Pour une cyberadministration européenne

, par Maël Donoso

Pour une cyberadministration européenne

Au lieu de nous plaindre, en permanence et à juste titre, des lenteurs, des incohérences et des absurdités de l’administration, nous ferions mieux d’envisager une révolution profonde à l’échelle de l’Union européenne, et de fonder une cyberadministration efficace qui remplacerait les systèmes actuels.

Il existe un défi auquel sont confrontés tous les Européens, et de manière quasi-quotidienne : la paperasse. Celle-ci se décline en de nombreuses expériences, toutes éprouvantes, qui suscitent chez le citoyen des sentiments allant de l’agacement léger à l’angoisse profonde : les formulaires interminables à remplir, les lettres à envoyer, les documents à tamponner, les papiers manquants, les changements d’adresse, les heures d’ouverture improbables des guichets, les déplacements continuels d’un service à l’autre, etc. À ces joies élémentaires s’ajoute, pour l’Européen passant d’une administration nationale à une autre, la nécessité récurrente de faire traduire et certifier tous ses documents par un traducteur expert.

Une partie considérable de nos vies est ainsi consacrée à des activités aussi créatrices que le remplissage des champs « Nom », « Prénom », « Adresse » et « Date de naissance » sur des documents administratifs. Tout se passe comme si l’administration, restée dans les logiques héritées du vingtième siècle, n’avait pas encore pris acte de l’existence d’un outil efficace de partage des données, ci-après Internet, ou qu’elle n’avait pas envisagé que cet outil pouvait faciliter la vie des citoyens européens, par le biais de la cyberadministration. Peut-être serait-il temps pour l’Union européenne et ses États membres de sortir de leur torpeur, et de préparer une optimisation radicale des procédures administratives.

Les possibilités offertes par la cyberadministration

Esquissons ce qui pourrait être le futur de l’administration européenne. Dans une Europe idéale, chaque citoyen pourrait disposer d’un compte Internet où seraient sauvegardées toutes ses données personnelles. Lors de ses contacts avec l’administration, voire même lors de toutes ses transactions Internet, il suffirait à l’utilisateur de donner le lien vers ce compte pour que toutes les informations utiles soient retranscrites, de manière rapide et sécurisée, vers l’opérateur auquel elles sont destinées. Ce compte pourrait non seulement regrouper toutes les données administratives importantes, mais aussi centraliser tous les services auxquels le citoyen est lié : sécurité sociale, assurances, comptes bancaires, diplômes universitaires, contrats de travail, bulletins de salaire, titres de propriété, permis de conduire, certificats, dossier médical, etc.

Les avantages d’un système centralisé ? Ils sont incalculables. Il ne serait plus nécessaire, par exemple, de remplir soi-même une déclaration d’impôts : un programme pourrait réaliser cela à partir des bulletins de salaire stockés dans le compte. Nul besoin non plus de courir après des attestations, des bordereaux et des certificats qui pourraient être fournis d’un clic de souris. Les paiements en ligne pourraient être généralisés, et automatisés dans le cas de transactions régulières. La situation civile et fiscale de l’utilisateur serait en permanence claire, et l’administration gagnerait en transparence.

Un dossier médical informatisé et centralisé faciliterait notablement le suivi des patients entre plusieurs lieux de soin, et permettrait d’avoir accès facilement à des données clés (groupe sanguin, antécédents médicaux, etc.) en situation d’urgence. Le vote électronique, quant à lui, pourrait être généralisé et effectué de manière simple à partir de ce même compte. Par ailleurs, un système informatique coordonné à l’échelle européenne permettrait facilement la traduction de toutes les données administratives dans toutes les langues de l’Union, supprimant ainsi la nécessité de faire appel à des traducteurs professionnels pour valider le moindre document.

Si nous allons plus loin, nous pouvons envisager que les codes d’accès à ce compte puissent être relayés sur une carte à puce unique, qui remplacerait toutes les cartes existantes comme les cartes bancaires ou la carte d’identité. L’Union européenne n’ayant pas l’habitude de briller par son originalité lorsqu’il s’agit de trouver des noms, partons pour l’instant du principe que le compte Internet s’appellera l’« eurocompte », et que la carte à puce unique sera baptisée l’« eurocarte ».

