Pologne et liberté de la presse

Rapport « Goodbye to Freedom 2008 »

, par Krzysztof Bobinski, Traduit par Camille-Cerise Gessant

Pologne et liberté de la presse

Le rapport sur la liberté de la Presse en Europe « Goodbye to Freedom » vient d’être publié par l’Association des Journalistes Européens. Le Taurillon a décidé de publier le résultat de cet énorme travail. Aujourd’hui, voici la situation en Pologne.

Présentation générale

La Pologne conserve une importante liberté des médias et de liberté d’expression, il n’y a pas de censure formelle. Cependant, le climat politique dans le pays rend la couverture des questions publiques très difficiles.

Les élections parlementaires et présidentielles polonaises à l’automne 2005, qui ont conduit au pouvoir, pendant deux ans, un gouvernement de coalition mené par leParti de la Loi et de la Justice, ont provoqué une division sans précédent de la scène politique du pays. Par la suite, les divisions ininterrompues et la direction déterministe prise par le gouvernement de coalition ont fait que les informations et commentaires présentés dans les medias, reflétant son propre agenda politique, ont affecté à la fois les média publics et privés. Il a été difficile, pour les journalistes, de garder leur objectivité et de débattre des questions d’intérêt public indépendamment de l’influence directe des politiciens.

L’élection générale du 21 octobre 2007 a encore changé le paysage politique, amenant le parti modéré conservateur Civic Plateform au pouvoir. Il hérite d’une société divisée qui a aussi affecté les principaux médias. Cette division a atteint un sommet d’intensité pendant la campagne pour les élections parlementaires. Le parti de la Loi et de la Justice a souligné son combat contre la corruption comme un point majeur de son programme. Le premier ministre de l’époque, Jarosław Kaczyński, a aussi revendiqué dans une interview au journal Rzeczpospolita, le 15 septembre, que « la majorité des médias sont sous le contrôle des oligarques ». Il sous-entendait ainsi que les médias s’opposeraient à la politique anti-corruption de son parti sous la pression des propriétaires de médias et de leurs amis des grandes entreprises.

Les pressions des politiciens au pouvoir sur les médias pour donner leur point de vue ont renforcé les tendances présentes dans le domaine public polonais depuis le retour de la démocratie en 1989

Le président Lech Kaczyński, le frère de Jaroslaw, reste en fonction et conserve des pouvoirs considérables. Ainsi les relations avec les médias vont probablement continuer à être tendues. En Pologne la presse écrite est privée alors que la télévision et la radio publiques continuent à être très influentes, étant regardées et écoutées par environ la moitié de la population.

Les pressions des politiciens au pouvoir sur les médias pour donner leur point de vue ont renforcé les tendances présentes dans le domaine public polonais depuis le retour de la démocratie en 1989. Il peut être dit de manière subjective, cependant, que l’ardeur de la récente administration a conduit les médias à se soumettre à la forte pression des hommes au pouvoir. La question reste particulièrement importante quant à la gestion de la TV publique, qui est le sujet du cas d’étude ci-dessous.

De plus, le système légal est lourd contre le journalisme d’investigation. La diffamation est toujours un délit, et des lois protégeant les institutions d’état de la critique ont été utilisées avec succès dans des poursuites contre des journalistes, aboutissant à des amendes et des peines de prison avec sursis dans plusieurs affaires. Les critiques affirment que les tribunaux et les juges n’ont pas été équilibrés dans leurs jugements.

La presse écrite reste sans autorisation préalable, mais le système d’autorisation d’émettre pour la télévision et la radio est devenu le sujet d’intenses débats politiques. Une des premières actions du gouvernement arrivé en 2005 a été de reformer l’organisme de licence, le Comité d’Etat en Radio et la Télévision, formé de personnes nommées, et issues des partis de la coalition et excluant les représentants de l’opposition qui étaient précédemment membres du comité. Ces politiques ont été menés par politiciens dirigeants pour traiter les médias nationaux et locaux, comme « les leur ». La TV et les radios privées ont continué de diffuser des reportages critiques mais en s’inquiétant constamment de la réaction des autorités pouvant mettre en danger leur autorisation de diffuser.

De plus, l’existence de listes noires informelles des personnes invitées dans les médias audiovisuels publics a signifié la disparition de quelques personnalités des ondes hertziennes, tandis que d’autres, plus proches du gouvernement, qui avaient été précédemment marginalisées, sont retournés à l’antenne.

