Un accord historique qui pourrait mettre fin à des années de tensions
Depuis deux ans, Israël et le Liban négocient la définition de leur frontière maritime sous la houlette d’Amos Hochstein, diplomate américain. La répartition des eaux est un facteur majeur de tension depuis la découverte de gisements gaziers très importants dans la zone contestée. Le champ Karish aurait ainsi une capacité avoisinant 4.e-17 Gm3 de gaz. Le champ Cana et le bloc 9, qui restent à explorer, présentent également un potentiel important.
La proposition finale d’accord devrait s’aligner peu ou prou sur la ligne revendiquée initialement par Israël. Karish reviendrait donc à l’État hébreu, qui avait déjà lancé son exploitation en juin 2022, déclenchant ainsi une crise politique et la reprise des négociations. Cana et le bloc 9 demeureraient dans la zone exclusive du Liban, à l’exception d’une partie du premier.
Les intérêts européens suspendus à la signature de l’accord
Dans son bras de fer avec la Russie, l’Europe cherche avidement de nouvelles sources d’énergie. Or, l’Union européenne pourrait bien gagner un fournisseur très important en Israël en cas d’exploitation du champ Karish. L’État entend accroître ses exportations à destination du Vieux continent, ainsi que le déclarait son Premier ministre Yaïr Lapid en septembre : « Nous ferons partie des efforts pour remplacer le gaz russe en Europe. »
Israël souhaiterait ainsi remplacer 10% de ce que la Russie fournissait à l’Europe avant l’invasion de février 2022, soit 15.5 milliards de mètres cubes. Or, sans la production de Karish, peu de gaz israélien est en réalité disponible pour le marché européen, rendant son exploitation cruciale.
De plus, le pipeline reliant Ashdod - d’où seraient exportés ces nouveaux volumes - au gazoduc israélo-égyptien devrait être élargi à la mi-2023. Le projet fait écho au protocole d’accord signé en juin 2022 par l’Union européenne avec l’Égypte et Israël. Celui-ci prévoyait l’approvisionnement du marché européen en gaz israélien, liquéfié et transporté par les infrastructures égyptiennes.
Selon Ursula von der Leyen en juin dernier, il s’agit pour l’UE de « mettre un terme à sa dépendance aux énergies fossiles russes. » L’Union a ainsi un grand intérêt dans une augmentation de la production israélienne, face à l’urgence de sa demande énergétique.
TotalEnergies, exploitant et pivot de la nouvelle répartition des champs
Un autre acteur européen pourrait profiter grandement de cet accord : le géant français TotalEnergies. Meneur du consortium d’exploration dans la zone, l’entreprise est pressentie pour explorer le gisement de Cana.
Elle joue également un rôle important dans la négociation de l’accord, en tant qu’intermédiaire. Une partie du champ de Cana se trouve de fait en dehors de la zone économique exclusive du Liban, et l’entreprise versera ainsi une part des futurs revenus d’exploitation à Israël. Un montage qui semble néanmoins dépasser le cadre officiel des négociations, du moins du point de vue d’Elias Bou Saab, vice-président du Parlement libanais : « Il y a eu une entente entre TotalEnergies et les Israéliens, mais nous ne sommes pas au courant de la teneur de cette entente. »
Dans l’attente d’une décision définitive
Si les négociants se réjouissent de la proposition finale d’accord, celle-ci n’est cependant pas encore signée. Michel Aoun l’a reçue dans la matinée, tout comme le gouvernement israélite, et l’on attend l’annonce de son acceptation. Les processus d’approbation, puis de signature, sont également flous.
Le chef de l’opposition israélienne dénonce une proposition qu’il estime revenir à « donner » un « territoire souverain d’Israël » au Liban. Il demande une soumission du texte au Knesset (Parlement israélien), voire au référendum. Karine Elharrar, ministre israélienne de l’Énergie, a également refusé de confirmer la date de signature à la radio, affirmant qu’elle n’avait pas encore été actée.
Un bénéfice limité et des contradictions politiques pour l’Union européenne
Les opposition israéliennes et libanaises ne sont par ailleurs pas les seules à se faire entendre, et déjà en juin, des voix européennes protestaient contre l’acquisition du gaz israélien par l’Union européenne. Inès Abdel Razek, directrice du plaidoyer pour le Palestine Institute for Public Diplomacy, dénonçait alors le soutien indirect aux violations des droits de l’homme et l’oppression des populations palestiniennes en Gaza et dans l’exploitation du gaz produit. Une contradiction politique importante pour l’Union européenne, qui jongle entre crises énergétique et humanitaire.
Par ailleurs, la capacité de liquéfaction égyptienne étant limitée, l’accord ne permettra pas à Israël d’atteindre les 10% évoqués. Pour cela, d’autres voies de transport devront être envisagées, à travers la Turquie ou la Grèce, et la production des champs Léviathan et Tamar devra également s’intensifier.
Les eaux libanaises, nouveau théâtre de l’opposition russo-occidentale ?
Les frontières libano-israéliennes à peine dessinées, on ne peut s’empêcher de se tourner vers la frontière libano-syrienne, contestée elle aussi. En mars 2021, l’entreprise russe Capital Limited Company signait un contrat d’exploration du bloc 1 syrien… qui empiète de 750km2 sur la zone économique exclusive du Liban. La Russie et les États européens se retrouvent ainsi aux frontières du Liban, pays au bord de l’effondrement économique, dans un tir à la corde énergétique périlleux.
Suivre les commentaires : |