Ce président n’existe pas
La première idée fausse colportée par des journalistes mal informés ou paresseux est le raccourci de langage trompeur qui transforme le président du Conseil européen en un président de l’Europe. Non, la présidence de l’Union européenne n’existe pas.
Ce dont il s’agit en réalité c’est de la présidence de l’une des institutions communautaires, le Conseil, comme il existe un président de la Commission européenne et un président du Parlement européen.
Cette présidence est aujourd’hui exercée selon un système de présidence tournante. Chaque État membre voit son gouvernement assurer six mois durant l’animation des travaux du Conseil, dit « Conseil des ministres » [2], et du Conseil européen qui réunit les chefs de gouvernements des pays membres de l’Union européenne (sauf pour la France qui, du fait du régime exotique de la Ve République, envoie le chef de l’État).
Le traité de Lisbonne qui entrera prochainement en vigueur prévoit la création de la fonction de président du Conseil européen. Il s’agira d’une personne physique désignée par le Conseil européen pour une durée de deux ans et demi. Le Conseil « des ministres » conservera pour sa part le système de présidence tournante actuel.
Ce président n’est pas élu
Le mot « élection » est souvent utilisé au sujet de la nomination de ce personnage nouveau venu dans les institutions européennes post-Lisbonne. De fait c’est celui qui figure dans le traité :
Le Conseil européen élit son président à la majorité qualifiée pour une durée de deux ans et demi, renouvelable une fois. En cas d’empêchement ou de faute grave, le Conseil européen peut mettre fin à son mandat selon la même procédure. [3].
Naturellement, quiconque a la moindre familiarité avec le fonctionnement des institutions européennes sait qu’il ne s’agit en réalité que d’une nomination. Le terme "élection" suppose en effet, dans l’imaginaire populaire que je partage, la pluralité des candidatures, la présentation d’un programme, la confrontation des idées dans un débat et enfin un vote devant déterminer le nom du titulaire du poste. À l’évidence, le texte du traité autoriserait une telle démarche mais comme il ne l’impose pas nous savons qu’il n’en sera rien. Il suffit de voir de quelle manière les chefs de gouvernements ont choisis de renouveler le président de la Commission européenne, où pourtant nos élus ont leur mot à dire, pour se rendre compte que pour ce "président" où seuls 27 personnes ont à se prononcer, les choses ne seront pas différentes.
Jean Quatremer le confirmait en écrivant il y a quelques jours sur le sujet : "jusqu’à présent, les nominations (même si l’on parle « d’élection ») aux principaux postes de l’Union ont toujours été décidées dans la plus parfaite opacité, le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement se contentant, in fine, d’annoncer le nom de l’heureux vainqueur d’arbitrages interétatiques aux foules ébahies… " [4] Dans un autre article, le correspondant à Bruxelles de Libération expliquait comment un Sarkozy ferait tout pour éviter un vote (lequel est pourtant la procédure prévue par le traité) en obtenant en amont le choix d’un candidat consensuel.
Le Conseil européen et cette nouvelle fonction de président représentent en effet l’un des pires aspects des institutions de l’Union européenne : il s’agit d’un mécanisme entièrement intergouvernemental, ce système où l’Europe est traitée sur le seul mode de la diplomatie et de la politique étrangère sans la moindre considération pour les mécanismes démocratiques qui ont commencés depuis longtemps à régir le reste des institutions communautaires. Entre le Congrès de Vienne qui partagea l’Europe suite à la défaite de Napoléon et le Conseil européen d’aujourd’hui pas grand chose n’a changé. Les gueux n’ont pas leur mot dire et l’on ne saura comment la décision est prise que par des indiscrétions intéressées.
Ce président n’a pas de pouvoir
Le plus déconcertant dans toute cette affaire est que les missions de ce président du Conseil européen sont particulièrement modestes. Là où l’on s’imagine en entendant la belle expression de « Président de l’Europe », une sorte d’euro-Maison blanche (une maison bleue ?) , on a surtout quelqu’un qui occupera la fonction que les anglophones nomment « chairman », c’est à dire un président de séance, un modérateur, un facilitateur, bref un gentil organisateur :
Le président du Conseil européen :
a) préside et anime les travaux du Conseil européen ;
b) assure la préparation et la continuité des travaux du Conseil européen en coopération avec le président de la Commission, et sur la base des travaux du Conseil des affaires générales ;
c) œuvre pour faciliter la cohésion et le consensus au sein du Conseil européen ;
d) présente au Parlement européen un rapport à la suite de chacune des réunions du Conseil européen.
Le brave homme (quoi que il parait que l’une des trois fonctions clés serait à confier à une femme. Qui vivra verra) aura certes un rôle de représentation extérieure de l’Union pour les matières relevant de la politique étrangère et de sécurité commune mais « sans préjudice des attributions du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité » (sous ce jargon se cache le ministre des affaires étrangères de l’Union européenne).
Une chose est certaine : quand les aliens attaqueront la terre, ils ne commenceront pas par pulvériser le bureau de ce monsieur.
Pourquoi tout ce tintouin autour de la nomination d’un personnage aux pouvoir si limités ? Tout simplement parce que le premier titulaire du poste profitera sans aucun doute du flou dans les esprits sur ce poste (car sa définition dans le traité n’a rien de floue, elle, comme on vient de le voir) pour le faire mousser dans la mesure du possible.
Paradoxe et conséquence de la vraie-fausse élection d’un vrai-faux président
Le pitoyable paradoxe dans cette affaire est que la nomination de ce PCE semble beaucoup plus intéresser les journalistes que celle du vrai président de l’Europe qui est le président de la Commission européenne. Il est vrai que les politiques y contribuent : là où aucun candidat n’acceptait de se déclarer pour la présidence de la Commission, celle qui détiens les vrais pouvoirs, et où nos élus doivent voter une investiture, nous voyons désormais les candidatures officielles commencer à se multiplier (pas encore Jean Sarkozy, mais ça ne saurait tarder). On observe même un début de débat ou de campagne. Richard Laming fait observer à juste titre sur le blog de Federal Union qu’il s’agit là de la mauvaise campagne : The wrong campaign for president.
Naturellement, il ne s’agit pas là d’un complot politico-médiatique, mais plus de l’habituelle médiocrité avec laquelle les questions européennes sont traitées dans les grands médias [5].
La conséquence de ces carabistouilles est que, à nouveau, le débat européen repose sur du vent.
Le public, en écoutant nos éditorialistes discuter de ce président mythologique, s’attend à voir arriver un véritable président de l’Europe, il sera amèrement déçu. Il se demande pourquoi un tel président est nommé derrière des portes closes, au lieu de voir une élection au grand jour, il s’attend à ce que l’Union soit enfin gouvernée efficacement, il ne verra qu’un progrès marginal dans le fonctionnement de l’une de ses institutions, le Conseil européen, institution fondamentalement viciée et non-démocratique : la règle la plus courante du consensus interdit toute initiative significative.
Au final, voici le beaux bâtons tendus aux ultra-nationalistes (ceux que la langue de bois officielle appelle des doux euphémismes « eurosceptiques » ou « souverainistes »). Ce ne sont ni les premiers ni les derniers. En refusant de bâtir une Europe politique et démocratique, l’establishment européiste oeuvre à l’érosion du soutien du public à l’idée européenne tout court.
La bonne nouvelle est que si il y a une chose qui ne choque personne dans cette affaire, c’est bien qu’il y ait besoin d’un président de l’Europe. L’adhésion des citoyens au projet européen reste fort dans la plupart des pays de l’Union et le besoin de voir l’Europe enfin exister en tant qu’acteur de la vie internationale est profondément ressenti. Mais la recherche d’un président pour le Conseil européen ne répondra en rien à cette attente.