Cas d’étude : la manipulation des informations et des commentaire à la télévision publique

Les trois principales télévisions polonaises, la télévision publique TVP et les chaînes privée TVN et Polsat, diffusent des émissions d’informations et des programmes d’actualités, et chacune dispose aussi d’une chaîne d’informations en continu (respectivement TVP3, TVN24 et Superstacja). Les trois chaînes de TVP ont une position dominante, regroupant environ 60% d’audience. Son principal programme d’informations, Wiadomości, est chaque jour regardé par environ quatre millions de personnes, comparé aux trois millions pour chacune des chaînes TVN et Polsat. TVP vit grâce à une redevance payée par chaque ménage possédant un poste TV mais aussi par les recettes publicitaires significatives, alors que les télévisions privées dépendent uniquement des recettes publicitaires. Ceci signifie que TVP reste un média d’opinion significatif et est vu comme tel par les politiciens. Elle est également soumise à l’obligation formelle de présenter un point de vue équilibré des évènements, permettant aux téléspectateurs de se forger des jugements sur des développements politiques et sociaux dans le pays.

Etant donné la pression intense exercée par les politiciens polonais de toutes les tendances pour influencer le contenu des informations et des actualités traitées à la télévision publique, il est incertain que le but de réaliser une discussion politiquement équilibrée sur des questions de préoccupation publique pour la société polonaise soit réalisable.

En Pologne les associations et les syndicats des journalistes professionnels sont faibles. Ils défendent le travail des membres licenciés, mais protestent rarement sur les problèmes d’indépendance éditoriale. Par conséquence, les journalistes et les rédacteurs en chef sont extrêmement vulnérables à la pression extérieure des politiciens, particulièrement ceux de la coalition.

Le gouvernement arrivé au pouvoir à l’automne 2005 a rejeté le large consensus libéral qui existait en Pologne concernant à la fois les affaires internes et étrangères depuis 1989. Ce gouvernement a défini son rôle comme étant de nettoyer le pays des influences communistes prolongées et des réseaux corrompus. Il n’a également fait aucun secret de sa détermination pour retirer des médias publics les personnes employées avant 1989, y compris les directeurs désignés par les précédents gouvernements. Le gouvernement a cherché à les remplacer par ceux en accord avec ses idées et ses politiques.

Des changements de personnel ont été faits les deux dernières années mais le processus établissant le contrôle n’a pas été facile. Les nominations initiales aux postes de cadres supérieurs à TVP ont mené à l’antenne des sympathisants du nouveau gouvernement, qui ont voulu maintenir l’indépendance et l’équilibre éditoriaux. Ces émissions ont ensuite été supprimées. Le même engagement à l’impartialité était fort parmi les journalistes, qui ont également cherché à résister aux pressions politiques. Cependant un processus d’usure a amenuisé l’opportunité d’une vraie indépendance éditoriale.

Cela a été fait de la façon suivante :

Les chefs de service ont été remplacés des journalistes plus jeunes, moins expérimentés qui supportaient la ligne gouvernementale. Ces nouveaux directeurs ont veillé à ce que les hommes politiques du gouvernement reçoivent une forte visibilité et qu’ils ne se retrouvent pas face à des porte-parole des partis rivaux qui pourraient les éclipser. Dans la couverture des informations quotidiennes, des efforts ont été faits pour minimiser les incidents qui auraient pu avec un impact négatif sur le parti dirigeant. Le terme de « responsable politique » est entré dans le vocabulaire quotidien de la chaîne TVP, révélant combien ce mécanisme est entré en vigueur dans le monde des médias publics.

Les journalistes qui ont résisté aux changements n’ont pas été mis à la porte, mais transférés à d’autres postes ou mis à des postes aux très bas salaires et avec des tâches qui ne leur permettraient pas de gagner des salaires plus hauts. Un salarié de TVP a dit « je considère cela comme le plus simple mécanisme de manipulation à TVP. Grâce à cela, il est possible de casser les gens en les menaçant avec un revenu dérisoire. Quand cela arrive, les gens stagnent ou démissionnent. Dans le dernier cas, le management est capable de se débarrasser d’eux sans devoir les mettre à la porte. »

Ce modèle de comportement signifie que l’autocensure s’est répandue. Les journalistes ont un sixième sens quant aux personnalités qui devraient être invités à la TV et ceux qui ne devraient pas. « C’est dans la culture de l’emploi », dit un autre membre du personnel TVP. « Aucune liste noire formelle n’existe sur le papier, mais une remarque ou un froncement de sourcils peuvent être assez pour un producteur pour savoir que l’apparition d’une personne particulière à l’écran pourrait endommager leur carrière. »

Ce mécanisme marche aussi dans l’autre sens. Les personnes marginalisées par le précédent consensus libéral apparaissent plus souvent à la TV. Ceci implique des intellectuels avec des vues conservatrices en matières de morale, ou avec des positions nationalistes en ce qui concerne les voisins de la Pologne, comme la Russie ou l’Allemagne. Les partisans de l’UE sont devenus moins présents qu’auparavant, tandis ses opposants ont une plus grande exposition.

TVP a aussi vu l’arrivée majeure de journalistes approuvés par le gouvernement, extérieurs à l’organisation, travaillant occasionnellement mais apparaissant régulièrement dans les programmes. Ainsi, un changement du personnel a été accompli sans renvoi à une échelle majeure. De nombreux mécanismes du même type sont apparus dans l’organisation de la station de radio Polskie Radio.

