Le concept de nation est problématique dans le cadre d’une Europe fédérale puisqu’il exige que la nation soit souveraine et ne se soumette à aucun échelon supérieur. Plus que la nation, c’est son caractère exclusif revendiqué par les nationalistes qui pose problème. Une personne ne pourrait selon les idéologues nationalistes appartenir qu’à une nation et surtout, il ne pourrait avoir aucunes appartenances sociétales inférieures ou supérieures. On sait pourtant qu’un individu peut appartenir à une ville, à une région, certes à une nation, mais également à une civilisation. On remarque donc que les attaches qu’un individu peut avoir sont multi-échelons.
Le fédéralisme doit s’inscrire en rupture totale avec le nationalisme et doit considérer que les échelons d’identités sont multiples, que se sentir citoyen d’une ville, d’une région ou d’une civilisation est aussi important qu’être membre d’une nation. Surtout, le fédéralisme doit briser l’idéologie dominante consistant à dire que la nation est le seul échelon acceptable autour duquel un Etat doit se former.
Déconstruire l’idée de nation
N’en déplaise aux historiens qui écrivaient au XIXe siècle, la nation est un concept très récent. Il émerge dans le cas de la France à la fin du XVIIIe dans les écrits de certains philosophes. Avant cela et malgré ce que les partis nationalistes clament, la nation française n’existait pas. Le seul liant de la monarchie française était le roi et l’administration mise en place pour gérer les territoires sous sa domination. Il faut cesser de croire que des évènements comme la bataille de Poitiers, ou la guerre de cent-ans sont inscrits dans le patrimoine génétique millénaire de la nation française. Au contraire, la France était alors un assemblage de peuples divers dont les langues divergeaient (langues d’oil et langues d’oc), de même que les histoires ( Bretagne indépendante jusqu’au XVIe siècle, Aquitaine longtemps sous domination anglaise, Alsace terre du Saint-Empire) [1].
La notion de nation a été inventé par les philosophes dans le but de contester l’ordre d’ancien régime qui reposait sur une société d’ordres basée sur la tradition et reposant sur le pouvoir divin du roi [2]. Il s’agissait de substituer à ce modèle un modèle national basé sur l’égalité des citoyens et sur la soumission aux lois expressions de la volonté de la nation. Surtout il s’agissait de substituer à une élite nobiliaire, dont l’appartenance dépendait du sang, une élite bourgeoise qui pâtissait alors de son statut inférieur sous la monarchie d’ordres. On comprend mieux pourquoi la révolution française a été une révolution guidée par la bourgeoisie voulant renverser la société inégalitaire précédente : la nation était alors le concept invoqué pour provoquer ce renversement.
La fin du XVIIIe et le début du XIXe correspondent donc à des moments où la notion de nation se crée. Celle-ci se forme autour de la langue de Paris qui devient le français mais qui n’est alors parlé que par les lettrés et les classes supérieures, les villageois parlant le dialecte de leur région. L’imposition de cette langue comme langue de tous les habitants du territoire sera par la suite l’un des projets de la troisième république française. La nation se forme aussi autour d’une histoire commune, en réalité l’histoire de la maison dominante en France : les capétiens. Les histoires des autres régions comme la Bretagne, l’Alsace ou la Corse sont oubliées et ne seront jamais enseignées sous la troisième république. De même les mouvements alternatifs comme les insurrections fédéralistes de 1793 sont taxées de contre-révolutionnaires ou de traitres et sont discréditées dans l’historiographie républicaine. On « canonise » par ailleurs des personnes qui n’ont rien à voir avec la France actuelle comme c’est le cas de Vercingétorix, de Clovis ou de Charlemagne.
