Au Monténégro : « l’Europe maintenant » ?

, par Paul Brachet

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Au Monténégro : « l'Europe maintenant » ?
Jakov Milatović a été élu Président de la République du Monténégro au terme du second tour de l’élection présidentielle du 2 avril 2023. ©Dulajle

Les Monténégrins étaient appelés ce dimanche 2 avril à élire leur président de la République, au terme d’un second tour qui a vu s’affronter le sortant, Milo Đukanović, et son challengeur, Jakov Milatović. C’est le second qui a remporté l’élection avec 59% des voix. Un vote qui pourrait être le premier signe d’une révolution politique au Monténégro.

Une alternance inédite depuis l’indépendance

Dimanche 2 avril, les Monténégrins ont voté à l’occasion du second tour de l’élection présidentielle. Jakov Milatović, président et fondateur du parti L’Europe maintenant (« Evropa sad ! »), a remporté 59 % des voix et, est ainsi devenu le 3ème Président de la République du Monténégro, pays devenu indépendant en 2006. Cet économiste de 36 ans devient ainsi le plus jeune président du pays, ainsi que le premier à ne pas être affilié au DPS, le Parti démocratique des socialistes du Monténégro («  Демократска партија социјалиста Црне Горе »).

En battant le président sortant, Milo Đukanović, Jakov Milatović entraîne la première alternance politique au mandat présidentiel, jusque-là occupé par le DPS. Le parti néolibéral et nationaliste de Milo Đukanović a en effet donné deux des trois présidents, ainsi que six des huit gouvernements du pays depuis 2006. Cette alternance - soutenue par une forte majorité des votants et dans un contexte de forte participation, en effet, plus de 70% de votants se sont déplacés au second tour - est intervenue alors que Milo Đukanović était empêtré dans des scandales d’évasions fiscales, notamment depuis que son nom et celui de son fils ont été mentionnés dans les Panama papers.

Un scrutin sur fond de lassitude politique

Lors de son discours, Jakov Milatović a rappelé les priorités de son mandat, priorités déjà affichées durant la campagne électorale. Pour le nouveau président, le Monténégro doit rentrer dans une nouvelle ère politique. Pour lui et son parti, le Monténégro doit renforcer sa démocratie : au niveau institutionnel, mais également d’un point de vue régional et in fine européen. Le président de « L’Europe maintenant », et maintenant Président de la République, considère que le pays doit rompre avec l’instabilité politique, apaiser ses relations avec la Serbie - dans un pays qui compte un tiers de sa population se considérant comme serbe – et ainsi permettre les réformes nécessaires à l’adhésion à l’Union européenne.

Toutefois, alors que le président sortant avait été qualifié de « dernier dictateur d’Europe » par ses opposants, notamment Jakov Milatović, le Président monténégrin possède en réalité des pouvoirs limités dans une démocratie monténégrine principalement parlementaire. Son mandat lui confère des fonctions de représentation et d’arbitrages des institutions. Ses fonctions lui permettent notamment de dissoudre le Parlement monocaméral en cas d’absence prolongée de majorité.

Fin de campagne présidentielle…début de campagne législative

Et tel fut le cas quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle. En mars 2023, le Président Milo Đukanović a décidé de dissoudre le parlement. Cette décision est intervenue alors que le gouvernement libéral et pro-européen de Dritan Abazović avait perdu sa majorité à la suite de l’issue négative du vote de confiance, portant notamment sur un accord entre Podgorica et l’Église orthodoxe serbe. Une décision inflammable alors que les rapports religieux, ethniques et politiques des Balkans sont loin d’être apaisés.

C’est dans ce contexte que des élections parlementaires vont avoir lieu en juin de cette année. Un scrutin qui confirmera (ou non) la tendance de transformation radicale du paysage politique monténégrin. Avant la première alternance au poste de Président de la République, L’Europe maintenant avait déjà déclenché une petite révolution lors des élections municipales quand ce dernier a mené une coalition des oppositions au DPS, gagnant ainsi les principales villes du pays dont la capitale Podgorica. Le mouvement « l’Europe maintenant » avait notamment fait campagne sur l’environnement, les droits sociaux, la lutte contre la corruption et l’Europe : un premier pas vers la victoire au présidentielle, devenue enjambée vers une potentielle majorité aux parlementaires de juin.

Selon les derniers sondages, le DPS reste le premier parti avec 29% des intentions de vote. Mais la tendance exponentielle du parti de Jakov Milatović, qui est passé de 10% des intentions de vote à l’été 2022 à 18% en mars 2023, et sa promesse de changement qui pourrait mobiliser davantage les électeurs font que les élections parlementaires n’ont jamais été aussi incertaines au Monténégro.

Un enjeu clef : l’Europe

Comme l’explicite le nom du parti, l’Europe maintenant fonde son programme sur le déblocage du processus d’adhésion du Monténégro à l’Union européenne (UE). Alors qu’en mars 2018, la Commission européenne jugeait probable une adhésion du pays à l’horizon 2025, un horizon qui avait été confirmé par Zorka Kordić, le négociateur monténégrin en chef pour l’adhésion à l’UE, en janvier 2022, cet horizon s’était obscurci au fil des mois. Plusieurs rapports de la Commission et du Conseil européen indiquaient alors une stagnation des négociations et des réformes nécessaires à l’adhésion de Podgorica à l’UE. Ces rapports pointaient notamment une instabilité politique récurrente et des rapports régionaux non apaisés empêchant la mise en application des réformes nécessaires, faisant dès lors craindre un délai supplémentaire quant à l’adhésion du pays à l’UE.

L’amorce de ce qui pourrait être un tournant politique pourrait permettre au pays de consolider ses institutions et rompre avec l’instabilité politique. Ceci irait alors dans le sens d’une adhésion du Monténégro à l’Union en 2025 et permettrait au pays balkanique de jouer un rôle de médiateur dans la région, notamment entre ses voisins serbe et kosovar, tous deux ayant des liens profonds et amicaux avec Podgorica.

S’il faudra attendre les résultats des élections parlementaires de juin 2023 pour savoir si le Monténégro est à un tournant de son histoire récente, nous pouvons déjà affirmer que l’arrivée de Jakov Milatović à la présidence est une bonne nouvelle dans une région hautement europhile (l’adhésion du pays est soutenu par 75% de la population), mais traversée par des tensions et des désillusions, notamment dans ce qui est de plus en plus ressenti comme un insurmontable vestibule de l’Union européenne. En cela, le message du nouveau président de la République est clair :

« Je pense que la normalisation des relations entre Belgrade et Pristina serait importante pour tous les pays de la région. En ce sens, le Monténégro veut être un bon voisin qui favorisera les relations de bon voisinage, [toutefois] ma première visite [se tiendra] à Bruxelles : le Monténégro se dirige vraiment vers l’Union européenne ».

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