Conclusion et actions futures

La situation décrite ici pose l’importante question de savoir si, dans une jeune démocratie telle que la Pologne, les médias publics sont là pour servir les intérêts des opinions en général ou s’il doivent être traités comme la propriété des politiciens gouvernant le pays à un moment donné. L’expérience actuelle suggère que ce soit le cas. Ceci ne sert pas la société dans son ensemble, ni la crédibilité des entreprises médiatiques impliquées ou l’éthique et la morale professionnelle des journalistes qui y travaillent. Le pays a éprouvé une politisation des médias de radiodiffusion publics sous des gouvernements de divers bords ces dernières années, ce qui a effectivement empêché la présentation d’un juste équilibre des opinions politiques. Il est impératif pour la liberté et l’indépendance des médias de la Pologne, en général, que des lois et les pratiques soient vite mises en place pour corriger les aberrations du passé.

Mise à jour de février 2008

Le changement de gouvernement lors des élections d’octobre 2007 n’a pas encore provoqué d’amélioration décisive, et la confiance populaire dans le système public de radiodiffusion demeure faible.

L’organisme donnant aux médias leur autorisation d’émettre, le comité d’état de la radio et la télévision (KRRiT), dominé par des défenseurs et des personnes nommées par le gouvernement sortant, reste en place. Ainsi, les cadres supérieurs de la télévision publique, TVP, et de la radio publique, Polskie radio, ont été choisis par les conseils de surveillance qui eux-mêmes ont été nommés par le KRRiT. Les deux conseils de surveillance dont les mandats doivent finir en 2009, sont les seuls autorisés à remplacer les dirigeants de la TV et de la radio. Ces conseils avouent leur fidélité au gouvernement précédent. Seulement un changement dans les lois sur les médias polonais pourrait provoquer un changement avancé dans leur composition.

Cela signifie que les rédacteurs en chef et les journalistes qui ont connu la sympathie de l’administration précédente restent à des positions clefs dans les médias audiovisuels publics. Cependant, en réponse à la critique stridente du parti pris évident dans leur programmation, la TVP et la Radio Polskie ont donné plus de temps d’antenne aux personnes d’autres formations politiques, qui étaient précédemment évitées.

En attendant le nouveau gouvernement dirigé par Donald Tusk et son parti centriste PO a rédigé une nouvelle loi qui retire l’attribution des licences d’émission au KRRiT pour les donner au Régulateur de Télécommunications (URE) dont le responsable est directement nommé par le Premier ministre. Conformément à la nouvelle loi proposée, le KRRiT garderait une fonction de contrôle. Le système de nomination de ses membres doit aussi être changé. Cela signifierait que les sept membres du KRRiT (et non pas cinq comme actuellement) continueraient à être choisis par les deux chambres du Parlement et le Président, mais seulement parmi les candidats qui ont obtenu l’approbation des organisations universitaires des journalistes ou d’autres professions appropriées. Le KRRiT continuerait aussi à faire des nominations aux conseils de surveillance des médias publics et partagerait la responsabilité avec les conseils pour des nominations de direction.

La Plateforme Civique a aussi envisagé des changements plus radicaux : abandonner la redevance TV et radio que tous les propriétaires de radio et de TV doivent payer. Le système de montant de la redevance fournit des fonds garantis pour les médias audiovisuels du service public, mais ils profitent aussi de gros revenus publicitaires. A la fin de l’année dernière seulement 40 % de la population payait en réalité la redevance et la somme facturée à chaque ménage avait baissée de 30 % comparée à douze mois plus tôt.

Les changements proposés ont attiré la critique des adversaires du parti Plateforme Civique dans la précédente coalition gouvernementale qui disent que le nouveau gouvernement cherche à son tour à dominer les médias publics. Des partisans gouvernementaux ont échoué à répondre d’une façon convaincante à ces attaques.

Les débats dans la presse polonaise sur les mérites d’avoir des médias audiovisuels publics impartiaux et libres de tout contrôle politique n’ont pas enflammé l’opinion publique. Un congrès du Stowarzyszenie Dziennikarzy Polskich (SDP), l’organisation professionnelle des journalistes, a mis en place une dynamique pour le renouvellement du SDP dont la direction était identifiée avec les pratiques du gouvernement précédent. « Les réformateurs » veulent positionner le SDP comme un lobby efficace pour réaliser un système d’impartialité fiable dans les médias.

Le Taurillon remercie l’Association des Journalistes Européens pour l’autorisation de publier cet issu du rapport « Goodbye to freedom » et de sa mise à jour du mois de février 2008.
Illustrations :

 le drapeau de la Pologne ; source Wikipedia

 logo du rapport « Goodbye to freedom »

 le logo de l’AEJ

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom