Bewiis-Zettel fer im Notfall Üsszegehn, Testeni dilec’hiañ disdalc’hus, Acertainement dérogatouère pouor/pouose déhalaer… Vous ne rêvez pas, les langues régionales françaises sont en train d’utiliser un symbole du confinement pour se refaire une véritable santé. De nombreux offices culturels et linguistiques régionaux ont en effet décidé de publier des attestations de déplacement bilingues en français et en langue régionale.
L’office publique de la langue bretonne et « Mintzalasai » avaient insufflé une dynamique en traduisant les attestations du premier confinement du printemps en breton et en basque. Pour cette deuxième période de restriction, d’autres idiomes ont « suivi l’exemple », comme l’alsacien (en variantes bas et haut-rhinoise), l’occitan, le catalan, et même dans des langues bien moins répandues, comme en patois normand (variante du Cotentin) et en « Welche » (le dialecte lorrain roman).
Au pays du centralisme jacobin hostile à toute diversité linguistique, cela peut sembler tout à fait pittoresque, tant la langue française s’est imposée dans l’ensemble des domaines de la vie quotidienne, du moins en France métropolitaine. Les différentes initiatives ont toutefois un but tout sauf folklorique.
Moyen d’expression moderne
La traduction en langue régionale d’un document officiel et administratif montre en premier lieu que ces langues peuvent parfaitement être utilisées comme des moyens d’expression modernes, adaptés aux enjeux du XXIème siècle, et ne sont pas uniquement cantonnées à des enjeux culturels ou mémoriels. « En traduisant un document administratif, on voulait normaliser l’usage de l’alsacien au quotidien et montrer qu’il peut tout dire » a ainsi affirmé au journal Le Figaro la directrice de l’Office pour la langue et les cultures d’Alsace et de Moselle, Isabelle Dietrich.
Ces attestations bilingues sont toutefois l’initiative exclusive d’associations et n’émanent pas des services administratifs de l’État. Une situation regrettée dès le mois d’avril par l’Office public de la langue bretonne : « de plus en plus de brittophones le lisent et l’écrivent. C’est normal pour beaucoup de personnes qui veulent vivre au quotidien en breton d’avoir cette attestation en deux langues, donc nous le faisons. L’idéal serait qu’elles le soient directement par les services de l’État, mais nous n’en sommes pas là, contrairement au pays de Galles, au Royaume-Uni, par exemple. »
Ces attestations sont également un joli pied-de-nez aux récentes déclarations de l’ancien Premier Ministre Manuel Valls, qui avait déclaré sur le plateau de TV5 MONDE que l’enseignement des langues régionales à l’école s’apparentait à du « séparatisme ».
Si l’initiative est très favorablement accueillie dans les différentes régions, quelques réserves peuvent être exprimées par certaines associations de défense des identités régionales. Unser Land, la principale organisation autonomiste alsacienne, a ainsi félicité l’OLCA pour la traduction en alsacien de l’attestation, mais a aussi mis en exergue le « piège consistant à séparer ‘Schriftsprache’ et ‘Mundart’ », estimant qu’une attestation en français et allemand serait plus pertinente. De nombreux autonomistes alsaciens considèrent en effet que le dialecte alsacien n’est qu’une variante régionale de l’allemand standard, ce qui peut susciter quelques controverses d’ordre linguistique.
Une attestation bilingue, et donc légale
On peut toutefois se poser la question de la légalité d’une telle initiative au pays de l’unilinguisme institutionnel. Pour le journal Le Figaro, la conformité avec la loi ne fait pourtant pas de doute : « si la loi impose que l’attestation soit rédigée en français, rien n’interdit que celle-ci soit traduite dans une autre langue. Une version bilingue peut tout à fait être présentée aux forces de l’ordre en cas de contrôle ».
Pour rappel, l’occitan est la langue régionale la plus parlée en France métropolitaine, selon le recensement officiel de 1999, avec plus de 1,6 million de locuteurs (dont 600 000 dits « réguliers »), suivi de l’alsacien (900 000 locuteurs, dont 660 000 réguliers) et du breton (680 000 locuteurs, dont 280 000 réguliers). Des langues comme le normand ou le welche sont pourtant en grand danger et leur survie n’est pas du tout assurée.
Si de manière générale l’utilisation des langues régionales est en perte de vitesse certaine (selon le rapport du Comité consultatif pour la promotion des langues régionales et de la pluralité linguistique interne, publié en 2013), leur enseignement scolaire n’a jamais été aussi développé. Une situation contrastée qui montre que la traduction des attestations dérogatoires de déplacement n’est qu’une première étape vers une « reconquête » des langues régionales de leurs anciennes sphères sociales et culturelles.
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