Un triste 12 juillet à Belfast

, par Thomas Ley

Un triste 12 juillet à Belfast

Alors que les « troubles » entre communautés catholiques et protestantes sont contenus depuis l’accord du 12 juillet, qui a mis un frein au décompte macabre des victimes du conflit, chaque 12 juillet refait monter la pression en Irlande du Nord.

La ville de Belfast est encore aujourd’hui séparée en deux par un mur "à la hauteur" du mur de Berlin, symbole d’une véritable guerre froide entre communautés catholique, favorable au rattachement de l’Ulster à la République d’Irlande, et protestante, fidèle au Royaume-Uni. Le mur représente pour eux la “Peace Line” [1] ; quand une ligne de paix sépare les gens de cette manière, on ne peut s’empêcher de penser que ce n’est quand même pas franchement porteur d’espoir.

Le centre-ville présente pourtant tous les signes d’une ville en plein essor, dynamique et festive. Mais les belfastois y vivent la journée, pour rentrer dormir dans leurs quartiers respectifs : Shankill, Sandy Row, ou East Belfast, où l’on arbore fièrement l’Union Jack (le drapeau du Royaume-Uni) et de l’autre côté, dans les quartiers de West Belfast, où est affiché, à l’entrée de chaque maison, "Failte", "bienvenue" en gaélique. Entre les deux, un mur haut d’une dizaine de mètres, dont les deux seuls passages sont fermés les soirs de week-end pour prévenir tout débordement : un mur symptomatique de l’incompréhension entre des citoyens pourtant voisins.

Chaque 12 juillet se tiennent lieu un peu partout en Irlande du Nord les commémorations de la bataille de la Boyne, où Guillaume d’Orange écrasa l’armée de Jacques II le catholique, en 1690. S’en sont suivies pendant des siècles des discriminations criantes envers les populations catholiques. C’est en 1920 que l’Irlande du Nord est définitivement rattachée au Royaume-Uni, et c’est après la seconde Guerre mondiale que le mouvement républicain s’organisera autour de deux branches : l’une militaire, l’IRA, l’autre politique, le Sinn Féin.

à Belfast, la violence des symboles reste tout aussi frappante !

Si les manifestations du "Twelfth" ne donnent plus que rarement lieu à des affrontements directs, à Belfast, la violence des symboles reste tout aussi frappante !

Après avoir écumé les bars de Sandy Row une bonne partie de l’après-midi, après avoir applaudi le "flute band" du quartier, c’est en famille que l’on va admirer les feux d’artifices et les "bonefires". Ces bûchers géants, hauts d’un immeuble de cinq étages, où sont accrochés drapeaux irlandais et autres affiches de campagne du Sinn Fein aux dernières élections (européennes !), illuminent la nuit dans différents endroits de la ville. Ce sont les enfants, après s’en être servis comme terrain de jeux les derniers jours, qui sont montés dessus pour l’asperger d’essence. La foule exulte a chaque drapeau vert-blanc-orange qui part en fumée.

Récit d’une rancoeur festive

Le plus surprenant est sans doute l’atmosphère dans laquelle cette scène se déroule. Alors qu’on pourrait croire que les gens portent la haine sur leur visage, tout se passe, la bière aidant peut-être, dans une vraie atmosphère de fête populaire : on danse sur "Simply the best" ou sur "la Bamba", on reprend en coeur des airs bon-enfant aux paroles agressives (je n’aurai réussi a retenir que celles-ci : "Take my gun my only son, and join the volunteers") [2], on insulte l’Irlande dans un fou-rire. Toutes les générations se retrouvent pour le 12 juillet.

Alors que quelques rues plus loin, les drapeaux irlandais sont affichés au sommet des monuments aux morts, à Sandy Row, on les brûle dans la joie et la bonne humeur. On sent bien qu’il y a du vécu derrière tout ça, un lourd passé, mais cela ne provoque qu’une rancoeur festive, qui, pour le touriste de passage, la rend encore plus sournoise.

Le lendemain matin, c’est une foule considérable qui viendra applaudir l’ensemble des flute-bands protestants de Belfast, qui défilent dans le centre-ville, avant de retourner dans les pubs passer l’après-midi.

En somme, c’est un peu leur 14 juillet, deux jours avant le notre. Mais à cette fête nationale là, ne sont conviés que les protestants. L’autre moitié de la population a fui la ville ou est restée terrée chez elle, n’apercevant que de loin la lueur des bonefires, symbole de leur humiliation.

Pourquoi tant de mépris envers le drapeau irlandais, représentant l’amitié (blanc) entre les catholiques (vert) et les protestants (orange) ? Alors que l’Irlande et le Royaume-Uni sont rentrés ensemble dans les Communautés européennes il y a 36 ans ? Où sont donc la paix et la fraternité de l’hymne européen ? Comment donner un sens a la citoyenneté européenne sur laquelle les deux communautés pourraient se retrouver ?

Non loin du bonefire, on pouvait tomber sur une grande affiche pleine d’espoir, qui rendait le sourire : un enfant soufflant sur un brin de pissenlit... dommage que ce ne soit qu’une publicité ! Malgré tout, même si la méfiance reste encore largement perceptible au sein de la majorité de la population, des initiatives privées ou des projets d’ampleur existent bien, portées par des personnes qui veulent faire évoluer les choses plus vite, et en grande partie financés par le “Programme pour la paix et la réconciliation” de l’Union Européenne (écoles ou centres culturels mixtes, projets transfrontaliers…).

Le 12 juillet a Belfast, c’est la fête populaire de la haine et de la xénophobie légitime. La fête serait pourtant bien belle si elle n’était pas celle d’une communauté contre une autre, si les deux défilaient « hand in hand » [3]. Mais ce n’est pas encore pour tout de suite. Un long chemin reste a parcourir. Le 12 juillet a Belfast, les flammes des bonefires n’ont fait que me glacer le sang.

Illustration : Un bonefire allumé le soir du 12 juillet dans les rues de Belfast

Source : Thomas Ley

Mots-clés
Notes

[1Ligne de paix

[2Prend mon pistolet, mon seul fils, et rejoins les volontaires

[3Main dans la main

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