Depuis quelques semaines en Lituanie, le gouvernement parle d’ériger des murs de barbelés à la frontière avec son voisin bélarusse. Le petit État balte, traditionnellement épargné par les vagues migratoires, se retrouve cette fois en première ligne. « Depuis le détournement de l’avion Ryanair [le 23 mai 2021, ndlr] et son atterrissage forcé à l’aéroport de Minsk à la suite duquel l’UE a annoncé des restrictions de sanctions et pris des décisions concernant plusieurs secteurs économiques ainsi qu’élargi sa liste de sanctions de personnes, nous avons connu une intensification du flux de migration illégale dans laquelle les institutions du régime participent d’une manière ou d’une autre », explique la Première ministre lituanienne Ingrida Šimonytė lors d’une conférence de presse début août.
Qualifiée « d’attaque hybride dirigée contre l’Union européenne, l’OTAN, et surtout la stabilité des États baltes » par le gouvernement lituanien, cette version des faits est contestée par le dirigeant bélarusse qui estime que ce sont les pays européens limitrophes qui, en repoussant les personnes arrivant illégalement sur leur territoire, menacerait la sécurité du Bélarus.
Barrière physique
Dépassé, malgré l’aide européenne mise en place depuis plusieurs semaines, le gouvernement lituanien prévoit donc d’ériger « une barrière physique » à la frontière « en commençant par la section la plus vulnérable, mais aussi en incluant toute la frontière orientale de l’UE ». Et ce, « quelle que soit la façon dont nous parvenons à discuter avec la Commission européenne de l’assistance possible », a martelé la cheffe du gouvernement.
Du côté de l’exécutif européen, et de l’entourage de la commissaire aux Affaires intérieures Ylva Johansson, l’on estime que si « dans la situation actuelle une telle barrière pourrait être une bonne idée », l’UE n’est pas pour autant disposée à le financer. « Sur la question de la clôture, nous avons été très clairs sur le fait que la Commission européenne ne finance pas la clôture des barrières. Nous sommes très attentifs à ce que les fonds de l’UE pour la gestion des frontières soient utilisés là où ils ont la plus grande valeur ajoutée. C’est pourquoi nous investissons dans des solutions de gestion intégrée des frontières qui sont rapides et efficaces », a réitéré son porte-parole Adalbert Janhz en salle de presse mardi 10 août.
Pression politique vers l’extérieur
En déplacement à la frontière lituanienne début août, Ylva JOHANSSON a assuré que l’exécutif européen « utilis[ait] tout son pouvoir » pour faire respecter les accords internationaux par les pays tiers. Une pression diplomatique exercée notamment vers l’Iraq pour qu’ils « se conforment à la réadmission obligatoire » de leurs ressortissants.
La suspension pour dix jours à compter du 6 août des vols organisés entre l’Iraq et le Bélarus devrait néanmoins contribuer à réduire la pression migratoire sur la Lituanie. Au niveau diplomatique, l’UE « se félicite » de cette décision des autorités iraquiennes, qui fait suite à des échanges entre le Haut représentant de l’UE Josep Borrell et son homologue iraquien. Côté iraquien, « il y a un esprit constructif pour aller au-delà du problème », note le service diplomatique européen (SEAE).
Instrumentalisation politique
« L’instrumentalisation des migrants et des réfugiés est absolument inacceptable. L’utilisation d’êtres humains dans le besoin à des fins de promotion d’objectifs politiques viole les valeurs et principes européens fondamentaux. C’est pourquoi l’UE et ses États membres condamnent l’instrumentalisation des migrants et des réfugiés par le régime bélarusse », communiquait le SEAE fin juillet.
Ce n’est pour autant pas la première fois que l’UE est confrontée à une telle pression. La Turquie en février-mars 2020 et le Maroc en mai-juin 2021 ont eux aussi utilisé cette question à des fins politiques. La Turquie, dans le cadre des renégociations de l’accord migratoire passé avec l’UE, le Maroc pour protester contre la politique espagnole vis-à-vis du Sahara occidental. Mais la Commission avait réagi autrement. Si la région de Ceuta (Espagne) était aussi qualifiée de « frontière européenne », le service d’action extérieur considérait implicitement qu’il s’agissait d’un problème bilatéral. « Nous sommes convaincus que les relations profondes entre le Maroc et l’Espagne permettront de trouver une issue à cette crise », estimait ainsi la porte-parole du chef de la diplomatie de l’UE, Nabila Massrali, devant la presse début juin.
Une rhétorique qui n’a pas été reprise dans le cadre de la crise entre la Lituanie et le Bélarus. Dans la pratique non plus. Pour venir en aide à la Lituanie, l’UE a déployé (et communiqué extensivement sur le sujet) davantage de moyens par le biais de ses agences. Des gardes frontières et gardes côtes de Frontex sont sur place, ainsi que du personnel du Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) et d’Europol. Des États membres ont également fait preuve de davantage de solidarité. Ce qui n’avait pas été le cas avec l’Espagne.
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