Politiques mondiales et Pétropolitiques (I)

Partie 1 : Les pétropolitiques et la société de l’information

, par Dumitru Drumea, Fernando A. Iglesias

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Politiques mondiales et Pétropolitiques (I)

Si on jette un coup d’œil sur les plus grandes fortunes de la planète, on s’aperçoit vite qu’elles appartiennent aux pdg de grandes corporations d’informatiques, spéculateurs financiers, propriétaires des médias ou les producteurs d’Hollywood. On peut ainsi constater que la façon dont on crée des richesses évolue et qu’aujourd’hui c’est le travail intellectuel qui se trouve au cœur de l’économie et société, en détrônant le travail manuel On vit désormais dans une société post-industrielle qui se consacre davantage à la création et diffusion des informations, connaissance, diversité culturelle, communication, innovation et émotion. Depuis Henri Ford et jusqu’à Bill Gates ce que Karl Marx appelait les moyens de production a évolué très vite. Ainsi, il a fallu moins d’un siècle pour parcourir le chemin entre une Ford T et le premier PC. Une vraie rupture dans l’histoire.

Déjà en 1980, Alvin Toffler, a déclaré que le conflit entre le capitalisme et le communisme n’était qu’une dispute transitoire dans le cadre de la civilisation industrielle, et a prédit qu’elle allait être surpassée par un vrai combat politique : un méga conflit à l’échelle planétaire entre les défenseurs de la seconde vague (industrielle) et les défenseurs de la troisième vague (post-industrielle). Même si Toffler avait raison, l’industrie n’était pas l’agent principal de la défense du statu quo ; plus exactement, c’était la branche de l’industrie la plus obsolète, celle qui fournit l’énergie et qui dépend en totalité de sa Majesté Le Pétrole. Et ce n’est pas pour rien que le journaliste de New-York Times, Thomas L. Friedman a récemment lancé une polémique en énonçant ce qu’il appelle « La première loi de la Pétropolitique » : en bref, Friedman affirme que « le prix du pétrole et le taux de liberté évoluent toujours en directions opposées dans les pays riches du pétrole ». Derrière cette phrase de Friedman, le terme de la Pétropolitique marque l’émergence d’un asynchronisme profond et dangereux entre la société d’information et sa vieillotte source d’énergie : le pétrole.

La Pétropolitique et la société d’information : deux paradigmes antagoniques

Un quart de siècle après la publication de la « Troisième Vague » par Toffler, les plus grands et les plus pressants dangers du monde post-industriel (comme l’épuisement des ressources non-renouvelables, le réchauffement climatique, la dépendance énergétique, le terrorisme ou encore la guerre pour les ressources) viennent de l’ordre nationaliste industriel croulant, polluant, qui tend vers le militarisme et la confrontation. Mais analysons les origines de la "Pétropolitique".

l’intelligence humaine : une source inépuisable et non polluante

L’industrie du pétrole et la société de l’information et de la connaissance restent des pôles à part. Un baril du pétrole ne vaut rien si on nous le prend. Au contraire, les logiciels informatiques peuvent être copiés sans qu’ils perdent leur capacité originelle et ont encore plus de valeur pour chacun qui les utilise. Même les produits intangibles de l’économie d’information sont partageables. Peu importe à quel point ses leaders sont avares ou monopolistes, l’économie d’information a besoin de coopération et d’éducation pour produire des richesses, mais aussi du bien-être général pour pouvoir les vendre. Les biens créés par une telle économie augmentent la richesse générale et l’éducation, quel que soient l’origine nationale ou sociale des propriétaires, producteurs ou consommateurs. Elle est fondée sur l’intelligence humaine : une source inépuisable et non polluante. En plus, l’économie de l’information est indépendante du territoire, qui a donc perdu sa centralité économique, tout en mettant fin aux conflits classiques de l’ère industrielle : les disputes pour le territoire et les matières premières.

Il n’y a pas eu de guerre entre les pays développés depuis que les travailleurs intellectuels ont surpassé en nombre les travailleurs manuels dans les années 1960. A partir de ce moment, les unités politiquement et économiquement avancées se sont répandues pacifiquement, grâce aux besoins générés par les nouvelles technologies, d’une part, et d’autre part grâce notamment aux opportunités qu’elles ont créées. Des statistiques montrent qu’au contraire, les pays qui fonctionnent toujours sur un modèle nationaliste industriel voient leur bien-être diminuer. Les mêmes statistiques montrent que les sociétés post-industrielles, qui ont un taux d’échange inter-étatique élevé ont moins d’inégalités. Cela n’est pas dû au hasard, car une économie fondée sur l’intelligence humaine implique un niveau élevé d’éducation et une forte capacité à travailler ensemble. Ces deux facteurs sont, en effet, indispensables pour le processus politique fondé sur la redistribution des richesses. Et c’est exactement le contraire qui se passe dans les économies qui sont fondées sur les matières premières comme le pétrole. Comme dans toute société qui dépend des ressources non partageables et non renouvelables, les processus économiques et politiques font en sorte que la ressource est appropriée par un seul agent, qui exclut les autres. Un tel système va donc tuer la coopération et va amener inévitablement aux disputes.

L’extraction des ressources est aussi liée, bien évidemment ; au territoire et par conséquence, elle peut générer des conflits pour la domination géopolitique. Tous les éléments exposés ci-dessus contribuent à leur tour à l’émergence de plusieurs noyaux pétropolitiques. Ils sont apparus suite aux accords passés entre les agents économiques de l’industrie extractive et les agents politiques qui contrôlent le système militaire. Mais vu que dans ce genre d’économies l’implication des gens dans la production des richesses est minimale et dépend d’une main d’œuvre non qualifiée pour les activités extractives, le bien-être général et la capacité de la population à travailler en coopération demeurent donc impossibles. Du coup, les richesses se partagent parmi un nombre restreint des gens ; dans le cas du pétrole, ce sont les propriétaires corporatifs et les autorités publiques qui gèrent l’accès et qui contrôlent les ressources. C’est le royaume où domine la Pétropolitique.

Le monde de la Pétropolitique

Partout où la Pétropolitique domine, l’exaspération et le conflit remplacent le dialogue et le consensus. La société est divisée entre « nous » et « eux ».

Le territoire et les disputes liées à son contrôle deviennent une valeur métaphysique. Peu importe comment ces ressources sont utilisées, les étrangers apparaissent comme une bande, qui désirent voler « nos » ressources. Mais derrière ces propos sur le nationalisme et la solidarité, les richesses continuent de s’accumuler dans les mains des plus riches et des plus puissants. La démocratie peine à s’établir ou bien ne surgit jamais. Mais malgré la rhétorique nationaliste qui est utilisée souvent pour cacher les intérêts réels, l’unité nationale se retrouve sous pression, débouchant sur un schéma destructif : guerre intra-nationale (civile) pour les ressources, mais aussi des conflits ethniques comme dans le cas des diamants africains ou du gaz bolivien. Les fondamentalistes politiques et religieux dominent ainsi l’Univers de la Pétropolitique. Leur monde et divisé en deux : les « amis », qui contribuent à la reproduction du pouvoir, et les « ennemis », qui sont soit symboliquement éloignés de la vie politique, soit tout simplement détruits.

Les théories du tiers-mondistes sur les « échanges inéquitables », qui associent le sous-développement aux prix bas pour les matières premières, ont prouvé leur limites, car malgré la forte augmentation du prix du pétrole, qui a généré de très grands revenus dans les pays de l’OPEP, les conditions de vie de leurs citoyens n’ont pas beaucoup évolué. La propriété ambiguë des ressources naturelles comme facteurs de la production des richesses n’a pas seulement rendu la théorie des « échanges inéquitables » périmée, elle se trouve aussi à l’origine de la « course pour les ressources naturelles », et cette idée est bien confirmée par le fait que les pays où la quantité de ressources par habitant n’est pas significative (comme le Japon) ont pu développer des sociétés riches et égalitaires, alors que dans les pays où elle est élevée (comme l’Argentine) la pauvreté et les disparités s’accentuent. Le fait qu’en Amérique Latine ou en Afrique, où le taux de ressources naturelles par habitant est élevé, il y ait le plus d’inégalités confirme cette hypothèse.

L’Afrique est le continent où la part des ressources naturelles dans le PIB est la plus élevée au monde, mais c’est aussi le continent où le barbarisme tribal se développe le plus. Des tyrannies séculaires et des nettoyages ethniques sont encouragés par les corporations qui s’occupent des diamants au Sierra Leone ou du pétrole au Soudan. Pendant que le monde était préoccupé par la crise irakienne, quelques millions d’Africains sont morts et des centaines de milliers sont devenus réfugiés dans le plus grand drame humanitaire du 21e siècle. Le tribalisme et la militarisation des sociétés africaines ressemblent aux sociétés du Moyen-Âge, sauf que les arcs et les flèches sont remplacés par les Kalachnikov et les mitrailleuses. Et ce n’est pas par hasard, que le Moyen-Orient, où le pétrole est à la base de l’économie locale, est devenu un centre d’instabilité politique, d’insécurité et du terrorisme.

Des études récentes – comme celle de Friedman – montrent qu’il y a une forte corrélation entre la montée du prix de pétrole après l’invasion en Irak et la détérioration des droits démocratiques et des libertés. Cependant, même si Friedman localise ce phénomène dans les pays pétroliers, on ne l’observe pas seulement en Amérique Latine, Afrique ou Moyen-Orient, mais aussi aux États-Unis, qui est sûrement loin d’être un pays pétrolier, mais où l’industrie pétrolière est particulièrement forte et très proche du pouvoir politique.

Illustration : the top of an old, tired petrol pump, source : Flickr.

This article was originally published in the November 2007 edition of The Federalist Debate, Papers for Federalists in Europe and the World.

Vos commentaires
  • Le 10 avril 2008 à 23:47, par samuel champagne En réponse à : Politiques mondiales et Pétropolitiques (I)

    L’économie du savoir aides à pacifier le monde, seulement il y a un autre problème et c’est la crise des ressources naturelles (aquifaires, minérales, alimentaires et énergétique).

    Il y a pénurie des minéraux, qui causent une pénurie des produits d’énergie verte (solaire et éolien), puis cette crise provoques une crise énergétique qui elle provoques une crise alimentaire parce que la principale production alimentaire se fait avec des sous-produits pétroliers (fertilisants).

    Puis la surpopulation dans des zones fragiles au niveau aquifaire provoques d’autres problèmes.

    Faut vraiment faire des lois pour obliger le recyclage en le rémunérant et en faisant payer les poubelles.

    Au moins dans le but d’apprendre à créer un système qui recycles mieux.

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