La nation finalement, est une construction dont le but était de proposer un modèle sociétal nouveau à la fin du XIXe siècle et surtout d’imposer une élite nouvelle : la bourgeoisie industrieuse et marchande en remplacement d’une noblesse guerrière et décadente [3]. L’histoire et l’éducation ont d’ailleurs été les vecteurs principaux de l’imposition de la nation. Pourtant il ne faut pas croire que la nation est l’alpha et l’oméga des sociétés humaines, d’autres concepts d’appartenances sociétales ont existé et existent encore, et ceux-ci répondent mieux à un modèle fédéral que la vision orthodoxe de la nation proposée par les nationalistes.
Des modèles de sociétés alternatives
Bien avant que les philosophes des lumières développent le concept de nation d’autres concepts telles que la cité, la tribu, l’ethnie ou encore l’ordre existaient déjà [4]. Si les concepts de tribus, d’ethnies ou d’ordres sont aujourd’hui définitivement abandonnés, d’autres comme le concept de cité ou encore de région permettraient de concilier une appartenance globale : l’Europe, à des appartenances plus locales : nation, région, cité.
On pourrait imaginer que l’Europe soit constituée de cités, niveau sociétal basique, correspondant aux aires urbaines françaises actuelles, de régions définies par des critères historiques et regroupant plusieurs cités, et enfin de nations définies par des critères culturels et linguistiques regroupant des régions. Un tel modèle permettrait en outre de faire parfaitement fonctionner le principe de subsidiarité, essence du fédéralisme. L’Union européenne serait alors la conciliation de la force par l’union et de la liberté par l’autonomie locale.
Ainsi, la cité, regroupant une ville centrale, sa banlieue, et la campagne proche ressemblerait aux cités antiques d’antan. Elle assumerait toutes les compétences liées au local, transports en commun, aménagement du territoire, éducation... Mais en plus, la cité aurait une compétence législative lui permettant d’adopter des lois sur la fixation des impôts locaux par exemple ou bien sur les thèmes de société comme le mariage... Si il est nécessaire de créer un échelon local doté de pouvoirs très étendus c’est parce que cet échelon sera le plus légitime de tous. En effet, au niveau local il est possible d’établir une démocratie directe, permettant à tous les citoyens de voter chaque loi. Une démocratie sans représentants pour confisquer le pouvoir. On peut imaginer qu’il y aurait un maire, mais celui-ci serait alors élu pour un an, il serait un gestionnaire de la cité et non un homme politique professionnel. On peut aussi imaginer que les magistrats soient tirés au sort, mais cela implique alors qu’on en finisse avec la complexité judiciaire actuelle et que les gens soient formés à leur fonction.
Le niveau régional, regroupant plusieurs cités, aurait pour but de permettre aux cités d’un même espace (Bavière ou Bretagne par exemple) d’entreprendre ensemble tous les travaux ayant lien avec la mise en valeur du territoire : gestion de l’énergie, des transports ferroviaires, de l’agriculture... On peut imaginer que chaque cité de la région envoie des représentants à l’assemblée régionale pour gérer ces affaires.
Le niveau national, correspondant pour les grands Etats à leurs frontières actuelles et fusionnant avec le niveau régional pour les Etats comme la Slovaquie serait celui gérant l’aspect culturel et historique du territoire, la politique linguistique par exemple. En principe, c’est un échelon qui n’est pas indispensable, mais l’ancrage de l’idée nationale en Europe rend nécessaire la conservation d’un espace national au sein d’une Europe fédérale.
Enfin, le niveau fédéral européen serait celui des compétences que sont la diplomatie, la politique monétaire ou encore l’armée. Cet échelon suprême ne regrouperait que les compétences ne pouvant être traitées efficacement dans les niveaux inférieurs.
Un tel système a fonctionné durant la république et l’empire romain. Si Rome gérait l’armée et la diplomatie, l’Empire était néanmoins divisé en provinces, et au sein de ces provinces les cités avaient tout pouvoir pour voter leurs lois, faire la police et même battre la monnaie pour certaines. On sous-estime encore aujourd’hui à quel point l’Empire romain était particulièrement décentralisé, c’est d’ailleurs ce qui permit de limiter le nombre de révoltes au sein de celui-ci. Il peut être toujours intéressant de s’inspirer de ce modèle, tout en le rendant réellement démocratique, ce qui dans le cadre de l’Empire romain ne fut jamais le cas.