1. Le 2 novembre 2009 à 09:27, par Yohan En réponse à : Président de l’Europe : la chasse au dahu
Notre Ve République est peut être exotique mais la France n’est pas pour autant le seul Etat membre à envoyer son chef d’Etat au Conseil européen.
En effet, la vague dichotomie politique intérieure/ politique extérieure est également en vigueur dans certains pays d’Europe centrale, ce qui fait traditionnellement débat en Pologne et Finlande.
En regardant le trombinoscope ou encore la photo de famille du dernier Conseil, tu verras que les chefs d’Etat de Chypre, Finlande, Lithuanie, Pologne et Roumanie étaient présents. Il est vrai que cela ne signifie pas qu’ils étaient tous autour de la table, chaque délégation ne pouvant, en principe, bénéficier que de 2 chaises.
Peut être que le « putch » de Sarkozy lors de la PFUE, exigeant une 3e chaise pour Borloo, a modifié cette pratique...
2. Le 2 novembre 2009 à 12:58, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Président de l’Europe : la chasse au dahu
Les choses ont peut être changé en effet depuis l’élargissement. Merci de cette précision.
Malheureusement le mauvais exemple de la Ve République française et de son bancal semi-présidentialisme de fait a pu faire des émules.
On se souvient aussi du coup de force de Klaus au cours de la présidence Tchèque qui ne faisait pas partie de la délégation de son pays et qui s’est imposé au Conseil européen alors qu’il n’y avait pas sa place. Son rang diplomatique a fait que l’on a pas osé lui refuser d’y participer alors qu’il n’avait rien à y faire. cf. http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2008/10/clochemerle-sur.html
3. Le 2 novembre 2009 à 13:51, par Ronan En réponse à : Président de l’Europe : la chasse au dahu
Bon. Et bien ça me paraît désormais absolument évident : pour l’Union européenne, nos chefs d’Etats et de gouvernements ont - bien évidemment - choisi un modèle résolument confédéral.
Où le Conseil européen (représentation des Etats membres...) écrase de tout son poids (x 27) la Commission européenne (seule institution vraiment communautaire et résolument intégratrice, désormais bien affaiblie...).
Comme quoi les Etats membres prétendent donc à la direction (collective) de l’Union.
Et comme quoi le président du Conseil européen serait donc le « président » (entre guillemets) d’une Union molle, dirigée en sous-main par ses Etats membres : et en tout cas consacré en tant que tel dans les mass-médias (par un raccourci audacieux sur le seul plan des textes, mais - comme on le voit ici - au combien « porteur de sens » sur le seul plan politique...).
Il ne reste donc plus qu’à espérer maintenant que l’Union se s’englue pas durablement dans des conflits de légitimité sans fin entre président du Conseil européen, président de la Commission européenne, président du Parlement européen et M. PESC.
Il est vrai qu’avec des personnalités aussi fadasses de MM. Balkenende, Barroso, Milliband et Jerzy Buzek, on voit vraiment mal (même lorsqu’elles font doublon) qui pourrait bien - de ces quatre là - essayer de faire de l’ombre à l’autre (ou comment on obtient le consensus par la médiocrité...).
4. Le 3 novembre 2009 à 04:32, par Laurent Nicolas En réponse à : Président de l’Europe : la chasse au dahu
D’accord sur toute la ligne avec cet article.
L’utilisation simplificatrice du terme « président de l’Europe » est d’autant plus agaçante que les journalistes continuent d’utiliser le terme de Haut Représentant pour la Politique Etrangère, au lieu de nommer ce poste par son usage et non par son titre : celui de ministre des affaires étrangères (cf. encore et toujours, un article de Jean Quatremer dont je ne retrouve plus le lien...)
5. Le 5 novembre 2009 à 22:36, par Pol_K En réponse à : Président de l’Europe : la chasse au dahu
Soyons d’accord : je suis pour une Europe fédérale.
