Rapport Gallo : symptôme d’un Parlement Européen schizophrène

, par Maël Brunet

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Rapport Gallo : symptôme d'un Parlement Européen schizophrène

Mercredi 22 septembre en plénière, le Parlement européen a adopté le rapport Gallo. Un texte extrêmement controversé, et qui tranche avec ses prises de positions précédentes sur les questions de protection de la propriété intellectuelle et de droits fondamentaux des citoyens européens.

Rapport Gallo, kézako ?

Portant le nom de sa rapporteuse et eurodéputée française Marielle Gallo (PPE), ce texte regroupe un ensemble de conclusions et de recommandations non contraignantes sur la protection de la propriété intellectuelle dans l’espace numérique (voir l’intégralité du rapport ici).

Mais que contient réellement le rapport ? Difficile de faire la part des choses, tant les réactions des acteurs concernés se font à couteaux tirés, ce qui s’explique par leur sensibilité sur ce sujet, qu’ils soient politiques ou représentants de la société civile (voir notammentle communiqué de JEF-Europe). Dans l’ensemble, il faut noter que les propositions du rapport sont plutôt vagues et ambiguës. En effet, il appelle d’une part à ce que « les consommateurs privés ne soient pas tenus de prouver la légitimité des reproductions de [leurs] produits originaux », mais recommande en même temps l’adoption de « mesures non législatives supplémentaires », qui échapperaient donc au contrôle politique.

De plus, bien qu’il reconnaisse que « les données relatives à l’étendue des atteintes aux droits de propriété intellectuelle sont incohérentes, incomplètes, insuffisantes et éparpillées », il n’hésite pourtant pas à affirmer une « très forte augmentation » du partage des fichiers et un effet négatif direct sur la situation de l’emploi, se basant sur des chiffres provenant d’études commandées par... des acteurs privés du secteur, et qui sont largement contestés. Un texte incohérent, lui-même reflet de l’incohérence du Parlement sur ce sujet.

Retour sur une adoption mouvementée

Malgré le flou et la timidité générale du rapport, celui-ci a rapidement attiré les critiques. Au sein de la société civile, c’est (comme souvent sur ces questions) La Quadrature du Net qui a formé le fer de lance de la campagne contre le rapport, en appelant par deux fois (en comité et en plénière) les eurodéputés à rejeter celui-ci. Une petite polémique a également pu voir le jour quand il a été révélé quelques jours avant l’adoption du rapport que certains de ses soutiens dans l’industrie culturelle avaient très probablement été falsifiés.

Sur le plan politique, une coalition composée des groupes S&D, Verts et GUE a proposé une résolution alternative, elle aussi très vague et peu ambitieuse, mais purgée des éléments les plus controversés. La surprise est cette fois-ci venu des libéraux, qui, quelques jours seulement avant le vote en plénière, ont mis sur la table leur propre résolution alternative, globalement assez similaire au texte proposé par le PPE, coupant par là même tout espoir de « grande coalition » pour faire barrage au rapport Gallo.

Un texte qui tranche avec de précédentes prises de position

Le Parlement européen s’était pourtant jusqu’ici démarqué par ses prises de positions progressistes et ambitieuses sur les questions de protection de la propriété intellectuelle. On se souvient notamment de l’amendement 138 du « paquet télécom », qui a fait couler beaucoup d’encre l’année dernière. Celui-ci visait en effet à rendre impossible la mise en place d’un système automatisé de sanction par coupure des liaisons à Internet, ce qui aurait en particulier invalidé les systèmes dits de « riposte graduée », telle que l’Hadopi française. Ce passage fût finalement retiré du texte (à la demande du Conseil), mais la prise de position du Parlement mérite tout de même d’être saluée.

Plus récemment, à travers la déclaration « n°12 » sur la négociation du traité ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement), celui-ci a envoyé un signal clair au monde entier en dénonçant « l’absence d’un processus transparent et la présence d’un contenu potentiellement controversé ». S’il ne va pas jusqu’à revenir sur ses engagements, le Parlement brouille aujourd’hui son message à travers l’adoption du rapport Gallo, preuve s’il en faut du puissant impact du lobbying dans la politique européenne.

Le Parlement européen, qui s’était jusqu’ici positionné comme un acteur d’avenir pour accompagner et réguler les effets de la révolution numérique sur la propriété intellectuelle, effectue à présent un rétropédalage, en allant à l’encontre de sa mission première : défendre le citoyen européen. Espérons que l’erreur est passagère, et que le tir sera bientôt corrigé.

Ilustration : T-Shirt de la communauté « Stolen Music Sounds Better »

Source : Picasa

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Vos commentaires
  • Le 10 octobre 2010 à 09:45, par Martina Latina En réponse à : ROMPUY, FISCHER, livre numérique et propriété intellectuelle...

    J’attendais des réactions sur ces quatre derniers articles pour faire part de mes propres réflexions, à présent connues par le TAURILLON.

    Que L’EUROPE soit, d’après M. Van Rompuy, entre le navire et la tortue ne fait que rappeler l’enlèvement fondateur d’EUROPE par un fameux TAURILLON et la nécessité de l’accélération pour que L’EUROPE trouve enfin, après trois millénaires, la vitesse de communication inscrite dans les moyens de contact qu’incarnait la même EUROPE.

    Avec M. Fischer, gardons ardemment la jeunesse caractérisant paradoxalement la princesse EUROPE, porteuse du prodigieux désir qui lui fit mettre au monde, paraît-il, la première civilisation occidentale : la minoenne, dont toutes les civilisations européennes sont les héritières, les bénéficiaires, et qui fait de la Crète antique un début absolu.

    Quant au livre numérique, il montre l’inépuisable évolution des caractères phéniciens adoptés par les Grecs en même temps que la légende d’EUROPE : depuis 2700 ans, ces caractères offent à L’EUROPE un caractère démocratique toujours à préciser, réaliser, perfectionner. N’est-ce pas une chance extraordinaire et pourtant commune à saisir ensemble avec une conscience eurocitoyenne enfin éveillée ?

    En suivant l’ordre de publication des excellents articles du TAURILLON, j’en arrive (chrono)logiquement à la propriété intellectuelle : quel plus beau destin pour les idées que de se diffuser discrètement, anonymement, gratuitement et d’autant plus efficacement ? DIE GEDANKEN SIND FREI, répète-t-on en allemand depuis le XIXe siècle ; oui, LES IDEES SONT LIBRES comme le vent, comme l’esprit, et circulent avec autant de force productive. Il suffit de se souvenir certes que l’invention de l’alphabet se réfère à tout le peuple inventif, ouvert et mobile des Phéniciens, mais aussi par exemple de l’étrange sillage tracé par l’Alsacien MANEGOLD DE LAUTENBACH : il conçut au XIe siècle, pour contribuer à résoudre la querelle des Investitures et distinguer le temporel du spirituel, les grandes lignes du contrat social qui se diffusèrent à travers les pensées et les siècles, jusqu’à J.-J. Rousseau qui leur donna tout leur relief révolutionnaire. Les idées sont libres, et notre bien commun est la liberté. Comment l’étendre, l’approfondir et le développer dans le monde actuel, à commencer par l’EUROPE ?

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