Renforcer la démocratie, au moyen d’une assemblée parlementaire mondiale

, par Andreas Bummel

Renforcer la démocratie, au moyen d'une assemblée parlementaire mondiale

Traditionnellement, la politique étrangère, exclusivement reléguée à la branche exécutive des gouvernements, traite des relations entre les États : les traités sont négociés par les représentants des gouvernements et les organisations internationales, telles que les Nation unies, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale ou l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sont de nature intergouvernementale. Cependant, la distinction traditionnelle entre les questions de politique étrangère et de politique intérieure s’est effacée.

L’interconnectivité économique, sociale et culturelle des pays, marchés et personnes est en continuelle augmentation, et des questions de plus en plus nombreuses doivent être traitées au niveau intergouvernemental. Au cours de ce processus, le pouvoir de la branche exécutive des gouvernements s’étend aux dépends de celui de la législature. En effet, les parlements n’interviennent souvent qu’à la toute fin de ce processus, lorsqu’ils sont formellement requis de ratifier les règles négociées par les représentants gouvernementaux. Ces limites croissantes imposées à l’influence parlementaire constituent un aspect fondamental du déficit démocratique mondial. Puisqu’il est impossible de faire marche arrière en ce qui concerne l’élaboration d’importantes réglementations au niveau international, il faudrait plutôt trouver un moyen efficace d’y inclure les représentants élus.

En réalité, il existe déjà une tendance considérable vers une plus grande interaction des parlementaires de différents pays, ainsi que vers la création de mécanismes formels visant à les inclure au sein des organisations intergouvernementales. Il existe aujourd’hui plus de 150 institutions parlementaires. Environ 70 d’entre elles ont été créées après 1999 , tandis que la plus ancienne, l’Union interparlementaire, date de 1889. La catégorie la plus importante est celle des organes parlementaires rattachés à des organisations intergouvernementales, tels que le Parlement européen, le Parlement panafricain ou le Parlement du Mercosur, tous dotés de certains droits formels et fonctions. Si les mérites de ces organes sont largement reconnus, il s’agit d’un phénomène toujours limité aux organisations régionales. Ni le système onusien, ni le FMI, ni la Banque mondiale ou l’OMC ne possèdent un organe parlementaire, ce qui constitue une défaillance pour le moins étonnante.

En 2000, Raymond Forni, alors président de l’Assemblée nationale française, a suggéré une solution évidente, qui verrait l’UPI devenir, à terme, une véritable Assemblée parlementaire auprès des Nations unies . Même si l’UPI entretient actuellement une relation particulière avec l’ONU et de nombreuses agences onusiennes, une majorité de ses membres semble déterminée à ne pas modifier son caractère indépendant en tant qu’organisation de tutelle des parlements nationaux, Cependant, ceci ne devrait pas être considéré comme un obstacle empêchant d’avancer. Par exemple, en juin 2011, le Parlement européen a appelé de ses vœux la création d’une Assemblée parlementaire auprès des Nations unies (APNU), insistant sur le fait qu’elle « serait complémentaire aux organes existants, tels que l’Union interparlementaire » .

En effet, ces deux organes ne doivent pas être considérés comme s’excluant mutuellement. Par exemple, l’objectif de l’UPI en ce qui concerne la dimension parlementaire de la coopération internationale est principalement de renforcer la capacité des parlements nationaux à exercer leurs fonctions de supervision au niveau national à propos de questions de nature internationale. Le but d’une APNU serait au contraire d’exercer des fonctions parlementaires formalisées directement au niveau intergouvernemental.

L’année 2007 a vu le lancement d’une campagne visant à inscrire la création d’une APNU à l’agenda de l’ONU. Depuis, plus de 1 000 législateurs d’environ 100 pays différents (dont à peu près 30 députés français), ainsi que des centaines d’autres individus distingués, ont apporté leur soutien à cet effort. En outre, la création d’une APNU est également soutenue par le Comité des affaires étrangères de la Chambre des communes du Canada, le Parlement panafricain, le Parlement latino-américain, le Parlement d’Argentine, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, le Parlement européen, ainsi que le Parlement du Mercosur.

Si une APNU pourrait initialement être composée de membres des parlements nationaux et régionaux, cette assemblée pourrait à long terme être élue au suffrage direct. Elle devra se voir confier de véritables droits d’information, de participation et de supervision vis-à-vis des Nations unies et d’autres organisations intergouvernementales. Même si une APNU pourrait tout d’abord être exclusivement liée à un organe ou à un processus intergouvernemental, l’objectif serait de la développer pour en faire une assemblée parlementaire formelle, autorisée à traiter avec toutes les institutions existantes de toutes les questions mondiales pertinentes. Les « comités mondiaux de politique publique » suggérés par le Groupe sur les relations entre l’ONU et la société civile dans son rapport de 2004 pourraient constituer un bon point de départ, tout comme le « groupe parlementaire mondial » proposé la même année par la Commission mondiale sur la dimension sociale de la mondialisation. À long terme, l’assemblée pourrait traiter avec différents organes de thèmes et de négociations spécifiques, et ce, de manière efficace au moyen de la création d’une structure appropriée de comités permanents, de sous-comités et de comités d’enquête non permanents.

La sélection de délégués envoyés par les pays à l’APNU devra refléter la composition politique de leur parlement. L’APNU couvrirait ainsi un large spectre politique et permettrait aux membres de partis d’opposition d’être également représentés. Les délégués ne seraient pas groupés par nation mais par opinion politique, comme c’est déjà le cas au Parlement européen. Ceci permettrait d’encourager des débats substantiels et sincères, non pas axés sur des intérêts nationaux étroitement définis, mais présentant une véritable substance politique. Les délégués voteraient individuellement, car il n’y aurait pas de blocs de vote nationaux. Le nombre maximum de représentants serait sans doute d’environ 900, la taille de la population étant généralement considérée comme le principal facteur pour déterminer le nombre de représentants par pays. Cependant, cette représentation proportionnelle directe permettrait à quelques grands pays de dominer l’assemblée, la solution est donc de proposer une répartition progressive des sièges. Les modèles que nous avons analysés montrent qu’une majorité de délégués proviendrait de démocraties électorales.

Les options juridiques auxquelles recourir pour établir une première version de cette assemblée sont soit un nouveau traité international indépendant ; soit l’article 22 de la Charte de l’ONU, qui autorise l’Assemblée générale de l’ONU à créer des organes subsidiaires, et ce sans qu’aucune modification à la Charte de l’ONU, difficilement réalisable actuellement, ne soit requise.

Au fur et à mesure, l’APNU pourrait évoluer pour devenir un important agent transnational œuvrant à renforcer le droit international, la démocratie et le bien-être de tous.

L’un des principaux sujets dont une telle assemblée pourrait traiter serait la réforme de l’ONU et du système intergouvernemental. S’il est presque universellement reconnu que ce système a besoin d’être profondément restructuré, force est de constater que, plus de deux décennies après la fin de la guerre froide, les gouvernements sont incapables d’accomplir cette tâche eux-mêmes. Une APNU composée de délégués indépendants pourrait justement s’avérer la solution nécessaire pour sortir de cette impasse.

Depuis plus d’un siècle, la question portant sur la manière d’étendre la participation parlementaire au niveau mondial fait l’objet d’un débat. Il est temps de prendre une initiative sérieuse à ce sujet.

Article paru dans la revue Fédéchoses, de Presse Fédéraliste

Mots-clés
Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom