Reach - Episode 2 : les industriels contre attaquent

Rien ne se perd, rien ne se crée, Reach se transforme

, par Mehdi Drici

Reach - Episode 2 : les industriels contre attaquent

D’un côté, l’industrie chimique, première industrie européenne. Le fer de lance de la recherche et de la croissance européenne. De l’autre, Greenpeace, la WWF, qui comptent parmi les ONG les plus puissantes au monde. Lieu d’action principal : Bruxelles, avec ses 15000 lobbyistes. Au centre : la règlementation Reach qui a offert entre 1998 et 2006 (vote du règlement) à l’ensemble de ces acteurs l’occasion d’une véritable guerre d’information.

Après les explications générales du premier épisode, entrons dans les arcanes de la règlementation. Dans ces recoins pas nets où s’est joué le véritable impact de Reach.

Vers un principe de substitution ?

Le processus Reach a été long et a permit le développement d’arguments, de contre-arguments, d’études, de contre-études, de décisions, et de contre-décisions. Pour au final, l’énonciation de grands principes réduits à leur plus simple expression. Ainsi, l’une des avancées essentielles de Reach concerne les substances les plus dangereuses et polluantes. Elles seront soumises à un encadrement strict pouvant aller théoriquement jusqu’à une interdiction, sauf (et c’est ici que commencent les substantielles subtilités) si l’entreprise parvient à démontrer que les risques sont soit maitrisés, soit que les avantages socio-économiques l’emportent sur les risques, et ce sans substitution possible. Cette balance risques/avantages socio-économique a déjà permit à l’amiante, aux dioxines de subsister pendant des décennies. Qu’en sera-t-il des nouveaux polluants ?

La réponse appartiendra à l’ECHA, responsable de l’évaluation. Autre innovation de Reach, l’obligation faite aux industriels de trouver des alternatives chimiques aux produits les plus dangereux, était une avancée considérable pour la sécurité sanitaire. Une perspective enrichissante pour la recherche et le développement et qui pouvait contrairement aux avis les plus pessimistes donner à l’Europe une longueur d’avance dans la chimie responsable. Cependant, exception par exception, ce principe est devenu une coquille quasi-vide.

La machine à propagande chimique

Le résultat final du texte voté en 2006 est bien loin des espoirs qu’il avait suscité auprès des promoteurs d’une chimie responsable et respectueuse de l’environnement. Ce jusqu’à la livraison du Livre Blanc sur l’avenir de la politique de la chimie en 2001 avalisé par la Commission et le Conseil. C’est à partir de là que les industriels fédérés par le CEFIC [1] réagissent. La machine d’influence entre en ordre de marche : séminaires pour évoquer l’importance de la chimie, ses emplois pour la recherche européenne, et surtout une bonne once de désinformation grâce à des études avançant des chiffres pour le moins farfelus. Selon ces études, Reach anéantirait la chimie européenne, à cause d’un coût financier et humain faramineux.

Ainsi, une étude réalisée pour l’UCI (Union de Industries Chimiques, France) en 2003 par Mercer Management Consulting prévoyait une diminution de 3,2 % du PIB européen et une perte de 670 000 emplois. Avant de ramener ces estimations à une baisse de seulement 1,6 % du PIB et de 360 000 emplois dans une version finale. Bruxelles a bien opposé ses propres estimations : un coût pour l’industrie chimique européenne de 2,3 milliards d’euros sur 11 ans soit à peine 0,05 % de son chiffre d’affaires annuel, tout en prévoyant un gain d’une cinquantaine de milliards sur trente ans en dépenses de santé, notamment grâce à la réduction du nombre de cancers, d’allergies et de maladies respiratoires. Mais ses moyens sont limités face aux armadas chimiques européennes et américaines.

Bien que les coûts estimés par des sources sérieuses, restent tout à fait raisonnable du fait du délai de plus d’une décennie, et du partage des coûts entre entreprises qui importent ou produisent la même substance chimique, ces estimations légitimés par un sceau scientifique ont considérablement pollués les débats et ont irrémédiablement influencé commissaires et députés européens jusqu’au vote final.

La validité des tests en question

Au premier rang des coûts se trouvent les tests, censés valider l’innocuité (ou non) des substances. Mais quel(s) type(s) de test(s) ? La variété des substances en cause implique évidemment une multitude de tests différents. Cependant, on dénote en gros deux types de tests possibles dans le cadre d’une telle procédure. L’analyse des mécanismes biologiques, effectués notamment sur des animaux mesure la dangerosité intrinsèque du produit. Et le test statistique qui s’applique lui à simuler les risques. Beaucoup plus simple à mettre en œuvre, l’aspect biologique, cancérigène ou allergène à long terme est ici relégué au second rang.