La sécurité et la flexibilité du système

On comprend facilement la réticence que les citoyens pourraient avoir à centraliser l’ensemble de leurs données personnelles sur un emplacement informatique unique. L’enjeu principal, pragmatique autant que psychologique, de l’eurocompte et de l’eurocarte, concernerait en effet la sécurité des données. Poussée à son point extrême, la centralisation ne comporte-t-elle pas le risque de voir de « super-hackers » percer le système et mettre la main sur nos informations les plus importantes ? À cette crainte légitime, on peut opposer un certain nombre d’arguments.

D’une part, la sécurité des données est loin d’être garantie aujourd’hui. Tout ce qui transite par le réseau doit être considéré comme vulnérable, et la décentralisation ne change rien : en cas de besoin, c’est un jeu d’enfant pour des experts suffisamment équipés que de recouper des informations sur une personne, et d’avoir une vue d’ensemble de toutes ses activités. D’autre part, l’éclatement des services Internet, et la multitude des codes et des procédures à retenir, est plutôt un encouragement pour l’utilisateur à relâcher sa vigilance, comme les nombreuses victimes de fraudes informatiques le prouvent. Un système unifié, dont le fonctionnement serait bien connu et encadré, serait plutôt une garantie de sécurité.

La diversité des administrations nationales n’empêche pas une unification européenne. Un système suffisamment flexible pourrait être mis en place pour s’adapter à tous les États membres. Par exemple, le programme générant la déclaration d’impôts effectuerait le calcul différemment selon le pays de résidence du citoyen : cette flexibilité n’est pas bien difficile à programmer, et remplacerait efficacement le système chaotique actuel, dans lequel un Européen doit s’adapter à une machine administrative entièrement différente à chaque fois qu’il passe d’un État membre à un autre.

Il va de soi qu’un protocole de sécurité particulièrement solide devrait être mis en place pour minimiser les risques de piratage. L’eurocompte et l’eurocarte devraient être gérés de manière attentive par un centre administratif européen, avec des antennes efficaces dans tous les États membres. Mais en contrepartie, que de simplifications en perspective pour chaque citoyen, et d’économies pour toute la société ! L’administration étant pour l’essentiel un « mal nécessaire », qui absorbe des ressources sans produire directement de richesses, il ne faudrait pas négliger une possibilité réelle de réduire son poids, et de libérer ainsi des ressources matérielles et humaines pour d’autres secteurs de l’économie.

Plusieurs niveaux de centralisation envisageables

C’est évidemment prendre le cas extrême que d’envisager de centraliser toutes les données importantes sur un seul compte et une seule carte. Les avantages de la cyberadministration restent valables pour des utilisations plus restreintes, ainsi que cela a été largement prouvé en Suisse, qui fait partie des pays leaders en la matière, et compense ainsi la lourdeur de vingt-six administrations cantonales [1]. La simplification, la transparence et l’optimisation des démarches administratives devraient être des objectifs poursuivis par l’Union européenne : parions que les Européens seraient beaucoup plus enclins à apprécier les institutions communautaires si celles-ci trouvaient un moyen de réduire leur paperasse quotidienne...

Si plusieurs niveaux de centralisation sont envisageables, un accès universel aux outils de communication et à Internet reste la condition nécessaire pour refonder le système administratif. Réunis le 31 mars dernier à Bruxelles, les Ministres des Télécommunications de l’Union ont d’ailleurs adopté une conclusion sur une société de l’information mise à la portée de tous, et se sont mis d’accord sur la nécessité de rendre les nouvelles technologies plus accessibles [2]. L’Europe a désormais une véritable chance de se montrer utile pour ses citoyens en simplifiant toutes leurs démarches, et de promouvoir un modèle d’organisation optimisé au lieu du chaos administratif actuel.

L’administration en Europe est, pour le moment, une véritable jungle. La fondation d’un système cyberadministratif unifié, et des idées comme l’eurocompte et l’eurocarte, pourraient servir à défricher cette jungle…

Illustration : photographie d’un laboratoire d’informatique de l’AIUB (American International University Bangladesh). Source : Wikimedia.

Notes

[1Voir le site de la Chacellerie fédérale.

Vos commentaires
  • Le 3 avril 2009 à 21:28, par Florent En réponse à : Pour une cyberadministration européenne

    L’idée est effectivement très intéressante et remporte tout mon soutien. A la crainte près de la qualité de la sécurisation des données. Le danger qui me semble le plus menaçant tiens dans le fait que ces données puissent être piratées par des gros industriels pour s’en servir de base de donnée statistique. Comme se sont des gens avides d’argent et de pouvoir, ça ne serait pas étonnant qu’ils soient plus que très intéressés par ce genre de données et qu’ils soient prêts à mettre -illégalement- un paquet de fric pour pirater les serveurs de l’eurocompte. Peut-on prendre ce genre de risque ?

