Tziganes, Manouches, Roms : le mouton noir de l’Europe

Vers une prise de conscience de la discrimination qui s’abat sur la plus vaste minorité du continent ?

, par Charlotte Lerat, Horia-Victor Lefter

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Tziganes, Manouches, Roms : le mouton noir de l'Europe

Beaucoup de noms pour finalement désigner un seul peuple. Leur différence ? Ils habitent dans plusieurs pays, d’un bout à l’autre du vieux continent. Arrivés en Europe au XVème siècle, les Roms parlent le romani, une langue proche du sanscrit qui est encore aujourd’hui utilisée.

Appréciés, craints, soumis à l’esclavage ou massacrés par les nazis, les Roms représentent actuellement la plus vaste minorité européenne. A 90% sédentarisés, les Roms sont passés de 5 millions en 1994 à près de 10 ou 12 millions aujourd’hui. Selon les résultats d’une enquête publiée sur le site Internet du programme « Stop Discrimination » de la DG Emploi, Affaires sociales et Egalité des chances, « la moitié des Roms interrogés ont fait l’objet d’au moins une discrimination depuis un an ». L’enquête de l’Union européenne sur les minorités et la discrimination de 2009 (EU-MIDIS) précise en outre que ces 50% de Roms discriminés l’ont été en moyenne 11 fois au cours de l’an passé. Une discrimination tellement présente que 69% des Roms estiment que la discrimination d’origine ethnique ou pour des raisons d’immigration serait courante dans leur pays.

Les Roms, une minorité historiquement présente, tardivement reconnue et encore mal comprise

Les Roms ne sont pas uniquement présents sur le territoire européen, mais c’est là qu’ils sont au cœur de controverses. L’exclusion a en réalité une double cause. Si les Roms sont mis à l’écart par une société européenne souvent mal informée qui les confond aisément avec les Roumains, ils le sont aussi en raison d’une trop tardive prise en compte par les institutions nationales et européennes. Si aujourd’hui la question de leur protection ne fait plus trop débat au sein des ONG, des instances internationales et communautaires, ce ne fut pas toujours le cas.

Il suffit de rappeler la très controversée décision Chapman contre Royaume-Uni, de 2001, de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) de refuser de se porter garante du droit fondamental au nomadisme propre aux Roms alors même qu’un renvoi aux articles 8 et 14 de la Convention, relatifs au respect de la vie privée et familiale et à l’interdiction de la discrimination aurait pu mettre un terme à cette situation. Il a fallu attendre 2004 et sept affaires portant sur ce thème pour que la CEDH reconnaisse pour la première fois le droit au mode de vie itinérant des Roms et pour que ces derniers soient considérés officiellement comme minorité.

Réelle préoccupation communautaire ou coup de pub ?

A la veille de la Journée internationale des Roms du 8 avril, la Commission européenne a publié une première communication sur l’intégration sociale et économique des Roms à laquelle le deuxième Sommet européen pour l’inclusion des Roms d’avril dernier à Cordoue a fait écho. Pour l’OSCE, ces événements de haut rang ne peuvent être que positifs car ils permettent d’attirer l’attention sur la question des Roms et de peser sur l’agenda politique.

Mais ces actes ne restent que des déclarations d’intention. La réaction de Pierre Lellouche en est la preuve. En effet, lors du Sommet de Cordoue, le Secrétaire d’Etat français à l’Union européenne, a souligné l’importance d’une coordination notamment franco-roumaine et d’un contrôle de la Commission sur l’action des Etats ayant la responsabilité du « problème très sérieux de l’intégration de 9 à 12 millions de citoyens de seconde zone ». Dans les faits, de tels propos apparaissent comme étant en total désaccord avec la pratique française des expulsions masquées de Roms, souvent depuis la France vers la Roumanie, sous forme d’ « aide au retour humanitaire ». Un régime qui est consacré aux ressortissants communautaires mais qui s’inscrit toutefois dans la coopération visant à réprimer le trafic d’êtres humains et à endiguer « le risque d’alimenter le racisme et le rejet de l’Europe » , selon Pierre Lellouche, dans ses déclarations au Monde.

