N’oublions pas
Cher Rémi Laurent,
Dans votre tribune, vous argumentez que « la responsabilité du Brexit est britannique » et vous parlez d’une décision « prise [par le] peuple britannique, seul et de façon souveraine ». Certes vous vous adressez à Tony Blair, mais dans votre discours, vous marquez très peu la différence entre les élites et les citoyens britanniques. Or, cette différence est pour moi fondamentale.
N’oublions pas que le référendum sur la sortie ou non de l’UE du Royaume-Uni résulte d’une suite d’opportunités politiques prises par l’establishment anglais (dont fait partie Tony Blair, je suis bien d’accord). Depuis 2003, David Cameron a soigneusement éliminé la majorité des Europhiles de son parti, une stratégie pour être nommé à la tête des conservateurs en 2005 puis devenir chef du gouvernement en 2010. [3] L’organisation de ce référendum était une promesse de campagne destinée à séduire les électeurs du UKIP et gagner une majorité au Parlement en 2015. Un vrai succès !
N’oublions pas que la campagne électorale précédant le référendum a été catastrophique, que ce soit du côté du Leave, ou du côté du Remain. Comment convaincre une population, que l’on vient de bassiner avec les soi-disant méfaits de l’UE, d’y rester ? Les Brexiters, eux, se sont abstenus de réfléchir aux conséquences concrètes d’une sortie, enchaînant les promesses plus populistes les unes que les autres.
N’oublions pas que la question même du référendum était très ambiguë : « Le Royaume-Uni devrait-il rester un membre de l’Union européenne ? » Comment répondre à une question aussi vague pour une décision aussi lourde de conséquences ? Cette ambiguïté explique le débat qui a immédiatement suivi les résultats, débat qui est toujours en cours un an et demi plus tard : Hard Brexit ou Soft Brexit ? Un point qui aurait dû être soulevé bien avant la mise en place du référendum.
N’oublions pas que le système politique anglais n’est pas adapté à des outils de démocratie directe tels que le référendum. Le Royaume-Uni a la particularité de ne pas avoir de Constitution écrite. Les principes d’organisation d’un référendum ne sont donc pas formellement prévus. On peut donner comme contre-exemple la Suisse, dont le système politique est basé sur une démocratie semi-directe. Pour qu’une Initiative populaire, c’est-à-dire un référendum qui demande un changement dans la Constitution fédérale, soit adoptée, elle doit être acceptée par la moitié de la population, mais aussi par la majorité des cantons, ce qu’ils appellent « la double majorité » . [4] Un référendum comme le Brexit, dont le résultat est susceptible d’avoir un impact aussi fort qu’un changement de Constitution, aurait dû être réglementé avec des critères plus exigeants.
Si nous avions eu ce référendum en France exactement à la même époque, personne n’aurait pu garantir que les citoyens français ne fassent pas le même choix.
Le Brexit encore loin de faire consensus au Royaume-Uni
Ce que vous avez omis de dire, c’est que Tony Blair estime que les Européens doivent « garder l’esprit ouvert » au cas où « les Britanniques changeraient d’avis ». C’est bien la deuxième partie de ce propos qui est importante. On peut discréditer Tony Blair autant que l’on veut, mais le contexte actuel au Royaume-Uni est bien celui-là.
Le 23 juin 2016, le Leave l’a emporté à une courte majorité de 51,9%. Le dernier sondage montre que les Britanniques toujours convaincus par le Brexit représentent 49%. Nous sommes donc loin de l’unanimité et on observe même que les majorités sont très tangibles. Sans compter que les Écossais et les Nord-Irlandais ont voté pour rester dans l’UE.
En 2017, de nombreux événements sont venus compliquer les plans du gouvernement concernant les négociations avec l’UE. La perte de la majorité au Parlement en est un majeur. Mais les tentatives de ce même Parlement de reprendre ses droits dans cette monarchie parlementaire sont d’autant plus intéressantes. La dernière en date, menée par le député conservateur Dominic Grieve, fut la bonne.
