Recherche européenne : objectif 2020

, par Maël Donoso

Recherche européenne : objectif 2020

À travers l’Espace européen de la recherche, l’Union européenne veut se doter d’un programme scientifique et technologique ambitieux, et atteindre l’excellence mondiale. Mais pour cela, utilise-t-elle les bons outils ?

Adopté par le Conseil de l’Union européenne le 2 décembre 2008, le document présentant une « Vision 2020 pour l’Espace européen de la recherche » est l’occasion de revenir sur les enjeux de l’Europe scientifique et technologique. Dans une société en transition vers le développement durable, la promotion d’une politique de recherche ambitieuse est devenue une question de première importance, avec des répercussions dans tous les secteurs de l’économie. La stratégie européenne dans ce domaine est-elle actuellement à la hauteur de l’enjeu ?

Un nouveau document, une ancienne stratégie

Le document adopté par le Conseil rappelle pour commencer les fondements de la Stratégie de Lisbonne, visant à faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde. Il insiste sur le rôle essentiel de l’Espace européen de la recherche, et la libre circulation des chercheurs, des connaissances et des technologies. Il ébauche pour finir un scénario de futur où le triangle de l’enseignement, de la recherche et de l’innovation serait renforcé, et où la société de la connaissance ouvrirait la voie au développement durable à l’échelle européenne et mondiale.

Cet exercice de récapitulation et de projection est salutaire. Le document insiste, très justement, sur les liens étroits entre la recherche et l’innovation économique, et propose des solutions à long terme pour développer la recherche en Europe. Ces solutions, cependant, sont loin d’être neuves. En dernière analyse, la « Vision 2020 pour l’Espace européen de la recherche » reprend presque entièrement les objectifs de compétitivité, d’optimisation et de coordination déjà présents dans la Stratégie de Lisbonne. Elle reste parfois assez vague, et n’apporte pas de réelle nouveauté par rapport à la stratégie Lisbonne Plus imaginée par Laurent Cohen-Tanugi. Faut-il s’en satisfaire ?

Lancer de grands chantiers scientifiques européens

Tout dépend de l’usage à faire de ce document. Pour guider la construction administrative de l’Espace européen de la recherche, ces propositions restent une très bonne base. Pour rapprocher les citoyens de la recherche européenne et en assurer une promotion effective, elles sont utiles mais insuffisantes. Ces propositions concernent en effet des questions administratives et institutionnelles liées à la recherche, mais n’évoquent pas une seule fois un chantier scientifique concret, ou un domaine particulier à développer. Or, que reproche-t-on à l’Union européenne ? D’être trop bureaucratique, trop technocratique, et trop éloignée de ses citoyens.

Ce document n’a peut-être pas vocation à aborder des choix scientifiques et technologiques concrets. Mais qui, au sein de l’Union européenne, est compétent pour le faire ? Le septième programme-cadre pour la science et la technologie existe, mais sa visibilité auprès des citoyens est pour le moins limitée. Aux États-Unis, la NASA a réussi à susciter un immense intérêt populaire au temps des missions lunaires, et reste aujourd’hui encore le fer de lance d’un programme spatial fédérateur. Malgré son potentiel scientifique et technologique exceptionnel, l’Europe n’a jamais réussi à susciter un engouement comparable autour de ses propres projets.

Isolé, aucun pays européen n’atteindrait la masse critique nécessaire, en termes de laboratoires et d’industrie technologique, pour mener à bien de grands projets comme ceux de la NASA. Mais même réunis au sein de l’Union, ces pays peinent aujourd’hui à fédérer les compétences scientifiques européennes autour de grands projets. Il existe certes des exceptions, le CERN étant la plus brillante. Mais dans l’ensemble, l’Europe semble encore hésiter à lancer de grands chantiers scientifiques. Et si le moment était venu de surmonter cette hésitation ?

Fonder une gouvernance européenne de la recherche

Définir les contours de l’Espace européen de la recherche est indispensable, mais cela ne suffira pas. À mesure que les enjeux de la recherche se déplacent du niveau national au niveau européen, les États membres perdent une grande partie de leur pouvoir d’initiative pour orienter la science et la technologie. Mais si cette perte de gouvernance nationale n’est pas compensée par une gouvernance européenne, le réseau scientifique européen risque bien de tourner en vase clos, et se contenter de suivre les grandes tendances internationales au lieu de les anticiper. Il gagnera peut-être en efficacité, mais il perdra en initiative.