    D’un autre côté on peut argué du fait que l’on confit déjà un certain nombre de données confidentielles à l’Internet (comptes bancaires notamment, ainsi que paiements etc.) et donc, qu’on est bien capable de sécuriser le système.

    Est-ce qu’une telle idée fait parti des propositions enregistrées sur : http://www.consultations-europeennes-des-citoyens.eu/fr/propositions ? Sinon, il faudrait le proposer aux prochaines CEC !

  • Le 4 avril 2009 à 06:39, par Martina Latina En réponse à : Pour une cyberadministration européenne

    Au-delà du néologisme, pourquoi ne pas envisager une nouvelle organisation administrative européenne, plus rationnelle et plus écologique ?... L’idée serait convaincante si l’on se rappelait que, par l’étymologie, la CYBERNétique n’est qu’un art moderne de GOUVERNer et même de piloter, qu’il faut donc surtout un bateau, un équipage et un gouvernail !

    Certes, les EUROPEENS sont tous « embarqués » dans une aventure qui dure, qui sans cesse inaugure et qui parfois leur échappe ou les dépasse ; mais précisément, pour mettre le cap ensemble sur la justice et la paix, il leur faut toujours plus de cohésion, d’audace et de concertation, à l’image de celle qui leur donna son nom et son énergie dès l’aube de leur civilisation, donc de la JEUNE EUROPE qui osa franchir sur le dos d’un TAURILLON la mer inconnue et sa propre peur : EUROPE elle-même !

  • Le 7 avril 2009 à 13:54, par Jean-Jo En réponse à : Pour une cyberadministration européenne

    Cet article est passionnant, il soulève bon nombre de questions : verrous technologiques, éducation de la population à l’informatique, respect de la vie privée... Pas le temps de faire une réponse sérieuse en quinze pages, alors je vais être bref et « attaquer » le sujet par son côté le plus visible et le moins sérieux, à savoir la photo d’illustration :

    Je suis sûr que Microsoft se réjouit de la publicité gratuite qu’on lui fourni, d’autant plus que le thème de l’article pourrait laisser à penser que cette entreprise est toujours à la pointe de l’informatique, mais aurait-il été envisageable de mettre une photo d’un concurrent (je pense plus particulièrement à un animal d’Antarctique) ?

    Franchement, ça fait 10 ans que Microsoft est à la traîne sur le plan technique (et encore je ne suis pas un extrémiste anti-Micros), on ne pourraît pas mettre en exergue la diversité du monde informatique, plutôt que de nous fourguer comme visuel, la camelote made-in Seattle ?? D’ailleurs, c’est grâce à cette diversité que le monde de l’informatique a pu autant innover, ce qui nous ramène à un précédent débat concernant la disparition de la diversité en Europe :-)

  • Le 7 avril 2009 à 18:49, par Maël Donoso En réponse à : Pour une cyberadministration européenne

    Je suis sûr que Microsoft se réjouit de la publicité gratuite qu’on lui fourni, d’autant plus que le thème de l’article pourrait laisser à penser que cette entreprise est toujours à la pointe de l’informatique, mais aurait-il été envisageable de mettre une photo d’un concurrent (je pense plus particulièrement à un animal d’Antarctique) ?

    OK, pas de souci : je me rattraperai la prochaine fois avec une photo d’ordinateur fonctionnant sur Linux... Message reçu ! :)

  • Le 26 juin 2009 à 13:02, par Maël Donoso En réponse à : Pour une cyberadministration européenne

    Lu aujourd’hui sur Europe Midi :

    « La Commission européenne donnera son soutien au projet pilote destiné à aider les administrations publiques des États membres à améliorer les services en ligne qu’elles proposent au secteur des services. Bénéficiant d’un investissement de 14 millions d’euros, ce projet se propose d’améliorer la qualité des services électroniques transfrontaliers proposés par les administrations publiques et cela par le biais de normes communes et de l’établissement dans chaque Etat membre de guichets uniques, d’ici à la fin 2009. »

    Un petit pas vers la cyberadministration...

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom