Quelle place pour la protection sociale en Europe ?

, par Jérôme Quéré

Quelle place pour la protection sociale en Europe ?
Illustration issue du service audiovisuel de la Commission (P-001334/00-06)

La protection sociale est peu abordée à l’échelon européen. Pourtant, nombre de citoyens européens aimeraient des avancées sur la question. La période de crise actuelle n’est-elle pas le moment opportun afin de débattre sur la mise en place d’un système protecteur des citoyens européens ?

La protection sociale est au cœur des sociétés européennes. Il existe, bien sûr, différents modèles de protection sociale en Europe, mais toutes ont en commun la part prédominante des dépenses publiques et une place beaucoup plus faible des assurances privées. La protection sociale a servi de stabilisateur au commencement de la crise, mais elle est depuis menacée par les politiques d’austérité menée dans différents États membres.

Le rôle de la protection sociale sous-estimée dans la construction européenne

Selon Catherine Flaesch-Mougin, coordinatrice scientifique du Centre d’excellence Jean Monnet à Rennes, « l’Union européenne est souvent plus perçue à travers sa dimension économique et n’a introduit que tardivement la dynamique sociale », même s’il était prévu dès le Traité de Rome de 1957 de favoriser le progrès économique et social. Force est de constater qu’il subsiste de fortes tensions entre les États membres qui empêchent l’Union d’avancer sur cette thématique, bien que cela soit le souhait de nombreux citoyens européens. Certains États membres sont dans une position de complet blocage sur la question, comme le Royaume-Uni. Pourtant, l’article 3 du Traité sur l’Union européenne prévoit comme objectif « le plein emploi », « le progrès social », la promotion de « la justice et la protection sociales ». L’article 153 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que « l’Union soutient et complète l’action des États membres » dans des domaines tels que : les conditions de travail, la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs et la lutte contre l’exclusion sociale.

Le renforcement du dogme néolibéral ? 

D’après Pascale Turquet, Chaire européenne Jean Monnet « Croissance Inclusive et Politique Sociale », « il y a eu un renforcement du dogme néolibéral depuis la Commission Barroso ». On pense aujourd’hui à la « soutenabilité » des dépenses publiques en défaveur des systèmes de retraite, par exemple. On passe à une logique de maîtrise individualisée des risques sociaux, « l’individu est entrepreneur de lui-même », poursuit-elle. Cela entraîne une dynamique dangereuse dans laquelle la concurrence entre les systèmes sociaux s’exacerbent. La forte austérité budgétaire qui s’instaure dans les États membres a un effet négatif pour la croissance en temps de crise, car la protection sociale ne peut plus exercer son rôle de d’amortisseur.

Il est nécessaire de réduire l’endettement des États, mais il ne faut pas les empêcher d’investir pour l’avenir, cela est très dangereux et risque de nous ancrer dans un marasme économique de longue durée. Sur ce point, il faut distinguer la règle selon laquelle « le déficit public ne peut pas dépasser les 0,5% et la règle d’or selon laquelle les dépenses d’investissement ne sont pas comptabilisées dans le déficit » continue Pascale Turquet.

Les systèmes de protection sociale ont permis de diminuer les conséquences négatives de la crise, mais aujourd’hui, l’austérité a des conséquences sociales lourdes. Pourtant, « cette politique n’a pas porté ses fruits en Espagne, où le développement des mesures d’austérité s’est accompagné par une hausse du chômage », rappelle Sébastien Dupuch, membre de la Confédération européenne des syndicats. On aperçoit de récentes brèches dans les discours d’austérité, notamment dans ceux de José Manuel Barroso, qui reconnaît le potentiel néfaste des politiques d’austérité sans accompagnement de mesures favorisant la croissance.

Le nécessaire fédéralisme politique et non le fédéralisme tutélaire actuel

La crise a révélé au grand jour les défauts de la zone euro. Nous disposons d’une monnaie unique mais nous avons des politiques économiques très différentes, car les États n’ont pas voulu coopérer suffisamment sur ce sujet. En conséquence, il était nécessaire d’imposer des conditions strictes sur les déficits et sur la stabilité de la monnaie. La BCE a rempli son rôle sur la stabilité de la monnaie, mais les États, eux, n’ont pas joué le leur sur les déficits en période de croissance.

