Abitur : Vers des épreuves communes en Allemagne ?

, par Marjorie Even

Abitur : Vers des épreuves communes en Allemagne ?
Les élèves allemands n’arrivent pas sur les bancs de l’université avec le même bagage. - Marc Gélinas

Les débats sur le système éducatif allemand sont tout autant d’actualité qu’en France. Parmi les points soumis à controverse, la mise en commun embryonnaire et très partielle des épreuves de l’Abitur, le baccalauréat allemand, traditionnellement différentes selon les Länder, pose question sur les programmes, les méthodes d’enseignement et souligne l’hétérogénéité du niveau scolaire selon les régions.

Les seize Länder allemands, souverains dans le domaine de l’éducation et de la culture

Contrairement à la France, où un ministère de l’Éducation nationale définit les orientations pédagogiques et les programmes d’enseignement, il n’existe pas en République Fédérale d’Allemagne d’institution comparable. Et pour cause, durant la période nazie, l’école était devenue un lieu de propagande privilégié de l’idéologie national-socialiste. Aujourd’hui, chacun des Bundesländer dispose d’un ministre de l’Education et des affaires culturelles.

C’est en 1948 que le système de l’enseignement allemand trouve ses racines [1], c’est-à-dire avant même la création de la RFA et de la RDA en 1949. Les ministres de l’Education et des affaires culturelles des Länder se réunirent cette année-là une première fois, à Stuttgart, sous l’égide des représentants des zones d’occupation. Peu après, les ministres de la zone soviétique n’eurent plus le droit de prendre part à ces réunions ; néanmoins, les ministres des Länder de l’Ouest institutionnalisèrent cette réunion, qui devint « la conférence des ministres [de la RFA] de l’Education et des affaires culturelles » (Kultusministerkonferenz).

Après la Réunification, les ministres des anciens Länder de l’Est prirent à nouveau part à cette conférence. De ce fait, ce sont les seize ministres de l’Education qui coordonnent ensemble le développement de l’enseignement par des décisions et des accords. Un ministère de l’Education et de la recherche existe également au sein du gouvernement fédéral, mais les décisions de celui-ci sont peu contraignantes : les Länder sont libres de les appliquer et les intégrer dans leur législation ou non.

Ce système présente certains inconvénients

Ainsi, chaque Land choisit son programme d’enseignement, combien de temps dure une journée d’école, combien de classes il y a jusqu’au baccalauréat (entre huit et neuf), et surtout quelles épreuves les élèves doivent passer en fin de cursus, et comment ces derniers sont notés. Cela n’est pas sans poser problème lorsque les familles déménagent dans une autre région. En effet, les enfants doivent alors s’habituer à un autre enseignement et à d’autres programmes.

Par ailleurs, cette hétérogénéité se trouve être un inconvénient conséquent lorsque les jeunes diplômés doivent sélectionner leurs études supérieures et le Land dans lequel ils étudieront : les critères de notation étant différents selon les États-régions, les notes que les élèves ont obtenues au baccalauréat ne sont pas objectivement comparables. Le baccalauréat de Bavière étant moins aisé à obtenir, les élèves bavarois ne peuvent obtenir que difficilement des notes très élevées. A contrario, en Saxe ou en Rhénanie-du-Nord- Westphalie, il est dit que l’Abitur est facile à obtenir. Cela met de plus les Länder en compétition. Pendant longtemps, l’État de Bavière n’a pas voulu reconnaître le baccalauréat de Saxe ; aujourd’hui [2], les anciens États de l’Est apparaissent comme étant les plus performants d’Allemagne dans le domaine de l’enseignement et « devraient même montrer l’exemple à d’autres Länder » [3]. On y reconnaît en effet la très bonne prise en charge des enfants dans les jardins d’enfants et le grand panel d’écoles, où l’enseignement est réparti sur l’ensemble de la journée.

Vers un baccalauréat « national » ?

Les avantages à introduire un baccalauréat commun aux États-régions seraient mesurables à plusieurs échelles. Les programmes étant les mêmes, les élèves ne sauraient pas exactement sur quel sujet ils tomberaient : ils devraient alors étudier avec leur professeur, puis réviser l’ensemble des programmes. Les professeurs n’auraient plus à choisir eux-mêmes les programmes et ne seraient donc plus obligés de justifier leurs choix – autant de temps en plus pour la préparation des cours. Un baccalauréat « national » serait également noté de manière objective, la notation devant être la même pour chaque élève, et servant de référence pour l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur. Les professeurs seraient également obligés d’assurer l’ensemble des programmes sans manquement. Enfin, s’il y avait un baccalauréat commun dans l’ensemble de l’Allemagne, les migrations internes des Allemands ne pénaliseraient plus certains élèves.

Ainsi, de telles discussions ont commencé après le classement PISA en 2000. L’Allemagne dut constater qu’elle était mal classée, ce qui fut un choc au sein du pays. Les nations en tête, la Finlande et le Japon, ont un examen de fin d’études uniforme. De ce fait, six Länder ont décidé en 2012 de mettre en commun certaines épreuves de leur baccalauréat : la Bavière, Hambourg, la Mecklembourg-Poméranie Occidentale, la Basse-Saxe, le Schleswig-Holstein ainsi que le Brandebourg. Leurs ministres de la culture et de l’enseignement ont mis en place un système embryonnaire d’harmonisation des épreuves du baccalauréat, en vigueur depuis 2014 [4] dans ces six États-régions [5]. Pour les mathématiques, l’anglais et l’allemand, les professeurs de ces États ont proposé des exercices, que chacun des six Länder peut utiliser pour les épreuves du baccalauréat. On espère ainsi que ce système fonctionnera correctement et qu’il soit d’ici l’année scolaire 2016/ 2017 appliqué à l’ensemble des États-régions.