Il devient donc nécessaire de fonder une gouvernance européenne de la recherche, c’est-à-dire de décider au niveau européen des futures directions de la science et de la technologie, dans la perspective du développement durable. Puisque la recherche se jouera désormais à l’échelle de l’Europe, les citoyens doivent avoir leur mot à dire, via la Commission européenne et le Parlement européen, sur les choix concrets qui seront réalisés. Cela suppose également qu’il existe, à l’échelle européenne, une force de proposition dans le domaine de la science et de la technologie.

Oublions un instant les défis administratifs et institutionnels, et fixons-nous de véritables objectifs. Lancer une mission habitée vers Mars. Développer la fusion nucléaire. Vaincre le cancer. Sauvegarder le génome des espèces menacées. Relier les métropoles par des trains magnétiques. Construire l’ordinateur quantique. Comprendre le cerveau humain. Réfléchissons ensemble aux futures aventures de la science européenne. Et n’ayons pas peur de faire de véritables choix, car si ces décisions ne sont pas prises au niveau européen, personne ne les prendra.

La construction d’une Europe politique suppose que toutes les responsabilités stratégiques importantes passeront au niveau européen, y compris celle de définir les objectifs scientifiques et technologiques du futur. Si nous voulons poursuivre sur cette voie, il nous faut assumer ces responsabilités et préparer une gouvernance européenne de la recherche.

Illustration : photographie d’un neurone marqué à la protéine fluorescente GFP. Source : Wikimedia.

Vos commentaires
  • Le 17 janvier 2009 à 06:49, par Martina Latina En réponse à : Recherche européenne : objectif 2020

    Merci pour cette présentation claire et documentée. L’Espace européen de la recherche doit d’autant plus se constituer que l’architecture européenne de l’enseignement supérieur, lancée par le processus de Bologne en 1998, prend forme avec autant d’efficacité que de rapidité. Nous espérons donc que dans cet Espace une place importante est réservée aux matières linguistiques (surtout que les langues en seront l’indispensable outil quotidien), littéraires et de sciences humaines qui, pour être moins spectaculaires, tissent la réalité culturelle et avant tout l’évolution intellectuelle de l’Europe toujours en marche.

  • Le 17 janvier 2009 à 11:35, par krokodilo En réponse à : Recherche européenne : objectif 2020

    Martina Latina, je crois que vous vivez dans l’illusion : l’Europe qui se construit, notamment celle de l’enseignement supérieur et de la recherche, sera, est déjà totalement anglophone, à l’exception peut-être du domaine juridique - pour l’instant... puisqu’en France on parle d’imposer l’anglais au concours d’entrée de la magistrature.

    « The findings above bring the European coordinator to formulate recommendations ;(…) Introduce English as »langue véhiculaire« for all services related to port approach and operations. » Luis Valente de Oliveira, European Coordinator for Motorways of the Sea – Priority Project 21 (0ct 2008) http://ec.europa.eu/ten/transport/coordinators/index_fr.htm

    Pourquoi pas, si vraiment les peuples veulent enrichir la GB et créer une noblesse de langue, celle des native english ? Mais il faudrait au moins que les Parlements en discutent, qu’on cesse de mentir aux citoyens au sujet de la diversité linguistique, richesse et socle de l’Europe. Or, tout se fait dans le mensonge, en douce, et ne sera officialisé que lorsqu’on dira, faussement innocents, mais c’est naturel, ça s’est fait comme ça ! Le service du plurilinguisme n’est ne fait qu’un service de propagande destiné à déformer la réalité et cacher l’évolution vers une Europe anglophone dans toutes les coopérations professionnelles. Seul le Parlement gardera une minuscule diversité linguistique, malgré le travail des traducteurs et interprètes. Toutes les sommes consacrées à cet absurde service du plurilinguisme devraient d’ailleurs être transférées à la traduction.