Pendant la crise, les États ont encore refusé d’avancer vers le rapprochement des politiques économiques, chacun a voulu gérer la situation de son côté. On connaît le résultat. La Commission européenne a donc du renforcer les conditions initiales en contrepartie des plans de sauvetage, pour lequel le consentement de Mme Merkel a été durement arraché. On assiste alors à un « fédéralisme tutélaire », selon Michel Dévoluy, Chaire européenne Jean Monnet « Intégration Économique Européenne ». On nous fait penser que l’Europe est dans la voie du fédéralisme dans la mesure ou elle nous gère en cas de déficit excessif ou de nécessité de plan de sauvetage. La Commission a le rôle de donneur de coup de bâton. Ce fédéralisme tutélaire « décrédibilise l’UE aux yeux des citoyens », poursuit Michel Dévoluy. Il nous faut une réelle UE fédérale, une union politique, avec un trésor public européen, une mutualisation des dettes publiques, au moins pour la zone euro. Sans cela, les dumpings fiscaux et sociaux vont perdurer et l’UE risque de souffrir d’une mauvaise image pendant encore longtemps.

Pour cela, ne comptons pas sur les politiques nationaux pour transférer leurs pouvoirs à l’UE. Comme le dit si bien Michel Dévoluy, « on ne peut pas attendre des dindes qu’elles envoient des invitations pour Noël », on ne peut pas attendre du Conseil européen qu’il avance vers le fédéralisme européen. Seul le Parlement européen, ayant la légitimité de plus de 500 millions de personnes, peut faire avancer l’UE vers ce fédéralisme, en s’appuyant sur la société civile.

Les Jeunes Européens - Rennes ont assisté à la journée d’étude internationale organisée par l’Institut des sciences sociales et du travail de l’Est à l’université de Rennes 2 du 11 juin 2013 intitulée Protection sociale en Europe, protection sociale et Europe. Cette journée particulièrement intéressante à rassemblé des intervenants variés : économistes, juristes et représentants syndicaux.

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Vos commentaires
  • Le 28 juin 2013 à 16:38, par Xavier Chambolle En réponse à : Quelle place pour la protection sociale en Europe ?

    Ah... Ce Dévoluy, membre des économistes atterrés...... Un économiste payé par l’État pour dire à quel point l’État est indispensable dans nos vies et brocarder les « néolibéraux » (dont personne ne se réclame) qui auraient le tort d’être antiétatistes. Un peu comme les scientifiques financés par Monsanto pour expliquer à quel point les OGM c’est trop beau trop bon.

    Bref.

    Concrètement, elle prendrait quelle forme cette protection sociale européenne ?

    Ce serait à la française ? Complexe, avec plein de conditions, parfois tellement rémunératrice que ce n’est plus intéressant de travailler ? (Ceux qui seront choqués par ce dernier point n’auront clairement jamais parlé à des chômeurs) Et coûteux à gérer, en plus !

    Ou bien à la Hayek ? Basique et inconditionnelle ? Son impôt négatif, plus connu sous le nom de revenu universel.

    Et le montant ? 100€ par mois ? Pour le londonien comme pour le gars perdu dans la campagne polonaise ? Se pose donc la question du principe de subsidiarité ! Qui est le plus compétent pour gérer et déterminer le montant de cette protection sociale ? L’Europe ? Le pays ? La région ? La ville ? L’individu (charité) ?

    Enfin, dernière question... comment on finance ça, avec une économie anémique, une dette publique abyssale, et des prélèvements publiques à la limite de l’insupportable dans certains pays ?

    Non parce que moi je ne vois que deux solutions :
     les taxes et impôts d’aujourd’hui, donc prélevé au détriment de plein de choses et en premier lieu des dons des personnes,
     l’emprunt remboursé avec les impôts et taxes de demain, ce qui revient donc à repousser le problème.... aux calendes grecques !

    Bref, un joli plaidoyer, mais concrètement, on fait comment ?

  • Le 2 juillet 2013 à 19:17, par Jacques Duclos En réponse à : Quelle place pour la protection sociale en Europe ?

    La protection sociale n’a aucune place dans la construction européenne, pour la bonne et simple raison que cette dernière est voulue et pilotée par des intérêts (patronat, finance, lobbys, etc) qui ont pour objectif de détruire cette protection sociale.

    Plus le processus d’intégration européenne avancera, plus le peuple sera soumis aux règles de l’ultra-libéralisme qui le paupérisent par la mise en concurrence avec le marché mondial.

  • Le 3 juillet 2013 à 22:26, par Fabien Cazenave En réponse à : Quelle place pour la protection sociale en Europe ?

    A vous écouter, le patronat français n’est pas ultra-libéral... A croire que la CGT ne manifeste jamais contre le MEDEF. De même avec les lobbies, il n’y en a pas en France, il n’y en a qu’à Bruxelles. Affligeant, comme type de « pensée ».

