Pour une realpolitik globale démocratique

Quelques propositions pour une réforme de l’ONU en vue d’un ordre mondial démocratique

, par Fernando A. Iglesias

Pour une realpolitik globale démocratique
Bâtiment des Nations Unies Auteur : wallyg - Certains droits réservés

Ce n’est pas par hasard que le réchauffement global, la prolifération nucléaire et l’explosion de la crise financière ont placé au sommet de l’agenda global la question de la démocratisation des Nations unies. Dans ce contexte global émergent, la servilité et l’impuissance semblent actuellement caractériser l’ordre international représenté par des agences comme le G8, le G20, le FMI, l’OMC et le Conseil de sécurité de l’ONU.

Depuis M. Boutros Boutros-Ghali, les discours des Secrétaires généraux des Nations unies sur les besoins de réforme structurelles de l’organisation qu’ils président ont été l’admission très claire de l’injustice, du manque d’objectivité, de l’élitisme et du caractère non-démocratique du système actuel de la soi-disant gouvernance globale, cet « ordre mondial » dominé par l’Etat-nation, administré par des institutions nationales, ou inter-nationales. Bien entendu, l’expression à la mode de « gouvernance globale » n’est, elle-même, qu’un voile derrière lequel se dissimule une galaxie d’organisations qui ne sont ni transparentes ni responsables devant qui que ce soit.

Néanmoins, toute demande pour que l’ONU soit démocratisée en accord avec le principe « un pays - une voix » doit prendre en considération une question cruciale : à savoir, le déficit démocratique actuel dans le système international qui est simplement le produit de la mauvaise administration antérieure peut-il être corrigé sans abandonner le plan de gouvernance globale national / international, ou, au contraire, est-il intrinsèque à sa structure même, centrée sur l’Etat-nation ? Dans ce dernier cas, il n’existerait pas de solution au déficit démocratique du système mondial sans changer le paradigme de la gouvernance lui-même.

  • des Etats-nations, comme les Etats-Unis dont les buts et les pouvoirs sont globaux ;
  • des organisations internationales auto-choisies basées sur des règles non démocratiques (telles que le Conseil de sécurité de l’ONU) ;
  • des organisations basées sur le principe « un dollar - une voix » comme le FMI et la Banque mondiale ;
  • des organisations internationales basées sur le principe « un pays - un vote » (telles que l’OMC ou l’Assemblée générale de l’ONU) ;
  • des institutions représentatives mondiales basées sur le principe « un individu - une voix » (telles que le parlement mondial théorique).

Il vaut la peine d’examiner le bilan passé des organisations existantes dans chacune de ces catégories et de considérer les changements qui pourraient être nécessaires pour la création d’un ordre global plus démocratique. L’invasion de l’Irak a démontré le chaos qui peut résulter lorsque les Etats-nations agissent comme s’ils étaient les gendarmes personnellement élus pour la paix et la démocratie globales. De la même façon, les organisations globales basées sur des règles non-démocratiques, comme le Conseil de sécurité de l’ONU, ont démontré leur dépendance par rapport à la volonté et aux intérêts de leurs membres les plus puissants et elles sont donc intrinsèquement déséquilibrées et partiales.

Les crises financières récentes, dont les effets boomerang avaient commencé au Mexique, au Brésil, en Russie et en Argentine et qui dorénavant englobent le monde entier, ont conduit à une critique justifiée du fonctionnement du FMI et ont, par conséquent, fourni la preuve évidente de l’inefficacité inhérente au principe « un dollar - une voix » quand il s’agit de trouver une réponse appropriée aux défis de la globalisation. Dans le contexte politique, les méthodes normales utilisées par les institutions économiques tendent, et c’est prévisible, à consolider la concentration du pouvoir entre les mains des plus riches, contrairement aux règles de la démocratie moderne, qui sont basées sur le principe de donner également des droits politiques à la majorité plus pauvre. En fait, si quelqu’un argumentait que le droit de vote d’un citoyen national devrait être proportionnel à sa fiche de paye ou à son compte en banque il y aurait une clameur d’indignation tout à fait compréhensible. Quel sens y a-t-il donc à fonder l’ordre mondial sur un tel principe ?

