Ambiance fin de règne au Monténégro

, par Alexis Vannier

Ambiance fin de règne au Monténégro
Une démocratie « fortifiée » illustrée par la ville de Kotor. Image : Wikimedia commons

La fin des grandes vacances coïncide avec l’ouverture des urnes monténégrines. En effet, les 470 000 électeurs de ce petit pays des Balkans occidentaux étaient appelés, dimanche 30 août, à renouveler les 81 sièges de la Skupština, le Parlement monocaméral local. Ces élections interviennent dans le contexte tendu de la crise liée à la Covid-19 mais également dans une situation politique explosive.

Si les résultats des dernières élections législatives au Monténégro en octobre 2016 avaient été relégués au second rang, c’est qu’un coup d’État a été déjoué le jour même. Le continent n’est plus habitué à ces événements : le dernier remonte en 1981 dans l’Espagne postfranquiste en plein chantier de transition vers la démocratie. Le petit pays des Balkans a donc failli basculer dans une crise politique et constitutionnelle sans précédent le jour où il renouvelait son Parlement. C’est à la fin du mois d’octobre 2016 que les citoyens monténégrins apprennent les détails du projet avorté de coup d’État par la voix du Premier ministre serbe d’alors, Aleksandar Vučić. Il développe les données transmises par les services secrets serbes, obtenues par un transfuge, et dévoile notamment la participation de dizaines de russes parmi les 500 personnes reliées à cette mission, aux côtés de Serbes (dont l’ancien chef de la Gendarmerie nationale) et de Monténégrins.

Le secrétaire du Conseil de sécurité russe fera d’ailleurs une visite surprise à Belgrade quelques jours après cette déclaration. Certaines sources affirment en outre que le président tchétchène, connu pour son amour des libertés fondamentales, serait impliqué dans le complot. Le groupe projetait une attaque du Parlement mais également l’assassinat du Premier ministre Milo Ðukanović. Depuis le début du procès en 2017, des membres de l’opposition pro-russe ont été inculpés, de même que deux ressortissants russes, par contumace.

Cette opération de grande envergure aurait eu pour objectif de déstabiliser le Gouvernement de Podgorica et surtout d’annuler l’adhésion du pays des Montagnes noires à l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord (OTAN), votée finalement le 28 avril 2017. Une affaire qui aura sûrement irrité Donald Trump qui ne se privera pas de désigner très diplomatiquement le Monténégro comme un « petit pays très agressif ».

Le Parlement acquis au DPS (Parti démocratique socialiste du Monténégro) a récemment adopté des décisions courageuses qui vont à l’encontre de l’opinion majoritaire et attise certaines colères. Tout d’abord, le Monténégro est devenu le troisième pays des Balkans occidentaux à autoriser l’union civile pour les personnes homosexuelles le 1er juillet dernier, en y excluant toutefois l’adoption. Une avancée rare dans une région plutôt hostile aux droits des personnes LGBT. Le rapport ILGA de 2020 sur la situation des droits LGBT en Europe nous apprend qu’encore 50% des Monténégrins ne veulent pas voir de manifestations d’affectation des couples homosexuels en public.

En outre, en début d’année, les parlementaires ont adopté une loi controversée régissant les rapports entre État et Église qui prévoit notamment la récupération par l’État des biens de l’Église orthodoxe serbe antérieurs à 1918, ce qui a le don de raviver les tensions avec le voisin serbe. Cette loi est un motif de plus pour de nombreux radicaux pour réclamer le rattachement de leur pays à la Serbie, quatorze ans seulement après une lente séparation. Cette affaire rappelle le « schisme » entre les Églises de Kiev et Moscou sur fond de tensions géopolitiques. Ces tensions religieuses ravivent également des tensions ethniques entre Monténégrins et Serbes, thème majeur de la campagne.

