Quelques jours avant son départ en Europe, Mike Pompeo a pris la décision d’annuler cette dernière mission prévue hors du territoire américain, avant la passation des pouvoirs. Lors de ce déplacement, le secrétaire d’État américain devait réaffirmer le « soutien indéfectible des États-Unis à l’OTAN », en soulignant « l’importance du partenariat transatlantique [...] dans la protection de la communauté transatlantique et l’adaptation aux nouveaux défis sécuritaires », selon une déclaration publiée par le département d’État américain. Cette annulation de dernière minute (survenue mardi 12 janvier) vise à protester contre les accusations formulées par le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères envers le président américain, qualifié de « criminel ». Tout comme Jean Asselborn, d’autres politiciens et responsables européens affiliés à l’OTAN ont publiquement critiqué le rôle de Donald Trump lors des évènements du Capitole. Ce nouvel épisode vient cristalliser quatre années de tensions entre l’administration Trump et les membres de l’Alliance. À quelques jours de l’investiture de Joe Biden, les questions se multiplient chez ses alliés avec la volonté de savoir quelle politique souhaite mener ce nouveau président qualifié d’« atlantiste », dans une période de refondation profonde de l’organisation.
Clore le chapitre Trump
Dès le lundi 30 novembre, Jens Stolenberg, secrétaire général de l’Otan, a convié le nouveau président élu à une première rencontre (prévue après la passation des pouvoirs). À travers la figure de Joe Biden, les membres de l’OTAN espèrent retrouver des relations saines avec l’allié américain, relations fortement endommagées durant le mandat de Donald Trump, notamment sur la question du financement. Pour le journal Le Monde, ce « réengagement américain au sein de l’Alliance fait espérer aux alliés la possibilité de lui redonner du souffle, après le traumatisme politique – plus qu’opérationnel – des années Trump ». Les Etats membres espèrent désormais que la rhétorique conflictuelle de Donald Trump va céder la place à davantage de réconciliation au sein de l’OTAN. Le gouvernement de Boris Johnson a d’ores et déjà mis en avant son alignement sur de nombreux points proposés par Joe Biden, comme le renforcement de l’OTAN dans le domaine de la cybersécurité. Il a également affirmé revoir à la hausse les dépenses destinées à l’organisation. La nouvelle administration qui prendra place le 20 janvier prochain devrait, selon toute vraisemblance, renforcer la cohésion entre les membres de l’OTAN. Un rapprochement attendu du côté des alliés européens comme du coté américain, à en croire The Conversation, pour qui « la politique des Etats-Unis sous Biden devrait se baser sur un engagement plus international et une meilleure coopération avec les membres européens de l’OTAN ».
Sortir l’organisation du coma
Joe Biden devra dès le début de son mandat faire face à une reconstruction globale de l’organisation qui serait, selon les mots du président français, « en état de mort cérébrale ». Par ces propos, Emmanuel Macron avait suscité, il y a un an de cela, un large débat sur l’état de santé de l’organisme, déclenchant la formation d’un comité de sages. Ce dernier devait faire émerger de nouvelles orientations pour les années à venir, redéfinissant ses relations avec l’extérieur, mais également ses relations en interne, entre les divers membres. Ce travail de réflexion va aboutir à un rapport de 70 pages, intitulé « OTAN 2030 - Unis pour une nouvelle ère », regroupant une série de recommandations portant à la fois sur un « code de bonne conduite » pour les membres, mais également sur les nouveaux défis que posent la Chine et la Russie à l’organisation. Comme l’a souligné le président Mesterhazy, « OTAN 2030 offre une véritable et précieuse opportunité de développer une vision d’avenir et, en particulier, de renforcer la dimension politique de l’Alliance ».
L’héritage d’une organisation divisée
Le premier enjeu auquel Joe Biden sera confronté portera sur la cohésion politique de l’Alliance, après quatre années de troubles internes exacerbés par la présidence précédente. Dans cette optique, le « code de bonne conduite » édicté par le comité des sages, cherche à promouvoir un « dialogue préventif » entre les membres, alors que les tensions entre ces derniers se sont démultipliées ces derniers temps, référence faite notamment à la Turquie. Mercredi dernier, Ankara a une nouvelle fois été l’objet de tensions, avec le rachat de systèmes de défense russes S-400. Suite à cette acquisition, l’administration Trump a fait le choix d’imposer des sanctions. Si d’un coté la Turquie justifie son achat par l’incapacité d’acquérir des systèmes semblables auprès d’un autre membre à des conditions satisfaisantes, les Etats-Unis rétorquent que ces S-400 constituent une menace réelle pour les systèmes de défense de l’OTAN. Selon le journal Capital, « Recep Tayyip Erdogan mise sur le mandat Biden pour changer la donne ». En effet, le président turc espère davantage d’ouverture de la part de la nouvelle administration américaine, ce qui pourrait aboutir à un compromis et ainsi lui permettre de réintégrer le programme de fabrication de l’avion furtif. La nouvelle administration devra donc se positionner sur cette question, qui menace une fois de plus l’unité au sein de l’organisation.
Au delà des nombreux différents qui fissionnent l’Alliance en interne, le nouveau président américain devra faire face aux défis imposés par deux autres puissances : la Russie et la Chine. Pour autant, ces deux objectifs ne peuvent être construits indépendamment l’un de l’autre selon Anders Fogh Rasmussen, pour qui le règlement des différents en interne est un préalable à la politique extérieure de l’organisation concernant la Russie et la Chine. Cet ancien secrétaire général de l’OTAN confie ainsi dans une interview pour le Wall Street Journal, qu’« en 2021, les États-Unis et leurs alliés, auront une occasion qui ne se présente qu’une fois par génération. Celle d’inverser le repli global des démocraties face aux autocraties comme la Russie et la Chine. Mais il faudra pour cela que les démocraties principales s’unissent ».
Garder une position ferme envers la Russie, tout en renouant le dialogue
La gestion des relations avec la Russie devrait constituer, selon le média The Conversation, « l’une des principales priorités de politique étrangère de Joe Biden lorsqu’il entrera dans le bureau ovale après son investiture le 20 janvier ». Au cours de la campagne électorale, Joe Biden avait identifié la Russie comme « la plus grande menace » pour l’Amérique et ses alliés, « en termes de rupture de notre sécurité et de nos alliances ». En effet, les relations entre l’OTAN et la Russie sont actuellement fragiles, pour ne pas dire mauvaises. La conférence de presse annuelle de fin d’année en a été une nouvelle fois la preuve lorsque Vladimir Poutine dénonça une ingérence occidentale : « nous vous avons entendu promettre que l’OTAN n’allait pas s’étendre vers l’est, mais vous n’avez pas tenu parole ».
Ce gel dans les relations OTAN-Russie n’a cessé de se cristalliser depuis 2014, avec la stratégie militaire déployée par la Russie (accumulation de forces militaires et multiplication des exercices dans les régions de la Baltique et de la mer Noire). Ces tensions ont incité un groupe d’anciens diplomates, généraux et chercheurs, d’origine américaine, européenne et russe (soutenus par l’European Leadership Network), à mettre en avant la nécessité de renouveler le dialogue entre l’OTAN et la Russie (à travers une lettre écrite au journal Times). Ce dialogue est jugé primordial par ces derniers car il doit permettre le rétablissement des accords de contrôle des armements. Le 5 février 2021 par exemple, le nouveau traité de réduction des armements stratégiques (nouveau START) expirera à moins qu’il ne soit prolongé par un accord commun. Si tel n’est pas le cas, aucun traité ne viendra dorénavant fixer des limites sur les armes nucléaires des deux pays (possédant 90% de l’arsenal nucléaire mondial). Pour les auteurs de cette lettre, l’OTAN et le Russie doivent plus largement reprendre les pourparlers sur la manière d’imposer des limites à l’activité militaire en Europe.
La Chine rejoint la Russie dans le viseur de l’OTAN
Pour Jens Stoltenberg, l’essor de la Chine pose « d’importants défis pour notre sécurité ». Bien que Wess Mitchell, coprésident du groupe d’experts, assure que « la Russie restera la principale menace militaire pour l’OTAN dans un avenir prévisible », la Chine semble de plus en plus inquiéter l’Alliance. Si elle n’est pour le moment pas la cible prioritaire, cet ancien diplomate américain affirme que la montée en puissance de la Chine est « le changement le plus conséquent dans l’environnement stratégique de l’OTAN et avec lequel l’alliance doit vraiment tenir compte ». C’est pourquoi le rapport « OTAN 2030 - Unis pour une nouvelle ère » porte une attention particulière à cet Empire du Milieu. L’actuel secrétaire général de l’OTAN indique la volonté, à travers ce rapport, d’analyser « le développement de la Chine » sur le plan « militaire » mais également sur le plan des « technologies émergentes ». En effet, une partie de la réponse de l’organisation devrait porter sur ces nouvelles technologies, avec la volonté d’obtenir un avantage réel sur son concurrent asiatique, tout en renforçant la protection des réseaux et des infrastructures informatiques de l’organisation.
De son coté, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a tendu la main à la nouvelle administration américaine, se disant prêt à coopérer sur plusieurs sujets, espérant un retour au dialogue et à un climat de « confiance mutuelle ». En effet, Pékin met en avant une « possibilité de coopération » sur plusieurs priorités de la future administration, comme la gestion de la pandémie, ses conséquences économiques ou le changement climatique. Si Joe Biden a promis d’être ferme vis-à-vis de Pékin, il a également déclaré rechercher une certaine coopération face aux défis planétaires.
La politique de la nouvelle administration Biden semble ainsi s’inscrire dans l’idéologie de la nouvelle réforme de l’OTAN avec un renforcement des relations en interne (via un président davantage atlantiste que le précédent), une méfiance à l’égard du géant chinois et un maintien des relations fermes envers la Russie. Cependant pour Jeremy Shapiro, chercheur à l’European Council on Foreign Relations, « les frictions transatlantiques ne vont pas s’estomper sous la présidence de Joe Biden », même si cette fois, les membres « ne pourront plus douter de la véritable nature de l’Alliance, comme Trump les y a incités ».
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