Entre compromis viable et solution partielle

Il n’en reste pas moins que cette mise en commun d’épreuves est très partielle. Les professeurs ne sont pas contraints de choisir les exercices proposés par leurs collègues, et peuvent donc choisir à la carte les exercices qu’eux-mêmes ont préparés. Par ailleurs, les points sur lesquels les États se sont mis d’accord pour tel ou tel examen ne représentent qu’une facette de l’épreuve : en anglais, notamment, seule l’épreuve de compréhension orale peut être la même dans les six États en question.

Enfin, même si les programmes devraient être harmonisés, il faudrait revoir la notation des exercices : dans certains cas, comme en Saxe-Anhalt, les élèves peuvent décider eux-mêmes du coefficient des matières selon les difficultés qu’ils ont : cela fausse à nouveau les critères de notation entre les Länder. Autrement dit, si les seize Länder participent à cette initiative d’harmonisation d’épreuves d’ici 2016/2017, cela implique qu’ils doivent se réformer à différents niveaux, pas seulement en ce qui concerne les programmes et les épreuves, mais aussi en harmonisant les calendriers de l’année scolaire et la notation des épreuves.

Ce projet d’harmonisation présente quelques points de controverse en Allemagne

 [6]

On redoute qu’un baccalauréat uniforme contribue à instaurer un mauvais climat de travail dans les salles de classe et rende les cours plus superficiels – c’est le point de vue du syndicat Education et Science. En effet, en Allemagne, on prône avant tout le bien-être de l’élève, la réflexion, le débat avec le professeur, la participation orale. Il se pourrait donc, si les programmes sont plus chargés, que les élèves aient moins de temps pour bien maîtriser un sujet et poser des questions.

En outre, les élèves en difficulté auraient probablement des résultats plus bas – et a contrario, un baccalauréat commun à tous n’augmenterait pas les chances de réussite des bons élèves. De plus, cela laisserait moins de place à l’innovation dans les salles de classe, puisque le programme définirait déjà le cadre des cours. Ces questions, en partie culturelles, ne pourront être concrètement élucidées que dans quelques années au fur et à mesure que seront harmonisés dans un premier temps les exercices du baccalauréat.

Ainsi, ce projet de réforme du système éducatif et d’harmonisation des épreuves du baccalauréat en Allemagne est caractéristique des discussions menées au sein d’un État fédéral. Il souligne la difficulté de respecter et protéger la diversité de chaque État fédéré, tout en gardant une certaine cohérence dans l’ensemble de l’État fédéral – un équilibre peu aisé à trouver.

Vos commentaires
  • Le 4 novembre 2014 à 11:20, par Ferghane Azihari En réponse à : Abitur : Vers des épreuves communes en Allemagne ?

    Merci Marjorie pour cet article excellent sur la forme et qui semble très bien relater le débat allemand sur les politiques éducatives. En revanche, sur l’idée d’uniformisation, je ne peux être qu’en désaccord. La concurrence des politiques éducatives permet de faire émerger les meilleures solutions en faisant en sorte que les territoires s’inspirent plus ou moins biens des réussites et des échecs des voisins. Cela confère un certain dynamisme à la réflexion/recherche sur les politiques éducatives.

    Au contraire, la solution unique par le haut étouffe toute possibilité d’innovation et rend le système beaucoup plus figé et moins adaptable aux besoins de notre temps. Plutôt que de s’inspirer du modèle français, l’Allemagne a je crois, beaucoup à apprendre à la France en matière de subsidiarité dans ce domaine.

  • Le 6 novembre 2014 à 22:12, par Jean-Luc Lefèvre En réponse à : Abitur : Vers des épreuves communes en Allemagne ?

    Quel équilibre sauvegarder, d’un Land à l’autre, d’une Région à l’autre..., au sein d’un état fédéral ( la R.F.A., La Belgique...), entre diversité et cohérence éducatives ? Faut-il nécessairement un équilibre ? Faut-il une cohérence ? En l’état actuel des choses, la réponse est clairement non ! Parce que les faits ne le confirment pas : Flandre et Wallonie sont très différentes sur l’échelle Pisa ! Plus fondamentalement, parce que rien, aujourd’hui, n’invite à cette cohérence dans la diversité des autonomies politiques. Et je le regrette ! Dans un ensemble européen d’inspiration fédérale, quand l’O.C.D.E. invite à des hiérarchies de performances, qu’est-ce qui s’opposerait à la définition transversale, et donc communautaire, des valeurs et des objectifs terminaux de l’éducation en Europe, tout en laissant à chaque état la compétence de définir les modalités pour y parvenir ? La subsidiarité ? que nenni ! celle-ci pré-suppose de confier la compétence au niveau le plus adéquat, les plus pertinent, sans exclure la distinction stratégie et tactique. Que la fédération européenne s’empare donc de la première, que les états-nations se chargent de la seconde...L’unité dans la diversité et foin de nos hypocrisies et de nos frilosités !

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