La reconnaissance officielle du nouveau parti d’extrême droite Identité, Tradition, Souveraineté (ITS) a eu lieu au Parlement européen, le 15 janvier dernier. Le Front National, le principal parti d’extrême droite français, en a pris la tête et se retrouve majoritaire avec sept membres sur vingt. On y compte également cinq députés du Parti de la Grande Roumanie, trois Belges du parti flamand Vlaams Belang, deux Italiens des partis néo-fascistes, dont la petite fille de Mussolini, un Autrichien du Parti de la liberté, un Bulgare du parti ultranationaliste Ataka et un Britannique indépendant. Dans son discours de création, Bruno Gollnisch, son président, est resté plutôt modéré prônant « la suppression des frontières entre pays européens », tout en fustigeant l’Europe politique : « nous récusons l’évolution actuelle [d’aller] vers une espèce de super Etat, bureaucratique, très centralisé » [1].
Néanmoins, ITS reste un groupe ultranationaliste et anti-européen dont les membres partagent des idées communes, comme le retour à la souveraineté des Etats, la préférence nationale, l’arrêt de toute immigration, le refus d’intégrer la Turquie et la prévalence des traditions et de la langue nationales. Ils souhaitent en rester à une Europe exclusivement économique, qui ne serait qu’un vaste marché commun.
De longs pourparlers pour en arriver à la création de ce groupe
Cela faisait plusieurs mois que les eurodéputés d’extrême droite étaient en pourparlers pour se regrouper. Depuis l’implosion du groupe Identité/Démocratie suite à l’exclusion de 2 députés italiens, le Front National redevenait une force incontournable pour la création d’un groupe d’extrême droite. Seul problème : ils n’étaient pas assez nombreux. En effet, pour constituer un groupe, il faut être au minimum vingt et venir de cinq pays différents. L’arrivée de la Bulgarie et de la Roumanie au 1er janvier a permis de satisfaire à ces deux critères, puisque leur extrême droite national apportait les 6 députés européens manquant.
Les partis d’extrême droite représentés au Parlement européen n’en sont pas à leur coup d’essai. En 1989, le leader du Front National, Jean-Marie Le Pen, avait réussi à constituer le groupe des droites européennes, mais celui-ci n’avait survécu que cinq ans. Il peut paraître en effet paradoxal que des partis tournés vers la protection de leur frontière, de leurs valeurs et de leur patrimoine et s’illustrant par le rejet de l’étranger, réussissent à s’entendre et à collaborer. Ce paradoxe explique pourquoi depuis 1994, toutes les tentatives pour constituer un parti d’extrême droite à l’échelle européenne aient échoué.
Les souverainistes ont eux aussi réussi à s’unir de leur côté au sein de plusieurs groupements : Indépendance et Démocratie compte vingt-trois eurosceptiques, l’Union pour l’Europe des nations, 44 et la gauche unitaire et la gauche verte nordique, 41.
Le paradoxe de la démocratie
Mais le paradoxe ne s’arrête pas là. Les eurosceptiques, profondément opposés à une intégration européenne poussée, raflent élections après élections, de plus en plus de sièges. Ils profitent de la tribune du Parlement européen pour gagner en visibilité. Cette instance démocratique de l’Union européenne (UE) est le symbole le plus fort et le plus visible de l’Europe politique puisque les traités successifs n’ont cessé d’augmenter ses pouvoirs législatifs et de codécision.
Par conséquent, les membres d’ITS combattent une union politique qui parce qu’elle est démocratique, leur a permis d’accéder aux plus hautes sphères du pouvoir et leur donne aujourd’hui des moyens matériels et la possibilité de s’exprimer. En se constituant en parti, ITS bénéficie désormais de subventions et peut déposer des amendements et des résolutions.
Ce paradoxe existe aussi au niveau national. En démocratie, tant qu’un parti politique, d’extrême gauche ou d’extrême droite, respecte la loi et ne tient pas de propos diffamatoires, racistes ou menaçant la sécurité nationale, il a le droit d’exister. Or, la raison d’être de tout parti est, un jour, d’accéder au pouvoir. La démocratie, que ce soit à l’échelle nationale ou européenne, accepte donc en son sein des formations politiques qui la rejetteraient, en cas de victoire. Car aucun des partis ultranationalistes ne respecte ce qui est au fondement même de l’UE, à savoir des valeurs - la solidarité entre nations, le respect des différences, etc. – et un idéal, la création d’un espace de prospérité uni, ouvert et pacifique. France, Belgique, Pays-Bas, Autriche, Pologne, Slovaquie… Ces dernières années, nombreux sont les pays membres de l’UE à connaître une percée des partis xénophobes, prônant le repli sur soi.
L’Union est-elle menacée ? Il est encore trop tôt pour le dire. Les parlementaires sont divisés sur la conduite à suivre. En tout état de cause, personne ne peut empêcher les membres d’ITS de siéger au Parlement européen, ni les réduire au silence. Les écarter n’aurait pour conséquence que de les stigmatiser, ce dont ils sauraient tirer partie en se posant en victime. La progression des partis extrémistes est le signe d’un vrai malaise en Europe. C’est aux dirigeants européens d’en prendre toute la mesure et de dépasser les clivages pour en combattre les causes. Enfin.
Suivre les commentaires : |