En opposition avec le principe « un dollar - une voix », l’idée qu’un ordre démocratique puisse être administré par des organisations internationales basées sur le principe « un pays - une voix » semble nettement plus rationnelle. Il y a cependant au moins trois objections à considérer :

  • le principe « un pays - une voix » ne tient pas compte de la question de la démocratie interne des Etats membres. En théorie, une organisation globale constituée d’Etats totalitaires ou autoritaires prenant ses décisions sur la base « un pays - une voix » pourrait sembler avoir une structure « démocratique ». D’une manière générale, c’est le cas de l’ONU actuelle, où le caractère démocratique de nombre de membres peut sérieusement être mis en doute ;
  • de plus, l’application du système « un pays - une voix » dans l’administration des affaires mondiales donnerait le même degré de pouvoir politique aux 800 habitants du Vatican et aux 1.366 milliards d’habitants de la Chine, ce qui donnerait mathématiquement 1.670.000 fois plus de pouvoir à chaque citoyen du Vatican qu’à chaque citoyen chinois. L’effet serait de légitimer le rôle traditionnel des grandes puissances nationales et de saper la démocratie basée sur le citoyen ;
  • enfin, dans le modèle développé par l’OMC, chaque pays a une voix, mais ceci ne s’applique jamais dans le processus de prise de décision réel où les projets sont pressentis par les Etats les plus puissants et sont toujours approuvés à l’unanimité. Le cas de l’OMC disqualifie donc l’idée qu’un ordre global plus démocratique puisse être construit sur la seule méthode du « un pays - une voix ».

Les procédures internationales ressemblent à ces fameuses poupées russes qui sont nichées les unes dans les autres. Dans le meilleur des cas, les citoyens nationaux élisent un délégué, qui vote pour un président, qui choisit un ministre, qui désigne un membre pour le système des Nations unies. Chaque étape accroit la distance institutionnelle et dissout la représentation, la légitimité et la responsabilité. La représentation démocratique globale devient internationale, l’international devient intergouvernemental et l’intergouvernemental devient une affaire entre les pouvoirs exécutifs. En fin de compte, un bureaucrate dont le principal souci est probablement de maintenir l’équilibre du pouvoir à l’intérieur du gouvernement temporaire qui l’a nommé, se trouve, néanmoins, dans une position où il peut prendre des décisions sur l’avenir de l’humanité et des générations futures. Malgré l’apparence « parlementaire » de l’Assemblée générale des Nations unies, le jeu international / intergouvernemental se développe et se joue dans l’arène des pouvoirs exécutifs, et en opposition directe avec les recommandations de penseurs comme John Locke, ou Alexis de Tocqueville, et de tous les nombreux autres qui ont identifié le parlement comme le cœur même de la démocratie.

Il est à peu près certain que l’application du principe « un pays - une voix » à toute la galaxie de l’ONU conduirait à un « scénario OMC ». Dans une certaine mesure cela améliorerait les procédures du Conseil de sécurité, par exemple. Cependant, ce ne serait pas la base la plus adaptée pour une organisation vraiment démocratique de l’ordre mondial. En effet, le modèle actuel du commerce global dirigé par l’OMC profite aux plus riches et aux Etats les plus puissants et confirme une vieille réalité : le champ international n’a jamais été un espace pour la collaboration et la solidarité humaine, mais plutôt une arène dans laquelle les hégémonies militaires et économiques sont en compétition. Dans la jungle internationale sauvage dans laquelle les Etats les plus puissants préservent leurs capacités à imposer leur volonté et leurs intérêts sur le reste, le principe « un Etat - une voix » n’est pas capable de protéger les intérêts de 80 % de la population mondiale qui habite dans les Etats-nations les plus faibles du tiers-monde.

S’il n’y a pas d’autre option réalisable les institutions démocratiques globales basées sur le principe « un homme - une voix » restent le seul outil capable d’accomplir et de maintenir un ordre mondial démocratique. Cependant l’expérience de l’Union européenne (UE) a montré qu’une articulation entre les systèmes nationaux et supranationaux est possible par le biais d’une délégation de souveraineté progressive à une structure fédérale, tout en respectant la subsidiarité. Le principe de base de la démocratie par couches successives, appliqué avec succès dans l’UE, et à ses niveaux nationaux et régionaux, établit deux règles qui sont pleinement applicables à l’échelle globale :

  • vu que les décisions politiques doivent être prises à différents niveaux de gouvernement, la représentation démocratique et les institutions représentatives doivent être établies à chacun de ces niveaux, qu’ils soient nationaux, régionaux ou globaux ;
  • les décisions doivent être prises au niveau où les citoyens concernés sont représentés démocratiquement. Ainsi, tandis que la première règle étend le caractère démocratique du système la seconde impose des limites à la concentration du pouvoir politique.

On ne peut pas construire d’ordre global démocratique sans représentation démocratique à chaque niveau de la prise de position démocratique. Cependant, il faut considérer quelques objections réalistes :

  • si l’on appliquait le principe démocratique « un homme - une voix » à l’échelle globale le résultat serait qu’environ un tiers du pouvoir politique serait concentré entre les mains des habitants de deux seuls pays (la Chine et l’Inde) ;
  • appliquer le principe « un homme - une voix » à l’ordre politique mondial produirait une redistribution du pouvoir tellement écrasante que la petite minorité de l’humanité qui habite dans les pays du premier monde ne serait pas d’accord et s’opposerait à tout mouvement en direction d’un parlement mondial, d’une cour de justice mondiale ou d’une constitution mondiale.

Ces objections sont-elles insurmontables ou bien peut-on les résoudre au niveau mondial en tirant les leçons de l’expérience historique concernant le développement de la démocratie des villes, de la démocratie des nations et de l’UE ? Comment l’humanité peut-elle progresser du monde actuel, où les droits de l’homme sont de simples abstractions, sujets à la discrimination nationale imposée par les passeports, pour arriver à un monde démocratique où les droits de l’homme deviendraient « parfaits », pour utiliser la terminologie de Kant, c’est-à-dire défendus par des institutions concrètes ?

Finalement, les Nations unies sont-elles un outil destiné à la poubelle de l’histoire, ou, en dépit des défauts et imperfections, peuvent-elles jouer un rôle utile et pertinent dans la démocratisation de l’ordre mondial ? De mançière à montrer une solution applicable à toutes ces questions, je voudrais proposer un bref scénario suggérant comment la création d’une Assemblée parlementaire des Nations unies (UNPA en anglais, dorénavant) pourrait promouvoir un ordre mondial plus démocratique par la mise en œuvre des principes déjà en application dans les Etats-nations et dans l’UE.

Premier point, l’Assemblée générale de l’ONU (UNGA) crée un organe consultatif (UNPA) destiné à proposer des solutions rationnelles aux nombreuses crises (récession économique globale, réchauffement global, prolifération nucléaire, etc.) qui menacent le présent et le futur de l’humanité. L’UNPA serait une agence consultative, mais non législative. Elle ne serait pas permanente, mais se réunirait au moins deux fois par an ; elle ne serait pas élue directement, mais composée de parlementaires nationaux suivant le modèle de l’Assemblée parlementaire de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), du Parlement du Mercosur et d’autres institutions parlementaires régionales.

Seconde étape, l’UNPA donne des impulsions articulées à l’UNGA et autres agences pour qu’elles soient éventuellement utilisées afin d’établir des accords sur des questions globales comme la réforme du FMI ou la rénovation et l’amélioration du Traité de Kyoto sur les émissions polluantes, voire même pour préparer un programme complet pour la réforme progressive des Nations unies.

Troisième point, une UNPA capable de fournir des réponses adaptées aux crises globales qui ont échappé au contrôle des institutions nationales gagnerait une reconnaissance mondiale et ouvrirait un espace politique pour sa transformation en véritable parlement mondial ; c’est ce qui s’est passé en Europe avec l’Assemblée parlementaire de la CECA.