Plus récemment encore, un groupe de députés a lancé une action en justice pour que la Cour européenne de Justice se prononce sur un éventuel renversement du Brexit . [5] Le Royaume-Uni peut-il arrêter le processus de l’article 50 sans l’approbation des 27 autres États membres ?
Le Brexit est donc loin de faire consensus au Royaume-Uni. Il est bien sûr impensable que l’UE fasse des concessions lors de la négociation du Brexit Deal, mais un renversement du référendum est désormais probable. Même Nigel Farage s’en inquiète !
Restons ouverts aux citoyens britanniques
Certes, l’adhésion du Royaume-Uni au projet européen en 1973 s’explique par des raisons économiques et pragmatiques, mais c’est une erreur de penser que la France a signé le Traité de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier uniquement pour des raisons de paix et de solidarité. Les fédéralistes ont gagné de l’influence pendant la Seconde Guerre mondiale, mais ce sont les États-nations dans toute leur puissance qui ont créé les premiers jalons d’une communauté européenne avant tout destinée à protéger les intérêts économiques de chacun. Ce n’est donc pas étonnant qu’aujourd’hui l’Union européenne soit fortement critiquée pour son manque de démocratie et pour sa dérégulation des marchés. Il n’y a pas que les Britanniques qui en sont mécontents.
Nous ne devrions pas nous targuer d’avoir élu « le plus européen des candidats à la présidence » quand on sait à quel point les élections présidentielles en France ont été compliquées. D’autant plus qu’Emmanuel Macron a certainement bénéficié du sursaut après Brexit, vous le dites vous-mêmes. Il est malheureux de savoir qu’il faut qu’un pays membre décide de partir pour que les élites nationales et européennes réagissent.
Depuis les résultats du référendum en juin 2016, les citoyens britanniques n’ont jamais autant entendu parler de l’UE et de son fonctionnement. Ils ne se rendent pas seulement compte de la « dure réalité » et « de ce que cela implique ». Ils découvrent aussi les lacunes accumulées depuis des dizaines d’années par leurs gouvernements consécutifs. Tous les problèmes intérieurs auparavant mis sur le dos de l’UE apparaissent maintenant au grand jour.
Si le Brexit venait à être renversé, les citoyens britanniques auraient sûrement une toute nouvelle attitude vis-à-vis du projet européen. S’ils changent d’avis, nous, les Européens, devons leur laisser la porte ouverte.
« Il en va de l’avenir de l’Europe »
Avant de dire « Thank You and Goodbye ! », nous devons faire preuve de solidarité plutôt que de revanche.
Il ne faut pas se leurrer, le Brexit touchera d’abord les plus vulnérables et non l’establishment anglais, premier responsable des résultats au référendum. Devons-nous souhaiter une récession économique, un appauvrissement des classes moyennes et ouvrières, une privatisation forcée des services publics, des avenirs très incertains, aux citoyens britanniques, jusque-là nos concitoyens européens ?
Les conséquences seront très dures pour les Européens liés au Royaume-Uni. Il y a d’abord the 3 million, les 3 millions de personnes qui résident au Royaume-Uni et qui s’inquiètent de la perte de leurs droits. Mais surtout, il y a tous ces couples mixtes et leurs enfants qui se retrouveront dans des situations beaucoup plus compliquées. N’oublions pas que la libre circulation et le mélange des populations sont deux grandes forces du projet européen.
La relance actuelle de la construction européenne sera forcément entachée par la sortie du Royaume-Uni et le projet européen affaibli. À l’heure où le Brexit est plus incertain que jamais, nous devons rester ouverts aux citoyens britanniques. Leur classe politique devra forcément se remettre en question et être renouvelée. C’est un autre Royaume-Uni qui fera son retour. En même temps, l’UE devra poursuivre ses efforts pour donner plus de contrôle démocratique à ses citoyens.
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