Comme l’indique un rapport de la Commission des questions juridiques et des droits de l’Homme de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, publié en février dernier, “les efforts engagés pour améliorer la situation des Roms ont eu jusqu’à présent des résultats très limités. La situation dans laquelle se trouvent les Roms en termes d’accès à l’éducation, à l’emploi, aux services de santé, au logement ou en termes d’intégration sociale reste bien souvent déplorable, voire scandaleuse”.

Une discrimination bien réelle

Au quotidien, les Roms sont l’objet de discriminations tant de la part des Etats que des individus. Cette exclusion peut prendre la forme d’expulsions forcées de Roms de leurs logements dans les bidonvilles notamment en Bulgarie, en Italie, en Serbie, en Macédoine ou encore en Roumanie. La ségrégation scolaire en est un autre aspect. Amnesty International, dans un communiqué de presse du 7 avril dernier adressé à l’Union et aux Etats membres, exige des mesures concrètes afin de « mettre fin à la ségrégation dont sont victimes les enfants Roms au sein du système scolaire et pour garantir le droit des communautés Roms à un logement convenable ».

En Serbie, de nombreuses voix se sont élevées contre les expulsions forcées et les autorités considèrent que la situation s’est quelque peu améliorée même si des efforts doivent être encore faits dans la perspective de l’adhésion à l’Union. Au Kosovo, le contexte est encore différent. Les Roms qui ont dû fuir la guerre ne peuvent plus revenir sur le territoire, ni construire de nouvelles maisons à l’étranger. En République Tchèque, près de 90 000 femmes Roms ont été contraintes à la stérilisation. A cela s’ajoutent les injures, les violences allant jusqu’aux jets de cocktails Molotov dans les maisons des Roms. En Hongrie, les violences racistes pouvant aller jusqu’à entraîner la mort augmentent, symbole d’une montée de l’extrême droite en Europe centrale et orientale.

Les autorités reconnaissent souvent que la situation est mauvaise sans pour autant prendre de mesures qui seraient nécessaires afin de dissiper la haine et les dérives discriminatoires, comme celles véhiculées sur Facebook par la création d’un groupe auquel 85 000 personnes ont adhéré. Selon les rapports des Nations Unies et le Comité d’Helsinki, les discriminations à l’égard des Roms en République Tchèque, Slovaquie et Italie empirent.

Quelques exemples entretiennent l’espoir d’une future intégration des Roms en Europe

Bruxelles a pris conscience de l’urgence de la question Rom. En septembre 2008, un premier Sommet européen consacré à ce dossier a été organisé et a abouti à la création d’une plateforme européenne pour l’inclusion des Roms. Cette plateforme a permis d’ores et déjà d’identifier dix principes de base afin de renforcer l’intégration des Roms. La Commission vient aussi de lancer un projet pilote pour 2010-2012 doté de 5 millions d’euros et relatif à divers domaines tels que l’éducation, le microcrédit ou la sensibilisation de l’opinion publique.

Plus concrètement, Prague a organisé une exposition sur l’holocauste des Roms, des projets de construction de maisons pour les Roms existent depuis douze ans en Hongrie, un maire espagnol a créé une crèche pour les enfants Roms afin de les éloigner des rues. Ces actions constituent l’ébauche d’une intégration des Roms. Il s’agit d’une priorité pour le gouvernement espagnol qui a débloqué 107 millions d’euros pour 2010-2012 afin de « favoriser l’intégration, l’accès à l’éducation, à la santé, à l’emploi, au logement et à la culture des quelques 700 000 Roms vivant en Espagne ». . Mais la coopération entre les ONG et les Etats membres reste encore trop peu développée.

Bruxelles semble avoir pris conscience de la gravité de la situation des Roms sur le territoire européen. Pourtant, les chiffres de la discrimination envers les Roms ne font qu’augmenter au point que certains se demandent si l’Union européenne souhaite réellement mettre fin à cette situation ou si au contraire les Roms vont continuer à représenter les éternels boucs émissaires de la criminalité et le mouton noir de l’Union.

Illustration : Jeune Tzigane aux Saintes-Maries de la mer en mai 2008

Source : Flickr

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