  • Le 3 juillet 2013 à 23:11, par Jacques Duclos En réponse à : Quelle place pour la protection sociale en Europe ?

    Ais-je parlé d’un patronat français d’un côté, et d’un patronat européen de l’autre ? Non, il ne me semble pas.

    Ce qui est en revanche très clair, c’est que le patronat « français » (le patronat, de par sa logique de profit, ne peut en fait jamais vraiment être national quand il constitue une entité privée, comme l’expliquais très bien Georges Marchais à l’époque) appuie et valide la construction européenne, dans la mesure où celle-ci lui donne les moyens de s’affranchir de plus en plus des contraintes que lui ont imposé des décennies de lutte des classes.

  • Le 4 juillet 2013 à 07:44, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Quelle place pour la protection sociale en Europe ?

    M. « Jacques Duclos » : le problème qui vous préoccupe est donc moins la construction européenne en tant que tel que l’orientation politique majoritaire des gouvernements européens et des élus des citoyens européens. Je vous rassure : ce pour quoi nous militons ici est que si les partisans de George Marchais obtiennent une majorité d’élus, ils puissent réorienter les politiques européennes dans leur sens. Mais ça vaut aussi naturellement pour les autres courants politiques. La remise en cause (très marginale ceci dit) des dites contrainte est aujourd’hui le reflet des choix politiques des citoyens.

  • Le 4 juillet 2013 à 12:41, par Jacques Duclos En réponse à : Quelle place pour la protection sociale en Europe ?

    @ Valéry-Xavier Lentz

    Certes, sur le papier, il s’agit du « choix des européens » Mais dans les faits, on peut plutôt faire le constat suivant : les citoyens européens se font systématiquement berner par des politiques nationaux qui leur promettent plus de protection face aux directives de Bruxelles, aux traités, etc. Le dernier exemple en date étant le cas François Hollande, élu essentiellement pour ses promesses faites quant au fait qu’il renégocierait le traité « Merkozy » et s’opposerait à l’austérité et aux marchés financiers. A l’arrivée, il mène une politique exactement contraire à ce qu’il avait promis pour se faire élire.

    Après, si de telles entourloupes politiques peuvent se perpétuer de gauche à droite depuis des décennies, c’est parce qu’il n’existe plus d’opposition puissante et sérieuse à l’ultra-libéralisme et au capital. En effet, quand le PCF était très fort, bien implanté, les élites devaient lâcher du lest pour éviter une « vague rouge » et tout perdre.

    Sinon, j’aurais une petite question, bien qu’elle ne soit pas en rapport direct avec le sujet dont il est question dans l’article. Les fédéralistes européens sont-ils :

     Des « identitaires européens », qui croient en une culture et une identité communes à l’ensemble du continent ? Et dans ce cas, sur quoi se fondent, selon vous, la culture et l’identité européennes (religion, langue, héritage gréco-romain, structures familiales ?) ?

     Ou bien revendiquez-vous votre soutien à une Europe Fédérale qui s’inscrit dans le cadre d’une étape préliminaire vers un fédéralisme à l’échelle mondiale ?

    Cordialement.

  • Le 4 juillet 2013 à 13:05, par Fabien Cazenave En réponse à : Quelle place pour la protection sociale en Europe ?

    Le problème dans votre démonstration, c’est que vous partez d’un postulat faux : il y a aussi des lois sociales protectrices qui sont négociées au niveau européen, notamment dans le choix de la sécurité sociale par exemple (ou sur la parité, ce qui protège les femmes dans le monde du travail).

    Pour vous répondre sur les Fédéralistes : d’une part, nous ne considérons pas qu’une identité soit unique, elle est forcément constituée de plusieurs identités. L’identité nationale et locale n’est pas remplacée par une identité européenne. Les Européens ont des valeurs en commun, on le voit par exemple dans la Charte des Droits fondamentaux. Faut-il pour autant considérer que notre identité est figée dans le temps ? Je ne le crois pas.

    D’autre part, oui, nous souhaitons la mise en place d’un fédéralisme mondial à terme.

  • Le 4 juillet 2013 à 17:14, par Jacques Duclos En réponse à : Quelle place pour la protection sociale en Europe ?

    Bof, la construction européenne détricote plutôt les systèmes de protection sociale :

     Critères de stabilité budgétaire qui obligent à des coupes dans les budgets, avec pour conséquences des réformes néfastes du point de vue social (allongement de la durée de cotisation pour les retraites, basses des aides sociales et des subventions aux plus démunis, allocations, etc)

     Ouverture des frontières et libre circulation des capitaux et travailleurs qui porte un coup à l’emploi et aux conditions de travail et de salaire dans un pays comme la France.

