Schengen : le Conseil lance la guerre ouverte aux autres institutions

, par Margaux Prival

Schengen : le Conseil lance la guerre ouverte aux autres institutions
Action menée par la JEF-Allemagne contre la réintroduction des contrôles à la frontière germano-danoise juin 2011-Tous droits réservés à Treffpunkt Europa

Hier, jeudi 7 juin, se tenait le Conseil JAI (Justice Affaires intérieures) de l’Union réunissant les Ministres de l’intérieur des États membres et ceux des quatre autres États parties à la Convention Schengen (Suisse, Islande, Norvège, Liechtenstein). Il a été décidé, à l’unanimité, de changer les bases juridiques du mécanisme d’évaluation de Schengen pour permettre la réintroduction des contrôles aux frontières en cas de circonstances exceptionnelles.

Une décision emblématique du conservatisme européen

Cette décision n’est pas une totale surprise. En réalité, l’histoire commence en avril 2011 : les conséquences du printemps arabe voient l’arrivée de Tunisiens sur les côtes italiennes, Nicolas Sarkozy et Sylvio Berlusconi montent alors au créneau sur le thème de « l’Europe passoire ». Ils obtiennent la réforme de l’espace Schengen et les conditions de rétablissement temporaire des contrôles aux frontières. Un an plus tard, Claude Guéant, Ministre français de l’intérieur, s’associe cette fois avec l’Allemagne. Dans une lettre du 26 avril cosignée avec son homologue Hans Peter Friedrich, évoquant la lutte contre l’immigration clandestine, il demande au Conseil JAI d’étudier la possibilité d’exclure temporairement un pays qui contrôlerait mal ses frontières et ce, sans consultation des autres institutions. Pour anecdote, Hans Peter Friedrich, avait le 9 juin 2011, réagi vivement à la fermeture des frontières danoises en affirmant : « nous ne pouvons accepter que Schengen soit sapé ». Les Allemands se sont sentis après coup un peu honteux de voir leur co-signature révélée dans la presse. Monsieur Guéant n’avait même pas assisté au Conseil précédant mettant en place un comité mixte pour le pilotage de Schengen et comptait bien imposer ses vues quelque soit l’agenda européen. Il soutenait en ce sens les propos tenus le 11 mars par Nicolas Sarkozy à Villepinte, qui menaçait de retirer la France de Schengen si les réformes n’allaient pas dans le sens souhaité. Le gouvernement français espérait à l’époque parvenir à un accord d’ici la fin de la présidence danoise, le 30 juin 2012.

Le Conseil du 7 juin devait donc confirmer un processus enclenché de longue date et c’est bien l’argument des pressions migratoires, notamment la situation à la frontière gréco-turque, qui a appuyé sa décision. A l’unanimité, les États se sont autorisés à rétablir le contrôle aux frontières « pour une durée de six mois pouvant être prolongée de six mois supplémentaires » et à raison « de circonstances exceptionnelles ». Jusque là, le rétablissement des contrôles aux frontières était permis uniquement pour des raisons de sécurité et d’ordre public. C’est ce que vient d’ailleurs de faire la Pologne, en prévision de l’Euro 2012 de football. La nouvelle majorité française qui se heurte déjà au conservatisme économique de ses partenaires européens, n’a peut être pas voulu endosser à nouveau la posture du cancre, en faisant cavalier seul lors de son premier Conseil. Mais la déception est de mise quand, outre les lois du réalisme politique, cette décision intervient unilatéralement, court-circuitant le Parlement européen et la Commission.

Une décision qui signe le règne de l’Europe des États

La Commissaire aux affaires intérieures, Cécilia Malmström, qui comptait sur une « approche constructive » du nouveau gouvernement français n’a pas caché sa déception quant « au manque d’ambition européenne » des Ministres de l’intérieur de l’UE. Suite aux pressions des États, la Commission européenne avait proposé, le 16 septembre dernier, une réforme de Schengen, renforçant le rôle de l’Union européenne dans la gestion et le processus décisionnel (notamment pour le rétablissement des contrôles). Mais avant même la publication de la proposition, l’Espagne, l’Allemagne et la France tiraient à boulet rouge sur la Commission, dénonçant cette gouvernance trop communautaire. Aussi, Cécilia Malmström se savait isolée. Avant que ne débute la réunion du 7 juin, elle affirmait : « Nous ne pouvons pas accepter ce qui est sur la table, car ce n’est pas un mécanisme européen (...) j’espère qu’il n’y aura pas de décision aujourd’hui ».

Mais l’optique du Conseil n’a pas changé et se heurte aussi à celle du Parlement, qui étudie en ce moment les deux volets de la proposition sur le mécanisme d’évaluation et les règles de réintroduction aux frontières. Le 25 avril denier, la Commission Libertés civiles du Parlement, saisie au fond sur cette proposition de réforme de Schengen, avait rendu son avis quant aux règles de réintroduction des contrôles. La rapporteure, Renate Weber, (ADLE, Roumanie) avait alors déclaré : "Aujourd’hui, nous avons clairement indiqué nos limites dans la réforme du régime de Schengen. Nous avons catégoriquement exclu la possibilité d’ajouter des motifs supplémentaires, par exemple de flux migratoire, à des dispositions exceptionnelles déjà existantes (la sécurité nationale et l’ordre public) permettant aux États membres de réintroduire des contrôles aux frontières intérieures". Les textes devaient passer en plénière en juillet. Aussi le 7 juin, le Conseil a décidé de changer les bases légales du mécanisme d’évaluation de Schengen afin d’exclure le Parlement du processus de décision. Il s’en réfère désormais à l’article 70 TFUE qui ne requiert qu’une simple consultation du Parlement, plutôt que l’article 77 TFUE qui pose les bases de la codécision.

Martin Schulz, Président du Parlement européen, a dénoncé cette décision « unilatérale et contreproductive », affirmant que le Parlement continuerait son examen dans le cadre de la procédure législative ordinaire. Il a ajouté que le Parlement n’accepterait pas la réintroduction des contrôles sans la mise en place d’un mécanisme d’évaluation communautaire propre, jugeant de leur nécessité. En effet, Schengen fait partie intégrante des Traités depuis 1999 et pour chaque volets, une base juridique est définie. Depuis Lisbonne, la codécision est renforcée ou devient la procédure ordinaire, concernant l’asile, l’octroi de visa, l’immigration, la libre circulation et les vérifications aux frontières.

Les principaux groupes politiques se sont indignés de la décision du Conseil. Verts, PPE, ADLE et groupe S&D ont successivement fait paraître des communiqués dans lesquelles ils dénoncent le populisme de cette mesure. Beaucoup affirment leur volonté de s’en référer à la Cour de Justice, quant au choix de base légale permettant cette décision.

Le sujet a déjà été ajouté en urgence à l’ordre du jour de la plénière du Parlement européen à Strasbourg, la semaine prochaine, et la présidence danoise est vivement invitée à venir s’expliquer devant les eurodéputés.

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