Accord nucléaire avec l’Iran : céder ou s’affirmer

, par Rémi Laurent

Accord nucléaire avec l'Iran : céder ou s'affirmer
La cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini et le Ministre des affaires étrangères de l’Iran, Javad Zarif, en 2016. CC BY-NC 2.0 - European External Action Service

En retirant les États-Unis de l’accord nucléaire avec l’Iran le mardi 8 mai 2018, Donald Trump poursuit une diplomatie basée sur le coup de force. En faisant fi des positions des autres signataires de cet accord et alors même que l’Iran respectait ses engagements, Donald Trump prend un risque pour son pays tout en obligeant les autres signataires à s’aligner ou à s’opposer. Si la Chine et la Russie ne semblent pas disposer à céder aux caprices américains, qu’en est-il des Européens ?

Le fruit de la diplomatie européenne

On a tendance à l’oublier mais l’accord sur le nucléaire iranien est le fruit des efforts des diplomates européens ou plutôt des diplomates britanniques, allemands et français en coordination avec la haute-représentante aux affaires étrangères, Federica Mogherini pour l’Union européenne. Au prix d’intenses tractations diplomatiques, les Européens (ou tout du moins, les plus influents d’entre eux) ont réussi à ramener l’Iran et les États-Unis à la table des négociations pour encadrer le programme nucléaire iranien et ainsi déminer les tensions aux portes du continent européen.

L’accord étant le suivant : l’Iran renonce à son programme nucléaire militaire en échange de la levée des sanctions économiques et commerciales l’affectant. Du côté européen, les diplomates sont convaincus que c’est en améliorant la situation économique de la population iranienne, jeune et confronté à la pauvreté et au chômage qu’une solution durable sera trouvée.

En déchirant l’accord conclu avec les Iraniens, Donald Trump montre le peu de cas qu’il fait de ses plus proches alliés tout en détruisant des années d’efforts diplomatiques. Pire, le président américain ne fait pas que sortir son pays de l’accord. Non, il rétablit les sanctions les plus dures contre l’Iran se basant sur des lois permettant des sanctions extra-territoriales contre toute entreprise travaillant en dollars ou avec l’Iran.

L’Europe, victime collatérale

Les pays européens et leurs entreprises qui ont beaucoup investi en Iran (la France a ainsi multiplié par trois ses échanges en deux ans avec Téhéran) sont touchés de plein fouet. Pour ceux-ci, le choix qu’imposent les Américains se résume ainsi : soit vous vous retirez d’Iran, soit nous imposons de lourdes sanctions financières à vos entreprises et nous leur interdisons de commercer aux États-Unis et de répondre à tout appel d’offres public aux États-Unis. Et comme les États-Unis constituent un important marché pour les entreprises européennes, le choix est vite fait entre des échanges émergents avec l’Iran ou de gros bénéfices aux États-Unis.

Du côté des entreprises européennes, l’on n’a pas non plus oublié que l’administration américaine a eu la main lourde lorsqu’il s’est agi de sanctionner les entreprises européennes. La BNP qui a écopé de 6,3 milliards $ d’amende ou bien encore la Société générale, on s’en souvient encore. La Société générale ayant même dû se séparer de l’un de ses cadres dirigeants pour continuer à exercer aux États-Unis.

Et ce n’est pas l’application d’un règlement européen de 1996 qui offre une protection juridique aux entreprises européennes qui continueraient de commercer avec l’Iran qui y changera grand-chose. Du côté de la Commission européenne, on reconnaît d’ailleurs que l’efficacité de ce règlement est « limitée ».

La bourse ou la puissance

Suite à la dénonciation de l’accord nucléaire iranien, les Européens ont semblé se réveiller. Scandaleux, inacceptable, les mots n’ont pas manqué pour qualifier la décision américaine. Ministres, anciens ministres ou simples citoyens, tous constatent que l’absence d’une réaction européenne forte traduirait en réalité bien plus que l’impuissance européenne, elle montrerait que l’Europe n’est en fait qu’un vassal des États-Unis, un strapontin que l’on piétine allègrement. Pour un continent dont les différentes puissances ont successivement dominé le monde depuis plus de 600 ans, le constat est amer et cruel. Il y a dans les réactions des uns et des autres, la traduction d’un orgueil national blessé.

Reste que face à un président américain qui ne comprend que le rapport de force, l’Union européenne n’est pas sans arme. Premier marché mondial, première puissance commerciale mondiale, l’Union européenne est, plus encore depuis l’élection de Donald Trump, le défenseur du libre-échange. Les autres pays du monde ne s’y sont pas trompés d’ailleurs en se tournant vers Bruxelles pour accélérer les différentes négociations commerciales en cours.

L’Europe, si elle veut continuer à décider de son destin, à décider de son futur doit répliquer le plus fortement possible aux sanctions américaines. Ainsi que l’a proposé Xavier Bertrand, le 13 mai 2018 sur Europe 1, nous devons nous aussi appliquer de lourdes amendes aux entreprises américaines.

Plus que la loi du Talion, l’Europe doit sanctionner plus fortement, plus lourdement les entreprises américaines. L’administration américaine opère un racket des entreprises européennes ? Rendons la monnaie de leur pièce aux Américains. Les sujets ne manquent pas. Évasion fiscale des multinationales, violation de la vie privée de la part des GAFA, pratiques commerciales trompeuses, l’imagination des fonctionnaires européens peut se révéler très importante pour récupérer des fonds. Mieux, l’Union européenne peut si ses entreprises sont punies pour avoir commercé avec l’Iran, fermer son marché aux entreprises américaines tout en l’ouvrant à leurs concurrentes canadiennes, japonaises, australiennes, néo-zélandaises, russes ou asiatiques.

Le message envoyé à la Maison blanche serait alors clair : « Nous ne sommes pas vos laquais. Sortez de cet accord si vous voulez mais ne sanctionnez pas nos entreprises, sinon, vous en paierez le prix. »

L’Union européenne en a les moyens, en a le pouvoir mais en a-t-elle la volonté ? Plus que jamais, la question qui se pose est de savoir si l’Europe veut pouvoir décider de son avenir. En d’autres termes, le choix est le suivant : céder ou s’affirmer.

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