Alter Euro : la République Tchèque

L’euro : loin des débats, loin du coeur ?

, par Paul Brachet

Alter Euro : la République Tchèque
Aujourd’hui, et depuis 1993, la couronne tchèque est la monnaie officielle de la République tchèque. crédit : Pixabay

La République tchèque a adhéré à l’Union européenne en 2004. Prague a alors pour ambition une pleine et entière intégration à l’espace européen et prévoit, dès 2003, un plan d’adoption de l’Euro dans l’optique de remplacer la monnaie nationale, la couronne tchèque. Vingt ans plus tard, force est de constater que le plan ne s’est pas déroulé comme prévu, la monnaie de la Tchéquie demeure, aujourd’hui encore, la couronne. Alors, quid de la monnaie unique en République tchèque ?

Prague, bon élève au regard des critères de convergence

Pour prétendre à l’introduction de l’euro comme sa monnaie, un État doit remplir des critères, dits de convergence. Ces critères sont issus de l’article 140 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Selon cet article, et comme l’explique la Banque centrale européenne (BCE), les critères de convergences consistent en « la réalisation d’un degré élevé de stabilité des prix ; cela ressortira d’un taux d’inflation proche de celui des trois États membres, au plus, présentant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix  », c’est-à-dire, une inflation ne dépassant pas plus de 1,5 points la moyenne des trois membres de la zone euro présentant les taux d’inflation les plus bas, un déficit budgétaire annuel d’un maximum de 3% du produit intérieur brut (PIB), une dette publique ne dépassant pas les 60% du PIB annuel, et une appartenance pendant au moins deux ans au mécanisme de taux de change européen (MCEII) qui consiste en l’imposition d’un taux de change entre l’Euro et la monnaie nationale d’environ 15%.

En ce qui concerne la République tchèque, Prague respecte plus ou moins les critères permettant l’adoption de l’Euro. En effet, selon les rapports conjoints de la BCE et de la Banque nationale tchèque, elle comptabilisait en avril 2022 un déficit annuel de 5,9 % du PIB et une dette publique de 41,9% du PIB, toutefois, l’inflation était de 6,2%. Bien au-delà des 4,9% recommandés donc, mais tout de même saluée par la BCE étant donné l’inflation galopante constatée à travers tout le continent. Pour la Banque centrale européenne, l’inflation doit être regardée essentiellement « liée à la guerre entre la Russie et l’Ukraine », et, à ce titre, pouvant être jugulée plus ou moins « efficacement par la politique monétaire de la République tchèque ».

Le dernier critère, l’adhésion au MCE II, est quant à lui purement politique. En effet, si un État parvient à remplir les critères de convergences abordés plus haut, il est alors libre de rejoindre le MCE II. Si en vertu des traités, tous les États membres de l’Union européenne doivent obligatoirement rejoindre le MCE II et in fine l’Euro [1], la décision n’en reste pas moins une question politique touchant à la souveraineté monétaire des États. De fait, chaque État est souverain et peut choisir le rythme et les modalités d’adhésion au MCE II. Par exemple, la Suède a choisi le référendum pour trancher la question de l’adhésion, référendum qui en 2003 a débouché sur un résultat négatif, permettant au royaume de bénéficier de facto d’un opting-out.

Le problème est que cette question politique n’a jamais été réellement tranchée en République tchèque, la faute aux responsables politiques qui, pour la plupart, n’ont jamais réussi à se mettre d’accord ou du moins à lever l’ambiguïté autour de l’adoption de la monnaie unique.

Une ambiguïté politique, reflet de l’opinion publique

« L’euro n’est pas un sujet sur la table pour le moment !  ». C’est comme cela que Petr Fiala, Premier ministre de la République tchèque, a présenté la vision du gouvernement par rapport à l’adoption de l’euro. Le nouveau gouvernement tchèque, aux affaires depuis décembre 2021, est le résultat d’une coalition de deux coalitions, SPOLU d’une part, une alliance de droite composée des partis ODS (conservateurs), KDU-ČSL (chrétiens-démocrates) et TOP 09 (libéraux), et PaS d’autre part, une alliance antisystème de centre gauche composée du Parti pirate (sociaux-libéraux) et de l’association des « Maires et indépendants » (régionaliste). Cette coalition est fondée sur deux principaux points : une adhésion pleine et entière au projet d’intégration européen et un rejet massif de l’ancien Premier ministre populiste, aujourd’hui principal candidat à l’élection présidentielle tchèque, Anrej Babiš.

