Après le Brexit, la crise du coronavirus est-elle le nouveau catalyseur d’un vote pour l’indépendance de l’Ecosse ?

, par Lorène Weber

Après le Brexit, la crise du coronavirus est-elle le nouveau catalyseur d'un vote pour l'indépendance de l'Ecosse ?
Nicola Sturgeon, la « first Minister » écossaise. Crédit : Kenneth Halley

ANALYSE. C’est peu dire que la crise du coronavirus a accentué la fracture de confiance entre les citoyens britanniques et leurs décideurs politiques. Critiqué pour ses mesures tardives, pour un NHS (National Health Service) sous-doté et débordé, pour le nombre de morts de la Covid le plus élevé sur le continent européen, ou encore pour le non-respect des mesures de confinement ou des gestes barrière de la part de plusieurs ministres, le gouvernement de Boris Johnson a brillé par son amateurisme, sa négligence et son indifférence dans la gestion de la crise sanitaire, sociale et économique déclenchée par le virus.

Une figure politique du Royaume-Uni a néanmoins échappé au feu des critiques et vu sa gestion de crise saluée. Et elle ne se trouve ni à Downing Street ni à Westminster, mais à Édimbourg. Nicola Sturgeon, la Première ministre écossaise, s’est démarquée par sa gestion rigoureuse et sa communication transparente. Au point que de nombreux observateurs s’accordent à dire que le scénario de l’indépendance de l’Ecosse, déjà revenu sur le devant de la scène après le vote sur le Brexit, sort renforcé de la gestion de crise.

Nicola Sturgeon : un « vrai leadership »

Réactive, compétente, empathique, « vrai leader »… La gestion de la crise et le style de Nicola Sturgeon ont été salués à travers toute la Grande Bretagne, ainsi qu’à l’international. Au point que, dans les sondages, la Première ministre écossaise se soit hissée comme la figure politique la plus populaire du Royaume-Uni.

En Ecosse en particulier, ce sont les directives de Sturgeon et de son gouvernement qui sont suivies en priorité par ses administrés, et non pas celles de Boris Johnson, pourtant Premier Ministre du Royaume-Uni dans son ensemble (et pas seulement de l’Angleterre). Au-delà de la dévolution [1] de certains pouvoirs de Westminster vers Holyrood, en l’occurrence en matière de santé, cela s’explique également par l’écart important de confiance des citoyens écossais entre Sturgeon et Johnson. Près des trois quarts des Ecossais sont ainsi satisfaits du travail de Nicola Sturgeon en tant que Première ministre, et près des trois quarts également estiment que Boris Johnson est un mauvais Premier ministre. Concernant la gestion de la crise du covid en particulier, ce sont 82% des Ecossais qui estiment que Sturgeon a fait preuve d’une bonne gestion de crise, contre seulement 30% pour Boris Johnson.

Cela n’a rien d’étonnant au vu de la stratégie de gestion de crise qu’a décidé de suivre Nicola Sturgeon. Dès mi-mars, les autorités écossaises ont commencé à émettre des recommandations concernant les rassemblements de personnes, et Nicola Sturgeon s’exprimait devant le Parlement écossais dès le 17 mars. Dans les jours qui suivent, les écoles et crèches doivent être fermées, puis, en ligne avec les directives également prises par le gouvernement britannique, la fermeture des bars, restaurants, salles de sport, lieux cultures, etc. est décidée. Les autorités écossaises produisent également des feuilles de route pour les centres et activités touchant les personnes vulnérables, notamment l’aide à domicile, les foyers, l’hébergement d’urgence… De nombreuses autres lignes directrices sont également émises pour d’autres secteurs d’activité et services publics (les services de santé et l’éducation notamment), et des études d’impact de la crise du covid sur l’économie de l’Ecosse sont commandées par le gouvernement. [2]

En termes de communication, Nicola Sturgeon a opté pour un style direct, sans langue de bois, pédagogique et empathique quant à la dangerosité du virus, les strictes mesures à respecter et les difficultés rencontrées par la population. Attachée à montrer sa disponibilité et sa proximité avec ses concitoyens et concitoyennes, la Première ministre délivrait elle-même des points de situation, quotidiens au début, puis plus espacés.

L’intransigeance affichée de Nicola Sturgeon et des autorités écossaises quant au respect des mesures ne s’appliquait pas qu’au citoyen lambda, mais également aux responsables publics. Ainsi, quand Catherine Calderwood, la Conseillère santé écossaise (un poste clé qui équivaudrait au Directeur général de la santé en France), a été prise en flagrant délit de non-respect des mesures de confinement en se rendant dans sa résidence secondaire, cela a résulté en sa démission. Ce qui a nettement contrasté avec l’attitude de Downing Street vis-à-vis de Dominic Cummings, le Conseiller en chef du Premier ministre ayant quitté Londres avec sa famille alors qu’il présentait des symptômes du covid. Boris Johnson et le gouvernement britannique ont refusé de condamner l’attitude de leur collègue et n’ont pas exigé de démission de sa part, provoquant l’ire de bon nombre de citoyens, eux privés de liberté de mouvement et de rendre visite à leur famille. À cela s’ajoute le manque de sérieux de Boris Johnson au début de l’épidémie, qui se vantait de serrer des mains à l’hôpital… jusqu’à être lui-même testé positif et hospitalisé.

Cette opposition entre la gestion de Sturgeon et celle de Johnson a été assez bien résumée par The Guardian, qui titrait dès avril 2020 : « Ne vous étonnez pas si les Britanniques cherchent un leadership au-delà de Downing Street », développant l’affirmation de Nicola Sturgeon comme « vrai leader » en opposition à Boris Johnson (en particulier quand celui-ci était hospitalisé).

Au point que la question de l’indépendance de l’Ecosse soit revenue sur le devant de la scène, son gouvernement ayant démontré sa capacité à se passer du gouvernement britannique (et à faire mieux) en temps de crise.

Un catalyseur suffisant pour l’indépendance ?

The Guardian résumait récemment la situation en titrant : « Le covid a réduit l’indépendance de l’Ecosse à une simple question : Sturgeon ou Johnson ? ». Plusieurs observateurs voient en effet la gestion de la crise du covid-19 comme un élément qui pourrait être un pivot pour l’indépendance de l’Ecosse. Même le Daily Mail, pourtant traditionnellement pro-gouvernement, pro-Brexit et conservateur, s’est vu obligé d’admettre que les « gaffes » de Boris Johnson ont contribué à l’augmentation du nombre d’Ecossais se déclarant en faveur de l’indépendance. La gestion du covid est ainsi devenue le dernier épisode d’une longue série de politiques impopulaires adoptées à Westminster et ayant eu des conséquences néfastes en Ecosse, les plus marquantes ayant été l’effet des politiques thatchériennes sur l’industrie et l’emploi en Ecosse, les politiques d’austérité menées par David Cameron, ou encore le Brexit mené par Theresa May puis Boris Johnson.

D’après les derniers sondages YouGov, si un vote sur l’indépendance de l’Ecosse devait avoir lieu, c’est le « oui » qui l’emporterait largement, à 58%. Et si des élections générales devaient avoir lieu, c’est le Scottish National Party (le parti indépendantiste mené par Nicola Sturgeon) qui l’emporterait avec 57% des votes. Plusieurs incertitudes de taille demeurent cependant.

D’abord, la capacité de l’Ecosse à faire face à la récession économique sans le soutien financier du Royaume-Uni. Cette peur pourrait décourager le vote pour l’indépendance, bien que les pro-indépendance aient développé un argument de taille après le Brexit : une Ecosse indépendante serait amenée à rejoindre l’Union européenne et ainsi à bénéficier des fonds européens et de tous les avantages économiques découlant de la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux. À condition que l’Ecosse indépendante puisse rejoindre rapidement l’UE, ce qui n’est pas garanti.