Aujourd’hui, on critique l’Europe car elle n’a pas de projet, peut-être est-ce simplement que les hommes politiques n’ont pas le courage de guider un projet réellement ambitieux, un projet de société nouvelle.
1. Le 15 mai 2013 à 20:00, par Xavier C. En réponse à : Quelle place pour la nation dans une Europe fédérale ?
Parfaitement ! Parfaitement ! Pour souligner votre propos, rappelons que la guerre de 100 ans ce sont des « Français » contre d’autres « Français » ! Et les « Anglais » craignaient que si leur souverain gagne la guerre, que leur île soit quelque peu délaissée.
Pour ma part je serai tout à fait d’accord avec cette vision des choses, l’Europe des régions, aux compétences clairement définies, respectant strictement le principe de subsidiarité.
À une nuance près.
L’échelon national sera une coquille vide la plupart du temps.
Regardez l’Allemagne. À peu près toutes ses compétences peuvent être transmises à une Fédération européenne. Le reste étant déjà confié aux Länder.
Ou encore la France ! Certains pouvoirs et responsabilités devront être transmis aux régions (éducation, santé, etc.) et d’autres à la Fédération (armée, diplomatie). Que restera-t-il à la France ?
Les seuls États qui ne seraient pas divisés, seraient les petits (Portugal, Pays-Bas, Estonie). Et encore. La Belgique serait naturellement divisée en 3 (Wallonie, Flandre et Bruxelles, capitale de l’exécutif européen, avec Luxembourg capitale judiciaire et Strasbourg capitale parlementaire).
Et tant mieux si ces grands États disparaissent au profit d’une Fédération européenne et des régions : ça évitera de voir quelques pays bloquer ou orienter tout le processus de construction européenne. Regardez comme la France bloque avec la PAC ! C’est indécent.
2. Le 19 août 2015 à 12:14, par bernardodespertador En réponse à : Quelle place pour la nation dans une Europe fédérale ?
Je partage cette analyse pour sa justesse et souhaite la développer, notamment pour la défense, domaine que je connais mieux. Aujourd’hui, nous devons répondre à des problématiques nouvelles, telles celle de l’immigration africaine francophone non contrôlée et qui nous concerne davantage pour des raisons linguistiques et de rapprochement ethnique ou familial. Voici une question plutôt nationale à laquelle l’échelon européen est peu sensibilisé. Il faut donc imaginer un mécanisme permettant aux régions de saisir les instances européennes pour des questions qui les dépassent, et qui permette d’apporter dans tous les cas des réponses adaptées.
3. Le 23 juin 2016 à 06:27, par dav En réponse à : Quelle place pour la nation dans une Europe fédérale ?
Cette vision est un peu simpliste. Détricoter des pays qui ont plus de mil ans pour recréer un espace de régions. Croyez-vous que les peuples accepteront une telle situation, que faites-vous du sentiment d’appartenance qui s’est tissé autour du roman national ? On NE fera pas aimer la construction européenne en détruisant les pays pour ne vivre que sur des confetti. La Mondialisation impose la coopération entre les pays voir le partage de certaine compétence comme la défense et la diplomatie. Mais ce ne signifie pas que les pays n’auraient pas leurs propres politiques extérieures, leurs représentations. Pourquoi empêcher nos pays d’exister à l’International quant aujourd’hui des villes, des régions, des entreprises sans parler des Universités ont des services de représentations Internationales.
Et puis quel est la définition d’une fédération ?
4. Le 29 mars 2017 à 11:32, par Massimiliano En réponse à : Quelle place pour la nation dans une Europe fédérale ?
I Romani dicevano : l’ « appetito viene mangiando ». Domande : 1) In quali Regioni stanziano le Legioni nell’Impero (Super-Stato Europa) ? 2) Chi le comanda ? 3) Qual è la Nazione Hegemone ?
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