Ça s’en va et ça revient…

Face à la tentative de coup d’État en 2016 qui aurait pu coûter la vie à la République monténégrine, les résultats des législatives pourraient paraître secondaires, et pourtant… Le DPS, issu de la Ligue des communistes de Yougoslavie dirigée par Tito, remporte en effet une nouvelle fois le scrutin. Le plus embarrassant c’est que le DPS règne sur la politique monténégrine depuis trente ans, un monopole qui se vérifie à la tête de l’État. Ainsi, Milo Ðukanović, président du parti depuis 1998, a été Premier ministre du Monténégro au sein de la Yougoslavie de 1991 à 1998, puis Président du Monténégro au sein de la Fédération de Serbie-et-Monténégro de 1998 à 2002, puis Premier ministre de son pays de 2003 à 2006, puis de nouveau Premier ministre mais cette fois-ci du Monténégro indépendant en 2006, de 2008 à 2010 puis de 2012 à 2016 pour enfin –de nouveau – se faire élire Président de la République en 2018 ! C’est ce qu’on appelle un curriculum vitae bien fourni ! Et quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que quand Milo Ðukanović n’est pas à un poste, c’est Filip Vujanović qui y est. Assurément, une belle complicité démocratique qui dure depuis plus de 30 ans ! Poutine et Medvedev n’ont qu’à bien se tenir… Il est utile ici de rappeler que l’alternance est une des composantes d’un régime démocratique stable.

En 2019, sur fond de contestation du pouvoir lancé depuis la France par le Mouvement des Gilets jaunes qui s’est vite et bien répandu dans les Balkans notamment, de grandes manifestations ont éclaté sous le slogan #Oduprise (#Résiste) contre le Président Ðukanović et le monopole du clan familial et du parti au pouvoir sur les institutions du pays. Des documents et vidéos laissent entrevoir des pratiques courantes de corruption par des échanges d’argent entre politiques mais également vers des fonctionnaires. Ces révélations interviennent alors qu’une journaliste d’investigation, Olivera Lakić échappe de peu à une tentative de meurtre à son domicile, ce qui rappelle la grave situation que traverse la liberté de la presse dans cette région d’Europe (voir la série Liberté de la Presse disponible réalisé par le Taurillon).

Lors du fameux scrutin législatif de 2016, le DPS a recueilli plus de 41% des suffrages et 36 sièges sur les 81 de la Skupština. De loin majoritaire, le DPS voit néanmoins une diminution constante des bulletins en sa faveur depuis 2009. Le Front démocratique, principale force d’opposition, coalition prorusse et conservatrice, atteignait péniblement les 20% et dispose de 18 députés. Viennent ensuite une myriade de partis d’opposition de gauche, notamment les Démocrates disposant de 9 députés et des représentants de minorités.

Pour ces élections, l’opposition fait le pari de la solidarité du tous contre un… mais divisée. Si un front d’opposition large et uni avait remporté la ville de Bucarest contre le Fidesz de Viktor Orbán en Hongrie en 2019, c’est pourtant un pire monopole que l’opposition monténégrine doit affronter puisqu’il dure depuis trente ans. Finalement, alors que des soupçons planaient sur de nouvelles violences le jour du scrutin, le DPS du Président Ðukanović remporte une nouvelle fois les élections avec 34,8 % des voix et 30 sièges, soit 5 de moins que précédemment, ce qui lui fait perdre, pour la première fois, la majorité absolue. La droite conservatrice proserbe, réunie autour du Front démocratique dans l’alliance « Tous ensemble » arrive seconde avec 32,7% en totalisant 27 sièges quand une partie de la gauche sociale-libérale constituant le « Bloc citoyen » se stabilise avec 10 députés. Le parti écolo URA double son nombre de sièges pour atteindre quatre quand les formations représentant les minorités bosniaques, albanaises et croates remportent respectivement 3, 2 et 0 sièges. Une forte mobilisation (75%, en hausse de 4 points) vient confirmer l’enjeu de ces législatives.

Ces résultats représentent un revers pour le président Ðukanović qui devra trouver un partenaire pour former un gouvernement stable. Néanmoins, une coalition sembler compliquée à trouver, l’ensemble des partis s’étant positionnés à l’opposé du DPS et son emprise anti-démocratique et corrompue sur le pouvoir.

Cette – malgré tout – nouvelle victoire pour le président Ðukanović, au pouvoir depuis près de trente ans, dans un contexte tendu, tant au niveau religieux qu’ethnique, et alors même que, l’abstention le prouve, de plus en plus de citoyens se détournent de la politique ressemble à une autre. Si les conditions ne sont pas comparables du point de vue du système démocratique notamment, un scénario à la bélarusse n’est pas à exclure au Monténégro. À l’image des Géorgiens, des Serbes, des Bulgares et des Bélarusses, c’est toute une région qui montre que la mobilisation populaire peut faire plier les pires gouvernements. Un été européen serait-il en train de voir le jour ?

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