’ailleurs la Chancelière allemande et le Président français qui sont allés négocier les accords de Minsk II en 2015, et non le haut représentant à l’Union. Preuve une fois de plus de la faiblesse de la diplomatie européenne.

Les raisons de cette incapacité européenne à s’imposer en tant que puissance diplomatique proviennent peut-être de la façon dont est définie la légitimité de parole du haut représentant pour l’Union, la voix et le visage de la diplomatie européenne.

Cette légitimité de parole est issue du traité sur l’Union européenne renforcé par le traité de Lisbonne entré en vigueur en 2009. réponse. L’article 24 de ce dernier traité précise que la politique exécutée par le haut représentant de l’Union est “définie et mise en œuvre par le Conseil européen et le Conseil des ministres, qui statuent à l’unanimité“. L’article 27 précise ensuite que le rôle du haut représentant de l’Union est d’assurer “la mise en œuvre des décisions adoptées par le Conseil européen et le Conseil des ministres“.

C’est bien ici que réside le problème. Le haut représentant n’est en mesure de dire et de faire que ce que les chefs d’États et de gouvernement réunis en Conseil européen lui autorisent, lui demandent. Il agit donc pieds et mains liés, complètement dépendant des décisions prises à l’unanimité par le Conseil. Une unanimité souvent difficile à obtenir. Dans le cas de la visite de Borrell en Russie début février par exemple, le Conseil n’avait pas réussi à se mettre d’accord à l’unanimité sur des sanctions à adopter contre celle-ci. L’Allemagne, désireuse de protéger son projet de gazoduc avec la Russie s’était en effet opposée à des sanctions trop importantes. Josep Borrell ne pouvait pas faire grand chose de plus que condamner verbalement les agissements du pouvoir russe en se montrant prudent dans ses déclarations pour ne pas froisser tel ou tel État membre. Tout cela lui donne , ainsi qu’à l’Europe qu’il représente , une image de fragilité. Cela n’a pas plu à un certain nombre de parlementaires européens qui se sont empressés de demander la démission du haut représentant. Il est cependant intéressant d’observer que les chefs d’États et de gouvernements européens n’ont que peu commenté cette visite, sans doute conscients de leur responsabilité dans la déroute.

L’Union européenne se trouve donc à la croisée des chemins en termes de politique étrangère. La règle de l’unanimité paraît totalement incompatible avec toute velléité de diplomatie européenne puissante et influente. Une solution proposée par certains est l’allègement des procédures de prise de décisions en matière de politique étrangère au Conseil européen. Cela permettrait à l’Union européenne d’apporter des réponses rapides et fermes aux défis géopolitiques de notre monde. “Ce n’est qu’ainsi que le nain Europe pourra de nouveau jouer un rôle majeur sur la scène internationale“ disait Guy Verhofstadt dans son livre “Le mal européen“ (2016).

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