Cependant, il me semble que ce poste de Président du Conseil Européen a bel et bien un sens. Même si évidemment les médias font mousser la chose en parlant de Président de l’Europe. En réalité, il s’agit de créer un poste de Président classique, sur le modèle des Présidences de beaucoup de Républiques européennes (l’Allemagne par exemple).
Je pense que le Conseil continuera à agir globalement de la même façon, selon des considérations diplomatiques plus que politiques. Sauf que là, ils auront un porte parole, ce qui semble être plutôt positif.
Le défi pour une gouvernance de l’Union est efficace, c’est de trouver un Président de la Commission volontaire et dynamique. Or, les modalités de son élection sont un peu changées avec le Traité de Lisbonne... Le Parlement élit directement le Président de la Commission. Les parlementaires auront donc tout simplement l’avenir de l’Europe entre leurs mains.
6. Le 6 novembre 2009 à 09:23, par Fabien Cazenave En réponse à : Président de l’Europe : la chasse au dahu
Le prochain combat se situe peut-être sur la composition de la Commission européenne car avoir un président de la Commission réellement responsable devant le Parlement, cela signifie qu’il assume totalement la politique menée par son « gouvernement ». Or, là, il ne choisit même pas son équipe.
Remarque qui contre-dit ce que je dis en partie : en France, le Gouvernement en dehors des périodes de cohabitation est souvent composée par le président et non le 1er ministre.
7. Le 7 novembre 2009 à 19:37, par Laurent Nicolas En réponse à : Président de l’Europe : la chasse au dahu
Tout à fait Fabien, le véritable biais démocratique est dans la composition de la Commission. Quand tous se félicitaient de voir le président être obligé de déposer un programme au Parlement et au Conseil, on en oubliait que ceux qui forment l’exécutif européen sont nommés par les Etats suite au marchandage habituel de l’intergouvernemental, dans lequel la compétence des candidats n’a pas toujours rapport avec le portefeuille qu’ils occuperont.
Enorme différence avec la Vème République Fabien : le président de la république est élu au suffrage universel direct. Il n’est pas illégitime qu’il impose ses choix dans la composition du gouvernement. En revanche, même travers en France que pour la Commission : les portefeuilles ne vont pas toujours aux plus compétents. Mais au moins, la nomination ne souffre pas du même biais démocratique.
8. Le 13 novembre 2009 à 16:19, par manac En réponse à : Président de l’Europe : la chasse au dahu
Je me pose une question en lisant cet article. Si le conseil Européen gagne un président, le chef de l’Etat ou de gouvernement du pays qui préside le conseil de l’union Européenne n’aura plus son pouvoir de président du Conseil Européen. Autrement dit, si l’on suit les dispositions des traités, il sera privé de pouvoir au niveau européen (car c’est son ministre des affaires étrangères qui préside le conseil des ministres). Je me trompe ?
9. Le 19 novembre 2009 à 20:45, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Président de l’Europe : la chasse au dahu
Oui car précisément le pouvoir du dit président du Conseil européen est quasi-inexistant. Toutefois il est vrai qu’il n’aura pas de fonction particulière au niveau de l’Union européenne dans le cadre de la présidence, en théorie. Naturellement els différents ministres travaillent sous l’autorité du chef de gouvernement.
10. Le 19 novembre 2009 à 20:46, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Président de l’Europe : la chasse au dahu
Comme souvent le billet très pertinent de Richard Laming sur le sujet A president for Europe
11. Le 9 février 2010 à 07:44, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Président de l’Europe : la chasse au dahu
Les premiers mois de la présidence espagnole du Conseil des ministres démontrent clairement la pertinence de votre observation : M. Zapatero s’efforce en effet de s’imposer sur la photo et de faire de l’ombre au président du Conseil européen. Les gouvernements en refusant de définir un modèle de gouvernance cohérent pour l’Union ont une nouvelle fois fait de la politique de Gribouille.
Suivre les commentaires : |