    Une autre Europe est possible, respectueuse de la diversité linguistique, qui favoriserait l’espéranto comme langue véhiculaire, équitable pour tous et largement plus facile, mais qui, dans ce monde du lobbying et de la force, se soucie d’équité ?

  • Le 17 janvier 2009 à 12:44, par Maël Donoso En réponse à : Recherche européenne : objectif 2020

    Merci Martina Latina pour ce très juste commentaire. Il est certain que le développement de la recherche en Europe ne doit pas se limiter aux sciences expérimentales, et que les domaines extrêmement riches des langues et des sciences humaines pourront eux aussi profiter des ressources de l’Espace européen de la recherche.

    Krokodilo, la référence à l’espéranto me fait penser que j’évoque (très brièvement) les avantages de cette langue dans la partie 2/3 d’un article à paraître. Cet article, un peu science-fiction, concerne la possibilité de fonder une nouvelle capitale pour l’Europe, et devrait normalement être publié sur le site le 28 janvier. Pour ne pas surcharger un texte déjà long, je n’ai fait que survoler la question linguistique, mais l’espace de commentaire pourrait être utilisé pour en débattre de manière plus approfondie.

  • Le 17 janvier 2009 à 15:02, par krokodilo En réponse à : Recherche européenne : objectif 2020

    Maël Donoso , Pas de problème, on attendra le 28 ! Mais, sans préjuger de ce que vous écrirez, je peux déjà faire remarquer qu’une nouvelle capitale me paraît relever du symbolique, alors que la question linguistique est éminemment pratique, quotidienne, et aussi importante que dissimulée. De plus, la capitale, c’est déjà d’une certaine manière la ou les villes des parlements.

  • Le 17 janvier 2009 à 15:33, par Jacques En réponse à : Recherche européenne : objectif 2020

    Tout a fait d’accord avec le commentaire de krokodilo. Qui comprendra que nos langues sont une richesse et non un handicap ?

    Bien sûr, nous avons besoin d’outils de communication communs. Jusqu’au XVIIème ou XVIIIème siècle les scientifiques européens communiquaient en latin. Ils ont fondé dans cette langue le monde moderne (politique, économique, scientifique...) que nous connaissons. Mais de « grands esprits » ont considéré cela élitiste et crié haro sur le latin. Vive l’égalitarisme... par le bas ! Et l’anglais impérialiste n’a eu qu’à prendre la place : la nature a horreur du vide !

    Pendant ce temps notre république jacobine, peut-être pas très sûre de sa légitimité populaire, ou plus simplement ne voyant pas plus loin que le bout de son nez, a craint que trop de diversité nuise à l’unité. Alors nos gouvernants des XIXème et XXème siècles ont crié à nouveau haro sur les langues régionales. Résultat : les langues régionales sont mortes et le français n’y a rien gagner qui, après plus d’un siècle de scolarité obligatoire, se voit trop souvent malmené y compris par des gens dits « cultivés » ayant bénéficié de l’école jusqu’à 25 ans ou plus ; français dont l’avenir suscite bien des craintes... fondées ou infondées, c’est l’avenir précisément qui en décidera, mais bien réelles au présent.

    Peut-être verra-t-on alors, dans une ou deux générations, quelque ministre de l’éducation nationale « européen » prôner benoîtement des épreuves de français, ou de roumain, grec, hongrois... comme matière à option au baccalauréat des années 2060... en arguant de l’utilité de maintenir cet idiome en voie de disparition. On défendra alors les vertus de la diversité culturelle, comme on défend aujourd’hui (mollement ? trop tard ?) celles de la diversité biologique. Peut-être certains suggèreront-ils de garder dans quelque blockhaus des spécimens de locuteurs ès langues d’Europe, ou d’ailleurs !...

    Oui, la richesse de l’Europe, c’est pour une grande part l’originalité historique de ce mélange entre un fond culturel commun et la diversité de son expression. A mon humble avis, ils porteront une lourde responsabilité ceux qui, oublieux de notre devise « Unie dans la diversité », préconisent, encouragent, ou « laissent aller » vers l’uniformisation. Sans doute est-il trop tard pour le latin... alors mieux vaut l’esperanto qu’un sabir anglo-saxon où tout le monde aura à perdre.

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