Après la perte de ses outils d’influence, l’Union est devenue un acteur politique réactif dans la crise syrienne

, par Maram Daoud, traduit par Alexandre Marin

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Après la perte de ses outils d'influence, l'Union est devenue un acteur politique réactif dans la crise syrienne

En 2008, à travers plusieurs accords bilatéraux, la Syrie prit part à la Politique européenne de voisinage (PEV), sans en être pleinement membre. L’Union se montrait optimiste sur Bachar Al-Assad. Au cours de son discours d’inauguration, le nouveau président syrien avait promis de nouvelles réformes politiques et souligné l’importance des droits de l’Homme, notamment de la liberté d’expression.

Ce fut le début d’une lune de miel commerciale entre Européens et Syriens, mais l’idylle déclina pour plusieurs raisons. Peter Seeberg, analyste politique, soutient que la Syrie aurait trouvé d’autres partenaires commerciaux sans que cela ne porte préjudice aux échanges euro-syriens. Cependant, le document de stratégie élaboré sous l’auspice de l’instrument européen de voisinage et de partenariat semble indiquer que l’Union a consacré 130 millions d’euros pour des réformes politiques, économiques, et sociales entre 2007 et 2010. C’est ce que montre le montre le schéma 1.

Schéma 1 - Budget de l’UE pour les réformes en Syrie (2007-2010)

En mars 2011, un soulèvement éclata en Syrie pour exiger la démocratie et le respect des droits fondamentaux. Deux mois après, l’Union européenne réagit à la répression brutale du régime contre les civils. Elle suspendit tous les accords conclus avec la Syrie, y compris ceux concernant la participation syrienne à la politique européenne de voisinage. Ces moyens de coopération furent remplacés par des mesures ciblées unilatérales visant le gouvernement syrien.

Le mot-clé de la politique européenne de voisinage est « partenariat ». La transformation de l’influence européenne en Syrie en a fait un instrument de politique « carotte ou bâton ». L’objectif du moment était, d’une part, de montrer l’engagement européen pour promouvoir la démocratie et les droits de l’Homme, et d’autre part, de freiner la capacité du régime à financer sa répression des manifestations. Qui plus est, l’UE affichait l’ambition de contraindre le régime syrien à changer son attitude violente et à privilégier une approche plus démocratique.

« Nous oublierons l’Europe sur la carte du monde » a rétorqué, en 2011, Waleed Al-Moalem, le ministre syrien des Affaires étrangères. Les décisions prises par l’Union à propos du pouvoir syrien ont mis une forte pression sur le dos de la Syrie, pression économique et pression diplomatique. Toutefois, elles ont limité les capacités d’influence de l’Europe ; la Syrie a pu se tourner vers d’autres partenaires économiques.

Semblablement à ce qu’il s’était produit antérieurement, aux époques où les rapports commerciaux diminuaient, le régime syrien regardait « à l’Est et à l’Ouest » pour reprendre les termes employés par le ministre en 2011. Depuis lors, les relations de la Syrie avec l’Iran et la Russie se sont renforcées : « nous attendons bien plus de nos amis… oui, la Russie et l’Iran, mais aussi de la part d’autres alliés » a dit en 2013 le gouverneur de la banque centrale syrienne, Said Adeeb Mayaleh.

De l’influence iranienne en Syrie

Depuis le départ européen de la Syrie, l’Iran fut le premier pays à étendre son influence dans le pays, la nature ayant horreur du vide. En 2013, Téhéran a officiellement déclaré que le renversement de Bachar Al-Assad fait partie d’un complot anti-iranien. « Nos adversaires étrangers comme les Etats-Unis ou les Sionistes, ennemis jurés de la révolution islamique en Iran, certains pays arabes, ou encore la Turquie sont en train d’œuvrer pour destituer le gouvernement de la Syrie avant les élections iraniennes » a dénoncé le Major Général Yahya Rahim-Safavi, un conseiller militaire du chef de la révolution islamique iranienne l’Ayatollah Seyyed Ali Khamenei. Ce discours témoigne du soutien iranien à Bachar Al-Assad.

En plus de leurs échanges commerciaux annuels qui se montent à environ 700 millions de dollars américains et d’une aide financière de 3 milliards de dollars américains pour la seule année 2013, la Syrie a bénéficié d’une aide militaire iranienne. Selon Karim Sadjapour, analyste politique : « Téhéran a soutenu la création de 50 000 forces paramilitaires connus sous le nom de Jaysh al-Shabi (l’armée du peuple) pour venir en aide aux forces armées officielles du régime ».