Pietr Fiala a également déclaré que « la Tchéquie n’adoptera pas l’euro durant cette mandature ». Cette assurance est une réponse directe à la présidente du parti membre de la coalition gouvernementale de Petr Fiala TOP 09, Markéta Pekarová Adamová. Cette dernière avait alors annoncé aux journalistes qu’elle pensait que la Tchéquie était prête à entrer dans le MCE II d’ici la fin de la mandature et ainsi pouvait espérer adhérer à la zone euro en 2030. Sur ce sujet, TOP 09 est plutôt uni en son sein, comme en témoignent les différentes prises de position et tribunes de ses membres, et à ce titre, cela en fait une exception dans le paysage politique tchèque. En effet, les autres forces politiques sont divisées, toutes traversées par des courants plus ou moins favorables à l’introduction de la monnaie unique en Tchéquie.

En ce qui concerne la coalition gouvernementale actuelle, ODS est divisé par un courant favorable à l’adhésion de l’euro et un autre courant qui lui est plutôt hostile, estimant que l’économie tchèque, jusque-là florissante, n’a pas d’intérêt pour le moment à adopter la monnaie unique. Le second parti de la coalition, le parti pirate tchèque, est quant à lui pro-euro. À ce titre, aucune ambiguïté n’est à constater à ce sujet, à ceci près que ce dernier souhaite voir une réforme de l’organisation de la zone euro. Certains pirates pensent que l’adhésion à la zone euro doit donc être précédée d’une révision complète de son organisation, tandis que d’autres pensent justement que l’adhésion doit impulser la réforme a posteriori. Une coalition divisée constituée de partis eux-mêmes divisés donc.

Cette division est le fruit d’une ambiguïté jamais levée sur l’euro. En effet, comme indiqué précédemment, tous les pays de l’Union européenne sont voués à adopter l’euro. Or même si le gouvernement tchèque continue de considérer l’adoption de l’euro comme un objectif de long terme, il souhaite également mettre ce projet en accord avec l’économie réelle d’une part et l’opinion publique d’autre part. Car en effet, l’euro a entraîné une hausse des prix dans l’ensemble des pays qui l’ont adopté suite à sa création. Ce constat établit que l’adoption de l’euro fait peur, notamment pour une économie tchèque déjà en prise avec une inflation galopante. Or pour la BCE comme pour la Commission européenne, c’est la politique monétaire de Prague qui lui a permis de maintenir une inflation haute mais non exponentielle. Politique monétaire qui selon ces mêmes institutions a permis de préserver l’ensemble des secteurs, très diversifiés dans le pays. Or la politique monétaire n’est du ressort de l’État que si la monnaie est nationale, une telle situation n’aurait pas pu être si la Tchéquie avait adopté l’euro.

L’opinion publique tchèque, quant à elle, éprouve une certaine réticence. Elle est la seule à ne pas souhaiter l’adoption de la monnaie unique parmi les pays de l’UE n’utilisant pas encore l’euro. Selon Eurostat, en avril 2022, 55 % des Tchèques étaient opposés à l’adoption de la monnaie unique, alors que 43% étaient pour. Cette réticence est due d’une part à une peur de l’inflation et du changement que pourrait produire l’euro sur le tissu industriel et agricole du pays, mais également sur l’instrument de souveraineté nationale que représente la Couronne tchèque. La monnaie, et la politique monétaire, est une part importante des pouvoirs régaliens d’un État, et à ce titre est l’une des expressions les plus résonnantes de la souveraineté. Une souveraineté nationale que la République tchèque n’a retrouvée qu’à partir de 1990. Ceci explique la position de la population qui se méfie, à la fois d’une plus grande intégration qui nécessite une perte de souveraineté à l’échelle nationale, et à la fois d’une inflation qui viendrait s’ajouter à celle que traverse l’Europe. Toutefois, toujours selon Eurostat, le soutien pour le remplacement de la couronne par l’euro ne cesse de progresser depuis 2012.

S’il est convenu que la République tchèque n’adoptera pas l’euro durant cette mandature, ni même avant 2030, et cela plus par division et ambiguïté du gouvernement que par réelle volonté politique de conserver la couronne, il est toutefois probable que Prague décide in fine d’adopter la monnaie unique que cela soit pour la résistance aux crises que l’euro permet (crise financière de 2008, de la zone euro en 2012, de la Covid-19 en 2020 ou actuelle crise de la guerre en Ukraine), pour le dynamisme économique permis par davantage d’intégration ou tout simplement pour un soutien populaire qui ne cesse de croître. Toutefois, la Tchéquie doit avoir un débat franc et ouvert sur l’euro et son adoption, cela ne pourra avoir lieu que si le politique sort de son ambiguïté sur ce sujet.

Cet article fait partie de la série du Taurillon Alter Euro, une série qui a pour but d’explorer les différents Etats membres de l’Union européenne n’ayant pas encore adopter l’euro ainsi que leurs raisons.

Notes

[1Le Danemark dispose d’un « opt-out » lui permettant de déroger à la règle

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