    Quant à la parité, c’est un leurre qui ne règle en rien la question sociale. Les femmes qui bénéficient de la parité sont généralement les épouses et filles des hommes qui sont déjà bien en place dans la société. Pour un travailleur, ça ne change strictement rien d’e^tre exploité par un bourgeois ou oue bourgeoise. Clouscard expliquait très bien ça dans les années 70 déjà, dans sa critique du féminisme comme élément contribuant à éloigner de la lutte des classes.

    Pour ce qui est de l’identité. La charte des droits fondamentaux est un papier signé par des Etats (disons des élites), mais ne reflète pas une réalité culturelle ni sociologique. Alors oui, les identités évoluent. Mais prenons l’exemple des Etats. Même si des différences existent entre des régions et/ou des pans de leur population, il existe généralement quelques caractéristiques communes (langue, religion, structures familiales et sociales) qui font sens (et qui expliquent aussi pourquoi les ensembles multi-ethniques et/ou confessionnels comme l’Autriche-Hongrie ont explosé). Donc de ce point de vue là, pouvez-vous m’établir une liste de quelques critères qui donneraient du sens à une identité européenne ?

    D’accord, vous êtes donc favorable à un fédéralisme mondial. Qui reposerait sur quelle légitimité ?

  • Le 4 juillet 2013 à 17:31, par Fabien Cazenave En réponse à : Quelle place pour la protection sociale en Europe ?

    Sur le fédéralisme mondial : sur la souveraineté des citoyens du monde.

    Sur la protection sociale, votre postulat est encore faux : ce n’est pas l’Europe qui impose qu’un Polonais soit payé moins cher qu’un Français en France. Ce sont des pratiques de patrons qui ne respectent pas la loi, ni française, ni européenne...

  • Le 5 juillet 2013 à 14:02, par Ronan En réponse à : Quelle place pour la protection sociale en Europe ?

    @ Jacques Duclos (nb : si c’est là un « pseudo » d’inspiration communiste, c’est bien trouvé...).

    On pourrait également vous répondre que certains fédéralistes (dont je suis) estiment qu’un projet d’Union politique peut très bien se construire indépendamment même de toute considération identitaire que ce soit ... Mais essentiellement sur des bases civiques (et que c’est précisément là la beauté de la chose, et tout l’intérêt de l’exercice...).

    Et qu’il n’est donc nul besoin de se ressembler à tout point de vue pour accepter de vivre ensemble en bonne intelligence dans un même cadre politique, pourvu qu’on partage les mêmes valeurs civiques (dont on pourrait penser qu’elles ont une valeur universelle..).

    De là, tout débat quant à l’existence de quelque identité européenne, eurasiatique, euratlantique ou euroméditerranéenne (entre autres et par exemples...) est donc une question d’histoire-géographie et de sociologie politique certes intéressante, mais - de par son caractère spéculatif tout de même assez académique - d’un intérêt politique et pratique pour le moins limité.

    Enfin, pour ce qui est du fédéralisme mondial, autant rappeler que le fédéralisme ne préconise pas le regroupement de toutes les fonctions d’exercice (et de contrôle) du pouvoir au même niveau géographique.

    Ainsi, s’il est bien des problèmes qui méritent - en effet - d’être traités au niveau géographique le plus proche (ex : la voirie, le retraitement des eaux, les transports en commun locaux - etc - par les mairies et syndicats de communes par exemple...), d’autres méritent effectivement d’être traités par les régions, les Etats, certaines unions d’Etats ou - pourquoi pas, en effet - par la communauté internationale (pourvu qu’elle existe...).

    Dans ce dernier cas : toutes les questions liées au maintien de la paix et à la justice internationale, au réchauffement climatique, aux migrations internationales, aux trafics illégaux, à la régulation de la finance internationale, à la prolifération nucléaire, à la gestion des « espaces communs » (Antarctique, Océans, Espace, etc), à la protection contre la menace « astéroïdes », etc.

    Et ce, non pas parce qu’on affirmerait - par avance et dogmatiquement- que la Commune, l’Etat, l’UE ou l’ONU c’est forcément mieux par principe. Mais surtout parce qu’en pratique, concrètement, il s’agirait là du niveau décisionnel le plus pertinent pour gérer ces problèmes (et, puisque c’est fondamental, pour essayer d’y apporter des solutions efficaces...).

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