L’influence russe en Syrie

Conséquence des sanctions européennes, l’Autriche et l’Allemagne ont cessé de fournir la Syrie en billets de banque, mais la Russie les a vite remplacées si l’on en croit Adeeb Mayaleh. La Russie a tenté également de remplacer tant bien que mal le vide laissé par l’arrêt des relations euro-syriennes. « Transformer les zones de désescalade en zones de soutien humanitaire constitue une opportunité » a affirmé Grigory Lukyanov, expert en politique étrangère russe et en conflits. Autrement dit, la Russie s’est aussi impliquée dans le soutien à l’économie syrienne en envoyant de l’aide humanitaire au peuple syrien. Comme le soutient le Financial Times : « les décideurs politiques à Moscou veulent conquérir la paix par la conquête des cœurs ».

Quant à l’intervention militaire russe en Syrie, Riad Haddad, l’ambassadeur de Syrie à Moscou a déclaré : « oui, nous recevons des armes, de l’équipement militaire, tout s’accomplit selon les accords conclus entre nos deux nations ». Officiellement, Moscou s’est immiscée dans le conflit en 2015 après que la Syrie lui en a fait la demande. La Russie a construit un aérodrome en Syrie, baptisé Khmeimim, et a commencé les bombardements aériens contre les zones tenues par l’opposition.

L’Iran et la Russie sont toutes deux parvenues à consolider leurs présences respectives en Syrie en raison du retrait européen. De même, grâce à l’aide du Hezbollah, une milice chiite libanaise, elles ont évité l’effondrement du régime et lui ont permis de reprendre le contrôle d’une grande partie du territoire. Se faisant, le régime a multiplié les infractions aux principes les plus fondamentaux des droits de l’homme et du droit international en général. Depuis que les sanctions européennes ont été mises en œuvre en Syrie, et que les pays européens ont fermé leurs ambassades, le régime a pu outrepasser les limites surtout parce qu’il n’était pas isolé comme l’Union avait espéré qu’il le serait.

La réponse européenne à la crise syrienne

Aux dires de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, plus de cinq millions de Syriens ont trouvé refuge dans les pays voisins et reliefweb soutient qu’ « en 2015 et 2016, l’Europe est devenue la destination de près de 650 000 Syriens. Pourtant, cela représente seulement 5% de tous les Syriens exilés dans le monde ».

L’Union a arrêté sa stratégie en réponse à la crise dans différents secteurs et a versé plus de 10,6 milliards d’euros en aide depuis le début du conflit. En plus de l’aide, humanitaire ou non, de l’accueil, et de la relocalisation des réfugiés sur le vieux continent, l’Union européenne s’est engagée politiquement en Syrie via l’appui qu’elle a apporté aux négociations entre régime et opposition à Genève, aux groupes d’opposition, ainsi qu’à la société civile syrienne.

Schéma 2 - Donations de l’UE pendant la crise en Syrie (2011-2018)

Le schéma 2 montre que la moitié du budget dépensé est allé aux pays frontaliers à la Syrie. Cependant, la comparaison entre le schéma 1 et le schéma 2 montre que le budget dépensé par l’Union est passé de 130 millions (pour la période 2007-2010) à 10,6 milliards (pour la période 2011-2018). Alors que l’argent dépensé par l’UE en Syrie avant 2010 était destiné à financer des réformes politiques, économiques, et sociales, il est consacré depuis 2011 à des politiques humanitaires et sécuritaires.

De même, l’Europe a été le théâtre de plusieurs attentats terroristes organisés ou soutenus par l’Etat islamique, une organisation djihadiste parvenue, en 2014, à s’emparer de larges portions des territoires syrien et irakien. À cause de l’augmentation du trafic d’immigrants illégaux en Europe et d’attaques terroristes, l’Union européenne a été contrainte de revoir sa politique de voisinage en 2015. Dans cette nouvelle conception, une nouvelle politique de voisinage a été repensée en laissant une place de choix aux questions de sécurité et de stabilité dans la région.

Conclusion

La politique européenne de voisinage a nourri l’ambition de défendre la démocratie et les droits fondamentaux dans les pays proches de l’Union, tout en les aidant à être prospères. Ce fut le levier politique et économique de l’Europe pour mettre fin aux atrocités commises par les régimes autoritaires au Sud et à l’Est de la méditerranée. Cependant, la suspension de ces politiques, ou le fait de les employer pour menacer ces régimes a fait de l’Union une partie prenante qui ne peut résoudre les problèmes qu’au cas par cas.

Concernant la Syrie, le retrait européen a laissé se développer ses adversaires dans le pays, la Russie et l’Iran. Il y a également empiré la situation des droits de l’Homme en laissant le régime transgresser toutes les limites, avec le soutien sans bornes de ses alliés.

Enfin, l’Union s’est vue contrainte de résoudre des menaces urgentes et n’a pas conçu de stratégie réelle. Elle s’est frottée à la pire crise humanitaire du XXI° siècle. Elle a dû trouver des solutions aux grands nombres de réfugiés frappant à sa porte et s’est concentrée sur des politiques de sécurité pour faire face aux défis. En un mot, l’Union est passée du rôle d’influenceur à un rôle purement réactif face aux effets de la guerre en Syrie.

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