Quatrième point, une campagne mondiale conduite par des ONG mondiales, soutenue par des leaders politiques, des parlementaires nationaux et régionaux, des experts universitaires a pour but de soulever la question de la démocratisation de l’ordre politique mondial et de stimuler l’opinion politique mondiale en faveur de la création d’un parlement mondial.

Cinquième point, l’UNGA devrait alors lancer un appel pour une élection démocratique, a-territoriale, planétaire, immédiate, de la Chambre des députés du parlement mondial, qui rédigerait une constitution mondiale et un code de justice mondial, fondées sur les principes de 1948, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, signée par la plupart des Etats du monde.

Sixième point, l’UNGA, constituée des délégués de chaque pays devrait se proclamer Chambre mondiale des Sénateurs et s’engager à préparer un programme précis pour le transfert progressif des pouvoirs et de la souveraineté (limité seulement aux questions globales, en accord avec le principe de subsidiarité) des Etats nationaux au niveau mondial des institutions parlementaires démocratiques.

Utopique ? Pourquoi serait-ce utopique quand la large majorité de la population mondiale, y compris les pays du Premier monde et les gouvernements des pays les plus puissants sont eux-mêmes démocratiques et acceptent les principes fédéraux et de subsidiarité comme un élément de base dans toutes les formes démocratiques de gouvernement ?

Comme l’a démontré le 11 septembre de façon convaincante, construire des écoles et des hôpitaux dans le tiers-monde assure mieux la sécurité des citoyens des pays les plus riches du monde que les missiles, les agences nationales d’espionnage et les projets de boucliers spatiaux. En contribuant à la satisfaction globale des besoins humains élémentaires, les citoyens et les gouvernements des régions les plus avancées de cette planète respecteraient un principe énoncé par l’un des présidents les plus respectés et regrettés des Etats-Unis, John Kennedy, qui disait : « Si une libre société ne peut pas venir en aide à la majorité pauvre, elle ne peut pas sauver le petit nombre de ceux qui sont riches ».

Des épisodes récents, comme la récession économique qui résulte d’une demande insuffisante, soulignent l’importance de ce message pour la société civile mondiale émergente. Des évènements comme l’effondrement financier global, le réchauffement global, la globalisation du terrorisme, les armes de destruction massive, les épidémies, la mauvaise utilisation de la technologie, portent en eux des risques sévères non seulement pour les vies et l’avenir des habitants du Premier monde, mais aussi pour toute la planète.

Pour ces raisons, et d’autres aussi nombreuses, la création d’une UNPA pourrait devenir un catalyseur vers une démocratisation de l’ordre mondial qui répondrait aux aspirations de tous les êtres humains sans distinction de nationalité ou de couleur de peau.

Article paru dans la revue Fédéchoses, de Presse Fédéraliste

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Vos commentaires
  • Le 2 décembre 2012 à 09:33, par Xavier Chambolle En réponse à : Pour une realpolitik globale démocratique

    Est-ce à l’État, qu’il soit local ou global, de répondre aux aspirations des êtres humains ?

  • Le 3 décembre 2012 à 20:29, par momo En réponse à : Pour une realpolitik globale démocratique

    @ Xavier Chambolle

    En tout cas il sauvegarde la prétention aux aspirations des êtres humains.

    Car l’Etat c’est la justice.

  • Le 4 décembre 2012 à 16:23, par Xavier Chambolle En réponse à : Pour une realpolitik globale démocratique

    La justice c’est une chose, « la réponse aux aspirations des êtres humains », c’en est une autre.

    Aujourd’hui l’État pense pouvoir régler les problèmes économiques et sociaux, sans parler de l’environnement, de la morale, etc.

    Quant à la justice, qui est probablement l’une de ses missions les plus importantes... parlons-en !

    Alors qu’il commence par proposer une justice qui fonctionne, qu’il s’occupe de notre sécurité correctement et, une fois ces missions remplies, on pourra parler du reste. Et ce, quelque soit l’échelon.

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