Simplement, et en toute modestie, ce règlement est censé cataloguer l’ensemble des substances chimiques circulant dans l’Union européenne, d’évaluer leurs dangerosités et d’établir des autorisations pour les plus préoccupantes d’entre-elles. Rien que ça. Mais est-ce bien vrai ?
Des objectifs ambitieux
De notre entrée dans la salle de bain à l’ouverture du frigo, des nettoyants ménagers à la lecture de notre quotidien préféré et jusqu’aux préservatifs, notre quotidien est pour le moins remplie de substances chimiques, plus ou moins connues et plus ou moins nocives. Les industriels ont un devoir d’information, certes, mais celui-ci concerne davantage les risques d’utilisation, et les précautions d’usage que la dangerosité intrinsèque du produit, son potentiel cancérigène, sa persistance biologique… autant de critères qui peuvent avoir de sérieuses conséquences lorsque l’on est soumis à une exposition fréquente des années durant. Pour interdire, ou du moins réglementer la vente d’une substance supposée dangereuse, la charge de la preuve appartient aux autorités, qui doivent effectuer eux-mêmes les études. Procédures longues, couteuses et en général peu efficace. Reach se propose d’inverser cette charge de la preuve : ce sera désormais aux industriels d’apporter les éléments démontrant l’absence de nocivité des substances mises sur le marché.
Ainsi, le commerce chimique est désormais théoriquement imprégné du principe de précaution. Toute substance devra prouver son absence de nocivité avant d’être mise sur le marché, à défaut de tomber sous une procédure d’autorisation forcément plus restrictive. Ainsi, d’ici à 2018 Reach propose l’évaluation des quelques 30 000 substances actuellement produites ou circulant dans l’Union pour plus d’une tonne par an et par fabricant. Pour les plus préoccupantes (dites « extrêmement préoccupantes »), une procédure d’autorisation sera mise en place qui évaluera les alternatives possibles, l’encadrement des utilisations en mettant en balance les avantages liés à la sécurité sanitaire et environnementaux et les classiques socio-économiques. A partir de là, il s’agit de substituer les substances les plus dangereuses, persistantes et bioaccumulables par de nouvelles moins nocives pour l’homme et l’environnement (avec néanmoins de sérieuses limites, nous y reviendrons). La Commission estime à environ 1500 le nombre de ces substances qui pourrait connaitre une procédure d’autorisation spécifique étant donné leur dangerosité extrêmement préoccupante. Soit une formidable opportunité de recherche et développement pour la « chimie verte ».
Une procédure centralisée
Avant d’en arriver à cette substitution, l’Agence Chimique Européenne est chargée d’informer, de recevoir les dossiers des entreprises, de coordonner les tests, et de leurs proposer des solutions. Du 1er juin au 31 décembre, elle n’attend pas moins de 180 000 dossiers de pré-enregistrements pour environ 30 000 substances. Après 2 mois d’activité [1], on en était encore loin du compte avec un peu plus de 32 000 dossiers déposés (d’après les chiffres fournis par l’ECHA). Et comme souvent, la France est à la traine en matière européenne, notamment face aux pays aux industries chimiques équivalentes, Allemagne, Italie et Royaume Uni. 5ème rang des pré-enregistrements avec 5 % des dossiers contre 30,8 % pour l’Allemagne, 18 % pour le Royaume Uni ou encore 13 % pour l’Italie alors qu’elle se situe à la seconde place européenne en matière de chimie. Il est cependant encore trop tôt pour avancer des résultats définitifs. Résultat de ces dépôts fin décembre. Toujours est-il que les entreprises doivent fournir au cours de ce passage obligé une première série de données avant de les élargir à des informations biologiques et sanitaires pour l’enregistrement en tant que telle. Et ce pour l’ensemble des substances produites ou importées sur l’espace européen à compter d’une tonne par an. Il s’agit là d’une réelle avancée puisque jusqu’à présent, seuls les produits commercialisés après 1981 devaient émettre de telles données.
De l’harmonisation du marché commun au principe de précaution
Jusqu’aux années 1990, les substances chimiques étaient considérés comme des productions commerciales comme les autres, et placés en tant que telles sur l’autel de « l’harmonisation du marché commun ». La libre circulation des substances chimiques est entravée par la multiplicité des règlementations. Très bien, harmonisons pour fluidifier les échanges économiques ! D’où le fait que l’évaluation du risque (il s’agit bien ici de risque et non pas de dangerosité intrinsèque) devait être complète et certaine avant toute règlementation restrictive. L’anti principe de précaution si l’on préfère. Il faut attendre les scandales sanitaires liés au PCB, au CFC, ou encore à la vache folle pour déceler une prise de conscience des décideurs politiques.
C’est finalement le Conseil de l’environnement de Chester en 1998 [2] sous l’initiative des pays nordiques (Suède Finlande, Danemark, Pays Bas, Autriche) qui ouvrira la voie à Reach en proposant d’inscrire les substances chimiques sous la bannière du principe de précaution. La procédure a été longue et on s’en doute conflictuelle entre les industriels, les gouvernements, et les ONG pro-environnement ou pro-animaux. La bataille s’est joué pendant les années de procédure dans les arcanes de la Commission, du Parlement, du Conseil sur des éléments tels que les catégories de substances concernées, le tonnage annuel, les tests… Pour un résultat… ambigu. A suivre au prochain épisode : Au-delà de l’utopie, la real politik.
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