Ensuite, les défis et critiques rencontrés par le SNP en matière de politique intérieure, pourraient freiner une partie de la population écossaises à voter pour une indépendance qui conforterait le SNP au pouvoir. On peut citer par exemple les répercussions du procès d’Alex Salmond (l’ancien Premier ministre écossais) accusé d’agression sexuelle, l’impopularité des décisions les plus récentes prises par Sturgeon en matière de confinement dans le secteur de l’hôtellerie (bien que la majorité de ses décisions aient été saluée jusqu’ici), des failles dans la maintenance des infrastructures publiques (comme les écoles ou les hôpitaux) pointées du doigt par les Conservateurs écossais, accusant un SNP « obsédé par l’indépendance » de négliger des secteurs essentiels, ou encore un taux de pauvreté (y compris de pauvreté infantile) que le gouvernement a du mal à endiguer.

La troisième incertitude est d’ordre constitutionnel. Pour qu’un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse ait lieu et que son résultat soit valide, encore faut-il que le gouvernement national donne son accord, ce que Boris Johnson n’est pas disposé à faire. Le Premier ministre a notamment rappelé la promesse faite par le SNP pour le référendum de 2014 (où le « non » l’avait emporté à 55,3%) qu’un tel référendum n’aurait lieu en Ecosse qu’une fois par génération. Mais ici, la malhonnêteté intellectuelle est plutôt du côté du Parti conservateur britannique au pouvoir : l’un des arguments contre l’indépendance qui avaient été avancés était que l’Ecosse perdrait son statut d’État membre de l’UE si elle devenait indépendante, alors qu’elle demeurerait dans l’UE en demeurant membre du Royaume-Uni. Deux ans plus tard, le vote sur le Brexit avait lieu et 62% des Ecossais avaient voté pour le maintien dans l’UE. Un tel changement de paradigme remet donc en question la promesse du « once in a generation ».

D’autant plus que si l’UE ne s’est pas officiellement exprimée sur son soutien au retour dans l’UE d’une Ecosse indépendante, des signaux positifs ont été envoyés çà et là, notamment de la part de Donald Tusk, ancien Président du Conseil européen, qui a déclaré qu’un tel scénario serait accueilli avec enthousiasme à Bruxelles et dans les États membres, rappelant néanmoins les formalités et traités à respecter. Michel Barnier, négociateur en chef de l’UE, avait également suscité un certain espoir en affirmant être « disposé à écouter » une extension de la période de transition pour l’Ecosse, rappelant néanmoins que les dispositions constitutionnelles du Royaume-Uni devaient être respectées

Aucune prise de position officielle de la part de l’UE donc, qui pourrait être taxée d’ingérence si elle se prononçait sur la question de l’indépendance d’une entité régionale d’un de ses États membres, et qui ne saurait prendre le risque de provoquer le gouvernement britannique dans un contexte de négociations déjà particulièrement tendu. À voir néanmoins si l’Union prendra officiellement position ou ouvrira un débat après la période de transition et la fin des négociations avec le Royaume-Uni.

L’auteure remercie Gavin Dewar pour sa relecture et ses éclairages avisés sur la politique intérieure écossaise.

Notes

[1Le Royaume-Uni est composé de quatre nations constitutives : l’Angleterre, l’Ecosse, l’Irlande du nord et le Pays de Galles. Concernant l’Ecosse, dans le cadre de la dévolution, un certain nombre de pouvoirs et prérogatives ont été transférés du pouvoir central (représenté par le Parlement national de Westminster et le gouvernement de Boris Johnson) vers l’assemblée régionale écossaise (représentée par le Parlement de Holyrood à Edimbourg), qui désigne suite aux élections parlementaires régionales le chef du gouvernement écossais (en l’occurrence, Nicola Sturgeon). Via la dévolution, l’Ecosse jouit ainsi d’un pouvoir de décision dans plusieurs domaines (en matière de santé ou d’éducation par exemple). Gouvernement et parlements centraux et régionaux cohabitent ainsi au Royaume-Uni. Si en français, Johnson et Sturgeon sont tous deux qualifiés de « Premier ministre », l’anglais différencie le « Prime Minister » (Johnson) du « First Minister » (Sturgeon) pour distinguer les deux niveaux de décision.

[2Pour plus de détails sur l’ensemble des mesures prises par l’Ecosse dans le cadre de la crise du covid-19 depuis mars, voir la frise chronologique dédiée sur le site du Centre d’information du Parlement écossais.

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