Un possible réchauffement diplomatique à Cancun ?

, par Margaux Prival

Un possible réchauffement diplomatique à Cancun ?

Du 29 novembre au 10 décembre, les ministres de l’environnement de 194 pays se retrouvent à Cancun, au Mexique, pour la 16e Conférence des parties de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ou COP16. Le but de cette conférence est de fixer les règles de l’après-Kyoto, ce qui n’avait pas été possible à Copenhague, mais aussi de redorer la légitimité des conférences onusiennes entamée par les échecs passés.

Copenhague : un échec à confirmer

En décembre 2009 à Copenhague, aucun accord contraignant remplaçant celui de Kyoto n’a été trouvé, ce que beaucoup ont déploré. Cette perspective sera seulement évoquée à Cancun, mais vraisemblablement un nouveau traité n’y verra pas le jour. Pour autant, ne condamnons pas trop vite la conférence de Copenhague : pour la première fois, la Chine et les Etats-Unis, les deux plus grands pollueurs de la planète mais aussi les plus indisciplinés face à l’ONU, sont entrés dans le jeu des négociations en prenant un engagement chiffré.

Toutefois, ces engagements diplomatiques doivent encore mener à des mesures contraignantes votées au sein des deux pays, or rien n’est moins sûr. D’une part, le gouvernement chinois refuse toute ingérence extérieure pour contrôler sa politique de lutte contre le réchauffement climatique. D’autre part, la grande erreur d’Obama a été de ne pas profiter de sa majorité tant qu’il en avait encore une. Après l’échec des élections de mi-mandat, l’engagement chiffré pris par le Président américain à Copenhague – 17% de réduction des gaz à effet de serre par rapport à 2005 d’ici 2020 – ne passera pas au Congrès. Barack Obama a désormais les mains liées et ne sera pas en mesure de faire des concessions à Cancun.

Pour autant à Copenhague le symbole était là, et il ne faut pas sous-estimer ce que représentent les efforts symboliques pour certains Etats comme la Chine, qui a reconnu être aujourd’hui le premier émetteur mondial de gaz à effet de serre et qui a accueilli, début octobre à Tianjin, l’ultime réunion préparatoire à la conférence de Cancun. Ainsi, selon une analyse portée dans Alternatives économiques : « Les bases d’un nouvel accord international incluant, à la différence de Kyoto, les Etats-Unis et les pays émergeants ont bel et bien été posées à Copenhague ».

C’est donc l’issue des négociations à Cancun qui déterminera si Copenhague doit être vu comme un échec total ou un demi-succès ; car le but des négociations qui ont lieu en ce moment est d’entériner les engagements énoncés l’an passé.

Quels enjeux à Cancun ?

À Cancun, les négociations devraient se concentrer sur trois priorités : la transparence, le financement et la déforestation. Le volet financement doit confirmer les engagements pris à Copenhague pour financer l’aide aux pays en développement dans la lutte contre le réchauffement, en créant un fonds vert redistribuant l’enveloppe prévue de 30 Milliards de dollars d’ici à 2012, puis de 100 Milliards par an jusqu’en 2020. Les sources de financement doivent aussi être précisées.

Alors même que l’on se désintéresse de l’issue de Cancun, loin de faire la une de l’actualité, l’enjeu est de ne pas donner le coup de grâce aux conférences de l’ONU, pour l’instant la seule instance capable de mener des négociations multilatérales sur le climat. Or un tournant a été initié depuis Copenhague et doit se confirmer à Cancun dans la façon d’envisager les négociations et de faire émerger le consensus.

En effet avec Kyoto, et c’est sûrement ce qui a contribué à l’entrée en vigueur tardive de ce traité plus de 8 ans après sa signature, un objectif d’ensemble était décliné en engagements nationaux. À l’inverse, l’approche initiée à Copenhague laisse les Etats pleinement souverains dans la définition de leurs objectifs et des moyens pour y parvenir. Seule une politique des petits pas et des avancées significatives sur des dossiers précis peut sauver tout le processus de négociations. C’est la position adoptée par la costaricaine Christiana Figueres, première femme et première représentante du Sud à diriger les négociations de la CCNUCC. Cette méthode paraît pour l’instant la seule à même d’aboutir à une coopération multilatérale, intégrant notamment la Chine, et préparant l’émergence d’un traité international juridiquement contraignant.

Sortir des préjugés contre la Chine

Dans les négociations sur le climat, revient souvent l’argument suivant : La Chine, pays émergent, a droit au développement et à la consommation au même titre que les autres pays industrialisés. Mais une chose distingue la Chine des autres puissances : sa particularité démographique et les autorités du pays le savent bien.

Shan Sa, romancière française d’origine chinoise, explique qu’une certaine volonté politique est apparue au sein du pays pour protéger l’environnement. Ainsi des mesures draconiennes ont été prises à Shanghai où le gouvernement impose la fermeture des grandes usines pendant plusieurs semaines à tour de rôle, et à Pékin où les voitures ne peuvent circuler qu’un jour sur deux en semaine selon leur numéro d’immatriculation ; enfin dans les grandes villes de plus en plus de fonds d’investissement dans l’achat d’énergie propre voient le jour.

Ces mesures sont significatives mais ne suffisent pas à rassurer l’opinion mondiale sur la Chine, surtout si l’on considère que même avec une réduction de 40% de l’intensité carbone d’ici 2020, la Chine continuera d’émettre avec ses 1,3 Ma d’habitants et une croissance de 8%, 11,7 Ma de tonnes de CO2. Et toute augmentation d’un point de croissance équivaudrait à émettre 1,6 milliard de tonnes de CO2 supplémentaire, un volume comparable aux émissions de l’ensemble de l’industrie européenne.

Que faire alors ? La Chine, contrairement à d’autres pays déjà industrialisés connaissant moins de difficultés internes, fait preuve d’un début de volonté politique sur l’enjeu climatique.

Peut-être ses dirigeants se rendent-ils compte que si le trafic à Pékin est déjà saturé alors que seulement 6% des chinois ont une voiture, alors la croissance du pays devra s’appuyer sur un nouveau modèle. L’Etat chinois, fort si ce n’est autoritaire, sera en mesure d’imposer les changements nécessaires, mais seulement tant qu’il continue de faire miroiter à sa population un large accès à la croissance. Son gouvernement sait que si il ne tient pas cette promesse, il risque un nouveau Tien’anmen. Aussi, loin de défendre l’Etat chinois, lui imposer une révolution verte brutale sur le modèle occidental de la décroissance, pourrait mener à une répression sanglante.

Aussi tomber dans le catastrophisme et la dénonciation des mauvais élèves à l’échelle internationale ne résoudra rien. Les médias et hommes politiques occidentaux, en particulier européens, adoptent un discours moralisateur et alarmiste demandant à chacun de changer son mode de vie. Cela est plutôt habile car toute décision politique ne suffira pas à changer les mentalités. De tels discours, plein de bons sentiments, dissimulent en fait un manque de réelle volonté politique comme en témoigne le dernier remaniement ministériel français avec le démantèlement du « superministère » du développement durable et la disparition du portefeuille climatique.

Ainsi plutôt que d’en appeler à la décroissance qui ne sera acceptée ni par les Etats-Unis ni par la Chine, il faut tout en continuant à prendre des mesures de restrictions, initier un effort de recherche et d’investissement vers les technologies propres. Pour cela, commençons par revisiter le mode d’organisation des sommets climatiques, en donnant une place plus grande aux scientifiques et chercheurs, même si près de 15 000 participants, dont des représentants du monde des affaires, de l’industrie, d’organisations environnementales et d’établissements de recherche, assistent déjà au sommet de Cancun.

Les échecs passés ont montré que les instances institutionnelles ne pouvaient seules prendre en charge le problème climatique, leur rôle doit avant tout être celui de moteur et coordinateur et c’est dans ce rôle que l’Union européenne doit s’affirmer en leader.

L’Union européenne doit pallier le défaut généralisé de volonté politique.

Alors que l’Europe s’était posée en leader impliqué pour le processus de Kyoto aidant à la conclusion de cette accord, à Copenhague la présence de l’UE était peu perceptible à défaut de parler d’une voix unique. Ce n’est pas par hasard si la première secrétaire du PS Martine Aubry a critiqué ces derniers jours l’Europe et la France qui partent en "ordre dispersé" et "sans volonté" à Cancun. La fille de Jacques Delors ajoutait : "les créateurs de l’Europe, les pères de l’Europe voulaient défendre l’idée que les hommes et les femmes sont maîtres de leur avenir contrairement à ceux qui croient au marché ou à la fatalité".

L’Union européenne doit affirmer plus de volontarisme dans une attitude exemplaire, notamment en gardant l’objectif de réduction de 30% des émissions de gaz à effet de serre sans conditions, au-delà des réticences de nombreux états européens et bien qu’étant seule à aller aussi loin dans les engagements chiffrés. Il est temps d’exporter le modèle européen de la coopération renforcée, qui à fait ses preuves, et qui permet d’instaurer une dynamique de progrès au-delà des différents degrés d’engagement des parties prenantes.

C’est l’occasion d’initier une conversion verte susceptible de pallier au défaut du marché de l’emploi de nombreux pays par un effort massif d’investissement créant une demande nouvelle dans les secteurs porteurs. De plus l’Union européenne a la forme organisationnelle la mieux à même de mettre fin à l’ineptie du cumul de politiques publiques atomistes en initiant une articulation entre les domaines d’interventions, faisant pour une fois honneur au concept de développement durable. Cela pourrait débuter avec l’articulation des commissariats de l’énergie, du climat, de l’environnement et de l’industrie.

Alors que tout le monde ne parle que des crises grecques et irlandaises, accusant la zone euro et le système européen au mieux de ne pas savoir gérer la crise, au pire d’en être responsable, il est temps que l’UE s’affirme politiquement et pourquoi pas commencer à Cancun. N’oublions pas que l’UE est le premier donateur mondial et qu’elle contribue fortement à l’enveloppe d’aide à destination des pays du Sud pour lutter contre le réchauffement.

Alors qu’il y a peu Barroso et Von Rompuy se félicitaient des engagements du G20 pour obtenir un accord positif au sommet de Cancun, les dirigeants européens considèrent désormais Cancun comme "une conférence d’étape" mais pas moins une étape importante, et ils ont sûrement raison. À Cancun, l’Union européenne plaidera en faveur d’un accord sur une série de décisions équilibrées qui ouvrira la voie à l’établissement, dans les meilleurs délais, d’un cadre international juridiquement contraignant et à des actions concrètes trouvant leurs fondements dans l’accord de Kyoto et de Copenhague. C’est ce qu’affirment Connie Hedegaard, membre de la Commission européenne chargé de l’action pour le climat et Joke Schauvliege, ministre flamande de l’environnement, de la nature et de la culture, qui représentera la présidence belge de l’UE à Cancun.

Espérons maintenant que les représentants de l’UE, fiers du modèle qu’ils défendent, prendrons les devants pour sortir du consensus mou et de l’entente cordiale, en affirmant leur ambition de leader dans la lutte contre le réchauffement climatique.

illustration : logo du COP16 à Cancun

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