Précision à ce sujet : l’incident lié à la centrale nucléaire de Tricastin du 8 juillet, soit le rejet dans les eaux environnantes de substances radioactives, a amené l’interdiction de la pèche, de la consommation d’eau et de l’irrigation agricole pendant plus de 10 jours. Ce n’était pourtant qu’un incident de niveau 1 sur une échelle de 0 à 7. La dangerosité intrinsèque est bien entendu réelle, mais la probabilité de nuisance individuelle, le risque, lui, est quasi nulle, étant donné l’effet de dilution dans l’environnement.

Ce n’est pourtant pas tant ce problème qui a occupé les débats que la problématique liée aux tests sur les animaux : éviter les sacrifices inutiles, en multipliant les tests pour les mêmes produits. Ainsi, les ONG de défense des animaux comme l’ECEAE (European Coalition to End Animal Experiment) et l’Eurogroup For Animals ont rejoint les industriels dans leur opposition à Reach. Et ont obtenu un compromis satisfaisant : les tests sur animaux seront effectués uniquement en absence d’alternatives. Cette victoire est néanmoins à double tranchant puisqu’elle ouvre le champ aux procédures statistiques, moins chères, moins risquées et finalement moins sûres réalisés néanmoins selon les règles de la Direction Générale Environnement-Chimie de la Commission.

Sécurité sanitaire Vs Compétitivité

Dans le Livre Blanc de 2001, « Stratégie pour une future politique chimique », la sécurité sanitaire et environnementale des citoyens européens apparait au premier rang des préoccupations des autorités. Un premier rang, depuis relégué sous la Stratégie de Lisbonne [2] définie en 2000 et censée faire de l’Union Européenne la zone la plus dynamique et compétitive au monde dans la décennie. Or, un ralentissement économique si faible soit-il de la locomotive industrielle européenne risquait d’anéantir cet objectif. Du moins cet argument porta ses fruits auprès de décideurs sensibles aux situations économiques internes.

La France post 2001 doit rendre des comptes à Bruxelles et ne peut se permettre d’aggraver sa situation économique. L’Allemagne connait également un ralentissement industriel. La locomotive franco-allemande traine la patte et tend l’oreille aux industriels. Dès lors, les idéaux à l’origine de cette législation, principe de précaution, principe de substitution deviennent caduques au regard des intérêts des décideurs politiques au moment du vote final. Aujourd’hui, reste une procédure avec quelques ouvertures pour des substitutions et restrictions. Un choix de société a été fait, semble-t-il, entre la sécurité chimique et l’économie, entre le risque et la précaution.

Entre l’utopie et la real politik. Jusqu’à la prochaine catastrophe sanitaire.

Illustration : image tirée du site de l’Agence Européenne des Produits Chimiques.

A lire : Un dossier complet réalisé par Inger Shörling, député européenne depuis 1995 et rapporteuse pour le Livre Blanc « Stratégie pour une future politique de la Chimie » en 2001

Mots-clés
Notes

[1Acronyme de European Chemical Industry Council.

[2Décidée au Conseil Européen de Lisbonne en mars 2000, par l’ensemble des chefs d’États et de Gouvernements de l’Union, cette stratégie rythme la décennie européenne.

Vos commentaires
  • Le 25 octobre 2008 à 15:20, par krokodilo En réponse à : Reach - Episode 2 : les industriels contre attaquent

    Je n’arrivais pas à envoyer mon message après le 1er article. Je vois que vous avez détaillé les réactions des industriels face à Reach. Bravo. On ne dira jamais assez que la santé publique est le dernier souci des multinationales pour lesquelles seuls comptent les bénéfices redistribués aux actionnaires. Un état ou une UE soucieuse de l’intérêt public est un indispensable contrepouvoir à des Monsanto et autres nuisibles - qui prétendent toujours agir pour nourrir la planète, etc.

    Mon message après le 1er : Bonne idée d’aborder ce sujet, qui peut être présenté comme un succès européen. Mais il est bon de rappeler qu’au départ, le projet concernait l’étude des effets des 100.000 substances environ qui sont dans notre environnement et parfois dans notre corps, sans qu’on en connaisse les effets…, pour aboutir, après installation de critères de tonnages, à 30.000, puis à peine 12500 ! Ce protocole a donné lieu à un influençage (lobbying) intense, notamment par les Etats-Unis qui ont fait une pression terrible au plus haut niveau. C’est donc un compromis, dont on ne sait pas s’il sera réellement appliqué par l’industrie. De plus, les députés européens n’ont pas été fichus d’obtenir la garantie d’indépendance des membres de la future Agence des produits chimiques, ni même la publication volontaire des conflits d’intérêts… C’est donc pour l’instant un bien modeste pas en faveur de l’environnement et de la santé, l’UE reste sous la coupe de l’industrie et du business.

    Par ailleurs, quand vous annoncez le site de l’Agence chimique en 27 langues, il faut savoir que ce n’est qu’une façade, une vitrine mensongère : les documents sérieux ne sont qu’en anglais, comme toujours.

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